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« Sur le glacier du Scerscen, dans la massif alpin de la Bernina, a atterri une soucoupe volante. En est sortie une créature en scaphandre. Un alpiniste qui se trouvait là a fait plusieurs photos très claires ». C’est en ces termes que la radio italienne Sera lance l’affaire, le 9 octobre 1952.

A l’époque, il ne se passe pas un mois sans qu’on enregistre un nouveau scoop ufologique. Au printemps, le fameux George Adamski dit avoir eu son « contact », en Californie. Le 12 juin, « une boule de feu plus grosse qu’une étoile » traverse le ciel de Paris. Début juillet, dans un village de la Ruhr, un ex-major de la Wermacht et sa fille de 11 ans voient deux êtres « en combinaison métallique » rejoindre précipitamment « un impressionnant disque en métal rose » qui décolle. Le 18 juillet est réalisée la célèbre photo de la soucoupe du Lac Chauvet. Le 4 août, c’est le carrousel de Washington…

Le choc des photos

Pas étonnant donc que, dans ce contexte de grande excitation ufologique, la presse mondiale s’enflamme lorsqu’un « ingénieur » milanais, Giampiero Monguzzi, produit des photos pour authentifier l’aventure extraordinaire qu’il dit avoir vécue en compagnie de son épouse trois mois plus tôt : une rencontre avec un vaisseau « soucoupique » et un être venu d’un autre monde.
Ils avaient passé la nuit en montagne au refuge Marinelli et, très tôt en ce matin du jeudi 31 juillet 1952, repris leur randonnée pédestre vers le but qu’ils s’étaient fixé.

Tout d’abord effrayés, par « l’énorme plateau d’argent », le couple se réfugie derrière un rocher mais l’homme, surmontant sa frayeur, s’approche alors en gravissant la pente du glacier; et là, il prend deux vues de l’engin qui le surplombe majestueusement et se balance comme s’il n’était pas vraiment en contact avec la surface. M. Monguzzi se sert pour ça d’un appareil Kodak Retina 1 muni d’un objectif 1/3.5 ; l’engin immobile au-dessus du sol est tout d’abord visible.

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Le « pilote »

« Pendant un moment, rien ne se passe. Puis, je vois un homme recouvert d’un scaphandre dont l’aspect métallique réverbère la lumière venir dans ma direction. L’instinct de conservation me pousse à m’enfuir mais la peur me cloue sur place », raconta M. Monguzzi qui trouva le moyen de prendre une autre photo. « Il ne m’a pas vu car, en fait, il suit la périphérie circulaire de la soucoupe comme s’il en effectuait une inspection. Le diamètre de l’engin était d’environ 10 mètres et sa hauteur en son milieu de 3. »

« Il marche très difficilement, engoncé dans son scaphandre dont les contours m’apparaissent mal définis, comme peluchés. D’où je suis en contrebas, je ne distingue pas la soucoupe en totalité, mais j’aperçois quand même l’antenne à son sommet et une autre, plus petite, sur le sac à dos de la créature ».

Le décollage

Puis, le pilote semble avoir terminé son inspection. Il réintègre l’appareil sans bien montrer par où ; l’appareil « commence à tourner et décolle ». Il ne s’éloigne pas tout de suite mais survole le lieu, ce qui permet à l’observateur de compléter sa collection de 7 photos montrant l’engin à moyenne altitude, juste avant de disparaître derrière les crêtes rocheuses. Il est 9 h 27 du matin et le tout a duré moins de 5 minutes.

M. Monguzzi récupère sa femme terrifiée, restée cachée derrière son rocher, et quitte l’endroit non sans avoir vérifié que ni la soucoupe ni son occupant n’ont laissé la moindre trace sur la glace.


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La révélation aux médias

C’est sur la foi de ce récit gardé secret pendant 2 mois que commença la chasse aux 7 photos qualifiées « du siècle ». Milan, Bologne, Rome, la nouvelle déborda vite les frontières transalpines. Une agence américaine offrit 10 millions de lires pour obtenir l’exclusivité. Un hebdomadaire français proposa 2 millions de francs à l’agence Interstampa chargée de négocier les droits de reproduction des documents.

G. Monguzzi fit la une des journaux, fut sollicité tous azimuts mais des contradictions commencèrent à apparaître dans son récit et le contraste des ombres de ses photos souleva la suspicion des experts. L’affaire devenait douteuse. La tension s’accentua sur le témoin…

Sept excellentes photos d’une soucoupe volante évoluant comme à la parade avec, en prime, l’une d’elle montrant son pilote se dégourdissant les jambes sur le sol gelé d’un glacier à la frontière italo-suisse. De quoi émoustiller les médias et les ufologues ! Hélas, la soucoupe allait boire la tasse. Cela n’empêcha pas ces documents de contribuer impunément à l’iconographie soucoupique.

Trop beau pour être vrai

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En effet, tous les auteurs n’ont pas forcément eu accès à l’enquête de l’hebdomadaire italien Epoca, ce qui explique que le canular de M. Monguzzi ait eu « la vie dure »*. En Italie, certes, mais aussi ailleurs dans le monde car l’histoire n’eut pas besoin d’Internet pour se propager. Radar, en France, dénonça pourtant le trucage photographique. Et dans Le Journal du Dimanche du 17 septembre 1995, Yves Bosson, ufologue marseillais, rappelait l’imposture. C’est grâce à lui d’ailleurs que j’ai pu obtenir une copie du texte d’Epoca qu’il a eu l’amabilité de m’envoyer en tant que version intégrale reproduite par le cercle ufologique CUN dans sa publication Notiziario UFO. Qu’il en soit remercié ici.
Pour le reste (traduction), c’est l’aide de mon ami italien Giovanni Viola de l’A.I.R.U. (Associazione Italiana Ricerche UFO) qui me permet ici de vous en donner les détails.

Le témoin craque

Sous la pression des journalistes et aussi des importuns qui n’hésitèrent pas à mettre au jour sa vie privée (le rôle de sa femme Pinuccia n’était pas clair dans l’aventure), traqué par ce qu’on appelle aujourd’hui les paparazzi, Giampero Monguzzi, cuisiné, harcelé, céda et confessa son « stratagème » en ces termes : « J’ai fait un faux dans l’espoir de devenir journaliste. ».

En effet, il s’avéra que le témoin n’était pas ingénieur, mais un modeste technicien de 29 ans, chanteur amateur, vivant dans une ferme avec ses beaux-parents. Son rêve était de devenir journaliste et, quelques mois plus tôt, il avait proposé ses services comme rédacteur à plusieurs journaux locaux. Les réponses négatives lui auraient monté à la tête et contribué à sa folle décision de risquer son coup de bluff.

En retour, il en perdit son emploi et demeura au moins un an au chômage.

La vérité

Alfredo Panicucci, journaliste au journal Epoca qui avait été chargé de faire toute la lumière sur cette affaire, après avoir recueilli les aveux de la bouche même du mystificateur, publia son rapport dans l’édition du 8 novembre 1952. Prenons-en connaissance.

« Giampero Monguzzi et sa femme n’ont jamais vu la soucoupe volante pas plus qu’ils n’ont grimpé le glacier Scerscen. Ils sont arrivés, c’est vrai, jusqu’à la carrière d’amiante de Val Malenco, le 30 juillet, mais ils sont retournés à Milan, le soir même. Les sept photos dont tout le monde a parlé ont été faites le dimanche 5 octobre, dans un champ derrière la Cascina Bianca, à Vedano al Lambro où vivent les Monguzzi. »

La « recette »

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« Ce dimanche-là, peu avant le petit déjeuner, le découvreur de soucoupe volante (sic), prépara la maquette du glacier en creusant un trou suivant un dessin que lui avait fourni un ami alpiniste. Ensuite, il se restaura et coula un peu de plâtre pour faire plus vrai. Il photographia la scène en se couchant dans le trou pour mieux obtenir l’effet de surplomb. Cela lui prit 10 minutes et il fut aidé par ses cousins Mario et Alfredo. La soucoupe était en carton, assemblée avec du papier gommé ; son diamètre faisait 22 centimètres. L’homme d’équipage que plusieurs quotidiens ont cru « martien » n’est qu’un petit pupazzo (poupée) de 5 centimètres de haut couvert par du fil de coton peint en gris. La photo avec la soucoupe en vol a été obtenue en accrochant la maquette par un fil noir à la branche d’un prunier. »
Voilà donc le lamentable épilogue du cas Monguzzi.

Des séquelles persistantes

Bizarrement certains ufologues, même mis devant le fait accompli de faux, aiment à ratiociner à posteriori sur des petits détails qui entretiennent la confusion ainsi que le mythe.

Ce fut le cas, notamment, pour l’ambiance particulière rendue par la prise de vue de près du montage de Monguzzi. Le type d’éclairage très contrasté, l’horizon très rapproché et limité rappellent, en effet, (ou plutôt précèdent) les clichés que prendront les astronautes d’Apollo sur la Lune. J.-L. Vertongen souligne cet aspect « surprenant » et aussi le fait que la similitude entre la poupée modelée par Monguzzi et la tenue des astronautes américains est « assez étonnante ».
Plus récemment (1998), un ufologue italien n’a-t-il pas été plus loin en rapprochant la forme de la poupée en coton de celle du fils de Quetzalcoatl, grand dieu des Toltèques représenté par une miniature du Codex Borbonicus ! Là c’est trop, à mon humble avis.

Le mot de la fin

Et je trouve mon ami Giovanni plutôt indulgent quand il m’écrit : « Je pense que M. Monguzzi a eu une vraie aventure ufologique mais, ensuite, il a eu tendance à exagérer son expérience ». Tu parles ! J’aurais tendance, moi, à être plus sévère envers ces farceurs dont les scories non encore découvertes encombrent les annales de l’ufologie. Certes, M. Monguzzi n’a tenu son secret qu’un mois, mais c’est la seule circonstance atténuante qu’on peut lui concéder.

Un texte de MICHEL GRANGER pour les Chroniques de MARS © mai-juin 2018.

* Jean-Luc Vertongen, in Inforespace, juin 1982.
Publié initialement dans Dimanche Saône & Loire, les 11 et 18 janvier 1998.

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