I – Le corps est un Temple
« Tu n’es personne si tu ne t’aimes pas toi-même, tu ne t’approches pas de Dieu si tu ne t’approches pas d’abord de ton corps. »
José Saramago (1922 – 2010)
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Selon la Tradition primordiale, on a l’habitude en Occident chrétien lorsque l’on suit les voies traditionnelles de considérer « l’Éveil » comme l’ultime étape de l’Initiation.
Les raisons en sont simples, et parfois même simplistes, puisque la définition donnée à ce mot, de plus en plus galvaudé, varie considérablement d’un « maître » à un autre selon ses systèmes de compréhension personnels et selon les cheminements biographiques opérés (ou égarements) dudit « maître ».
Autrement dit la multiplicité des écarts, des orientations dogmatiques, des interprétations schématiques, détournent fondamentalement la signification emblématique de « l’Éveil » vers une sapience amoindrie et fragmentée qui en dénature radicalement le sens originel.
Dans cet énoncé relatif à la Tradition, (au sens de contenu exclusif détenant les savoirs de la Révélation et les secrets de la Nature), et surtout relatif à la place dévolue au corps dans celle-ci, bien peu on réussi aujourd’hui à dresser en Occident chrétien, (cheminant d’Orient en Occident), à l’instar d’un Gurdjieff ou de nos amis sudistes Daniel Giraud ou Charles Antoni, une praxis alchimique volontaire mettant en avant le corps énergétique comme témoin naturel et privilégié de l’incarnation – avant même l’âme ou l’esprit.
Évoquant les 3 niveaux de l’Initiation, de l’union des corps dans l’unité de la Création, nous bâtirons ici notre argumentaire sur la puissance immanente du corps physique – et sur l’ensemble des corps subtils le composant – tout d’abord en réitérant l’exigence du corps-matière formulée par Pascal et, secondement, à la suite de Spinoza, nous considérerons avec lui que l’homme ignore sa vraie nature, qu’il n’y a pas de prépondérance de l’âme sur le corps, et que le fondement du Monde causal ne se conçoit qu’en élaborant une identité absolue et linéaire de formes entre Dieu et la Nature naturante.
La plupart des « grands initiés » s’accordent, eux, à retrouver dans ce vocable facile d’ « Éveil », la matière – ou plus exactement la substance – capable de quintessencier le « véhicule terrestre », autrement dit le « corps physique », incarné dans les éléments composés et selon des règles karmiques impossibles à déroger. En général, et pour emprunter ce jour une voie de traverse en ce trop court liminaire, on s’accordera malgré tout à concevoir que l’Initiation aux Grands Mystères puise fondamentalement son énergie princeps dans une voie conjointe et supérieure, doublement formée, à l’image de l’ADN moléculaire, par deux brins ascendants et spiralés qui sont d’un côté la Connaissance Initiatique et de l’autre la Quête Spirituelle.
Le point d’attache entre ces deux voies résidant uniquement dans la clairvoyance de l’individu, initié-adepte, en quête sur le sentier, apte à fédérer les ponts lumineux ou mieux « les arches » qui stabiliseront ces deux structures. C’est donc dans la capacité de discernement, pour lui-même, seul, et grâce à la Parole perdue en passe d’être retrouvée, que les signes ostentatoires et les interrelations invisibles, jamais nommées, se trouveront confortés par le philosophe de la Nature sur son chemin de Compostelle.
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L’échelle de Jacob de la tradition biblique étant ici le symbole parfait de cette métaphore initiatique des « Deux Voies » que nous évoquons, symbolique angélique majeure que l’on retrouvera, ô combien, au plan hermetico-alchimique dans la planche I du Mutus Liber. Rappelons à ce propos, au passage et pour faire bonne mesure, la belle citation d’Andreas à Sédir dans Vers l’Initiation Christique : « celui qui sert les hommes sera un jour servi par les anges ».
La première de ces voies fait donc appel à la Connaissance, à l’étude des textes, à la transmission nécessaire et à la capacité de recevoir, par imbibition volontaire, les éléments influents et éthérés permettant à la Source de révéler de façon soli-lunaire le futur adepte. La seconde voie, via cette assation indispensable, considère la Spiritualité révélée à travers « la nuit de l’âme » comme l’épreuve absolue, œuvre au noir par excellence, dissolution élémentaire de l’ego par la décapitation de l’homme-corbeau devenu ange, juge de paix non négociable de la forge subie en préalable par l’initié en demeure de transcender la matière philosophale – faute de quoi son impossibilité à vaincre « la seconde mort » lui sera fatale.
Sur la thématique foncièrement initiatique de la décapitation, (sans aborder pour l’heure le culte primitif des têtes coupées des anciens Salyens), on retrouvera dans le Shiva Purâna de la tradition hindoue une symbolique tout à fait identique à celle que nous évoquons et qu’il nous apparaît nécessaire de formuler en quelques mots. Selon la mythologie védique, dans un accès de rage, le dieu Shiva sera amené à couper la tête du fils de Parvati, déesse de la procréation et de la destruction, (également parèdre de Shiva), ce dernier remplacera par la suite – et par remords – la tête décapitée par celle d’un éléphanteau. L’entité hybride, mi-homme mi-animal, (le plus souvent peint en rouge dans ses représentations traditionnelles), deviendra ensuite le vénérable Dieu Ganesh, Dieu aimé de la Sagesse – à tête d’éléphant – possédant quatre bras et plusieurs attributs divins dont la « Mâlâ », le fameux chapelet sacré comportant les cinquante lettres de l’alphabet sanskrit. La symbolique avérée de la décollation de l’humain-initié devenu dieu, évoque ici le fait permanent, dans toutes les Traditions, que pour accéder à l’Illumination ou à « l’Eveil », en sanskrit la « Shakti », (soit la conception de l’énergie divine féminine transcendée), il est absolument vital que le mental parfaitement isolé dans le chef (caput/tête) soit entièrement retiré et déconnecté de manière sacrificielle de la partie basse, purement corporelle, pour laisser entrer, de haut en bas, le flux divin, dans un processus de renonciation assumée.
II – Considération sur les faux maîtres
« J’ai vu tout ce qui se fait sous le soleil : tout n’est que vanité et poursuite de vent. » L’Ecclésiaste, I-14.
La plupart des « faux maîtres » (modernes et anciens) ont une méconnaissance redoutable de la pratique réelle de ces deux voies ancestrales puisque, dans la plupart de leurs écrits, commentaires, conférences didactiques ou autres, ils opposent sans raison, volontairement ou involontairement, l’une à l’autre de ces deux voies alors qu’il s’agit en réalité de deux sentiers chevronnés qui s’enrichissent perpétuellement, en miroir, l’un à travers l’autre – d’où d’ailleurs notre symbolique éprouvée de l’ADN.
Évoquant les 3 niveaux de l’Initiation, (nous ne parlons pas ici des « degrés » de l’initiation dévolue aux sociétés initiatiques convenus) on a coutume, par habitude, de dénigrer en Occident chrétien « le corps », l’ascèse, ou les voies strictement « corporelles », de types yoguique ou extrême orientale, au bénéfice de celles prédisposant volontairement l’âme ou l’esprit, éléments substantiels évidemment moteurs des deux voies citées plus haut, mais foncièrement restrictifs et pour tout dire incomplets dans leur acception puisqu’il existe également une corporification de l’âme et de l’esprit, considérant les lois de l’incarnation. L’héritage judéo-chrétien aussi souillé que méconnu n’étant pas étranger à une telle méprise.
Or, comme le disent à plusieurs reprises et de façon explicite les Écritures, (notamment dans Corinthiens, I-6), le corps est un Temple et la, ou plus exactement les, voies d’accès permettant de transcender la triplicité de la forme incarnée en corps-âme-esprit se doivent d’accepter à sa juste valeur comme un tout énergétique, suprasensible, l’individu insécable en quête de réintégration. Cet axiome ontologique formulé ici en hâte étant la clef de voûte absolue de notre démonstration.
La sublimation du corps, depuis l’antiquité grecque, prend ses lettres de noblesse dans une compréhension délicate mettant en évidence le fait que, renforçant le corps par la pleine maîtrise, celui-ci trouvera raffermi de facto le sixième de nos sens, permettant ainsi d’accélérer les processus d’Eveil et ce grâce à la maîtrise, relative ou absolue, de nos différents corps subtils et éthériques, progressivement dévoilés. Pour Platon, c’est dans la fortification répétée et dans l’entretien permanent du corps physique que l’âme immortelle retrouve force et vigueur et permet à celle-ci de s’élever puissamment en conscience vers l’empyrée.
Ajoutons, dès lors, que l’Éveil est donc, avant toute chose, la sublimation de l’être par les deux voies chevronnées citées plus haut et qu’il passe : – pour l’âme par la Révélation, – pour l’intellect par la Domination et – pour le corps par la Maîtrise et le surpassement de soi. Au sein de l’Oratoire, trois pratiques rituéliques et solidaires, applications de l’esprit et actes codifiés, sont alors à disposition du pèlerin pour entretenir en permanence la flamme magnétique de cette sublimation en devenir, elles sont : la Prière, la Méditation et la Contemplation.
A titre d’exemple quant à la transcendance du corps proposée ici dans notre exposé, indépendamment de celle de l’âme ou de l’esprit que nous développerons dans une prochaine étude, nous avons désiré pour illustrer notre propos présenter la vertigineuse ascension d’Alex Honnold, filmée en juin 2017, et récompensée par l’Oscar du meilleur film documentaire. Ici, la transposition symbolique de notre étude est plus qu’éminente.
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En dernier recours, au plan initiatique, il apparaît aussi nécessaire d’évoquer en guise de conclusion provisoire la notion « d’héritage », qu’il soit génétique, généalogique, initiatique ou karmique, sa valeur intrinsèque pour chacun étant le nœud gordien d’une telle dialectique métaphysique mettant en évidence le corps transcendantal comme réceptacle graalique de toutes les énergies cosmiques, voilées, révélées et illuminées.
III – En quête de sens – La mort initiatique et le dépassement de soi
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime. » (Jean XV-13)
Sans évoquer la Passion christique, il ne s’agit pas ici avec cette forte citation du Galiléen de conforter le dolorisme sacrificiel qui a tant œuvré malhabilement pour une méconnaissance du message Testamentaire, il convient, bien au contraire, d’accepter l’idée fondamentale qu’il faut apprendre à mourir en soi pour renaître en nous à plus grand que nous-mêmes. Cette approche singulière d’une inspiration nouvelle des cycles de la vie, à travers principalement l’épreuve initiatique, doit nous conforter dans l’idée supérieure que le voyage symbolique – et réel – de l’âme humaine désincarnée en quête d’un corps à animer, et à « délivrer », durant un laps de temps imparti et prophétisé sur la carte du Temps, demeure, depuis le sacrifice du Galiléen et de toute éternité, la seule quête authentique à entreprendre au plan théosophique. Parlant du corps et de l’esprit, et de l’attachement fidèle de l’un à l’autre, en vérité, la connaissance profonde et la compréhension ultime de la parabole du Verbe fait chair énoncée sans détour par Jean dans son troisième chapitre, verset 16, donnera à tout apprenti véritable, en quête sur le sentier, la clef essentielle et majeure de l’incarnation de l’Homme, en tant que genre, au sein du monde manifesté.
Pour achever, après avoir évoqué brièvement les « Deux Voies », nous n’appuierons pas ici dans cette trop courte présentation sur les 3 niveaux de l’Initiation et du dépassement de soi, sur la symbolique suprême de la Montagne ou de l’Église Intérieure, ni même sur l’aspect fondamentalement solitaire de la voie solaire – la si angélique Simone Weil en ayant écrit, avec une inspiration divine à nulle autre pareille, les pages les plus lumineuses.
Retenons pour l’heure que c’est dans l’ascension ultime de l’être – autrement dit mortelle – et dans la dimension purement verticale de cette ascension, à l’aplomb de notre destinée personnelle, que se mesure la souveraine densité de l’épreuve du corps sublimé face à sa dernière incarnation. C’est également le courage, le dévouement, la force, la volonté, le détachement, la charité et l’abnégation qui permettront, par la transcendance achevée, à la grandeur de l’âme du Monde de purifier en conscience la totalité des trois niveaux de l’Initiation en présence, « fondu mais non confondu », pour reprendre la belle citation de Maître Eckhart, au sein du Grand Tout cosmique.
Thierry E. GARNIER // « Chroniques de Mars » No 30, Équinoxe de Printemps, mars 2019.
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