Jeu fatal

                « Dans le monde d’après, des ombres assagies croisaient en silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants- pour quelles raisons, ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidence ? »

Le soleil vient de se coucher sur Calais. Comme chaque vendredi soir, Laura, Marie et Emma marchent dans les rues de la ville en direction du domicile de cette dernière. Depuis plusieurs années, les trois jeunes femmes ont pour habitude de s’adonner à leurs passe-temps favoris, les jeux de société. Elles sont presque arrivées à destination, lorsqu’un homme à l’allure étrange d’un teint pâle, les accoste sur le trottoir. Ce dernier tente de les inciter à le suivre et leur propose sans attendre de participer à un jeu grandeur nature. Sur la réserve, les trois amies déclinent sa proposition et continuent leur chemin. Arrivée devant l’appartement d’Emma, Laura s’arrête et se tourne vers ses amies, interloquées par la proposition de ce dernier.

— Attendez les filles ! Je sais que c’est un peu fou, mais si on y allait ! Marie et Emma se fixent un court instant, se demandant aussitôt ce qui arrive à leur amie.

Mais à force de persuasion, toutes deux se laissent convaincre et font demi-tour. Elles retrouvent l’individu au même endroit, appuyé contre un mur, semblant les attendre. Il les invite à le suivre dans une petite ruelle à proximité et accélère la cadence. Les trois jeunes femmes ne sont pas rassurées et réalisent alors leurs erreurs, mais il est trop tard ! Les voilà devant une bâtisse à l’allure glauque, qui leur file la chair de poule. Elles regardent autour d’elles, l’homme n’est plus là !

— Putain ! Il est passé où ? S’écrie Marie qui commence à monter en pression.

— Il était juste devant nous, il n’y a même pas cinq secondes ! Putain ! C’est quoi ce traquenard ? Réplique Emma.

Soudain, la porte de la maison s’ouvre et laisse apparaître ce dernier, sur le seuil de la porte.

— Vous êtes prêtes mesdemoiselles, je vous attends ! Vous êtes les dernières de la soirée, alors entrez vite, que je puisse rentrer chez moi !

 

— Vous voulez dire qu’il y en a eu d’autres avant nous ? Demande Laura.

— Bien entendu ! Notre jeu est très demandé par les habitants de cette ville, n’ayez aucune crainte, ce n’est qu’une petite attraction comme les autres, rien de plus !

Les trois amies ne sont pas sereines, mais décident tout de même d’entrer dans cette habitation, histoire de voir de quoi il en retourne ! À peine les pieds posés sur le plancher poussiéreux et nauséabond, qu’elles perçoivent dans l’air, une odeur infecte qui empeste dans toute la pièce. Ce n’est pas de très bon augure chuchote Marie à ses amies, mais ces dernières ne l’entendent pas de cette oreille et s’avancent sans elle au centre de la maison. Marie, restée seule observe avec attention ce qui l’entoure. Tout n’est que vieilleries et autres néfastes objets affreux qui ne lui disent rien qui vaille.

Plusieurs minutes de recherches intensives et toujours aucune trace de ses amies. Mais où sont donc passées Laura et Emma ?

Elle a beau les chercher dans les moindres recoins de cette bicoque délabrée, elles demeurent introuvables ! Jusqu’à cet instant précis, où elle entend de légers murmures qui résonnent à ses oreilles, comme un appel de détresse. Cela semble provenir du grenier, mais une immense armoire lui bloque le passage et l’empêche de poursuivre son chemin. Quelle poisse se dit-elle !

— Les filles, je vous préviens que si c’est encore une de vos farces à la con vous allez me le payer cher ! Pourquoi je vous ai laissé m’embarquer dans cette histoire, merde !

Aucun bruit, tout devient silencieux !

Marie commence alors à entonner ses chansons favorites pour se donner du courage, mais lorsqu’elle entend de nouveau les hurlements de plus en plus puissants, elle se blottit contre un mur tétanisé.

— Rendez-moi mes amies, espèce de dégénéré !

Un cliquetis retentit dans la pièce, comme si une porte venait de s’entrouvrir, pourtant Marie n’en aperçoit aucune !

Cette odeur devient de plus en plus présente, comme si quelque chose tout proche d’elle, était là. Elle prend alors son courage à deux mains, essuie ses petites lunettes remplies de poussière et avance à tâtons dans la pièce. L’obscurité l’entoure, comme si à présent tout n’était que ténèbres. Elle marche lentement sur le sol moisi, éclairé par les faibles lumières de l’extérieur, comme si le monde venait de s’écrouler autour d’elle. Marie réalise avec effroi, l’horrible vérité qui lui fait face. Devant elle, se trouvent ses deux amies, attachées pieds et poings liés, à une espèce de boîte suspendue dans le vide. Ses plus grandes peurs lui font face, lorsqu’elle tente de s’approcher. Elle réalise avec horreur, ce qui se trouve à l’intérieur. Laura et Emma inconscientes, sont  entièrement recouvertes d’insectes. Araignées, guêpes, tout ce qu’elle déteste est là tout proche. Que peut-elle faire pour venir en aide à ses amies, qui risquent de mourir si elle ne tente rien !

— Relâchez mes amies ! S’écrie-t-elle à voix haute, on ne vous a fait aucun mal, pourquoi vous nous faites ça !

Soudainement, un frisson parcourt sa nuque, comme si quelqu’un se trouvait derrière elle. Le temps de réagir, c’est trop tard !

Sa respiration devient de plus en plus lente, elle peine à ouvrir les yeux, mais les cris de ses amies toutes proches, l’y oblige. Elle rampe parmi les araignées, hurlant de douleur et agrippe Laura et Emma par les poignets qui suffoquent et semblent manquer d’oxygène.

— Les filles tenez le coup, je vais vous sortir de là !

— Fais vite ! Chuchote ces dernières, à bout de souffle.

Mais à peine a-t-elle prononcé ces mots, que l’individu responsable de leur présence ici, fait son entrée et apparaît à leurs côtés. Il n’est plus cet homme au visage pâle qu’elles avaient aperçu un peu plus tôt, mais une créature immonde tout droit sortie des enfers ! Grand et visqueux, recouvert entièrement d’une peau semblable à celle des serpents, il rampe jusqu’à elles et leur fait face. Le sommet de son crâne rempli d’écailles verdâtres, percute le sommet de la boîte, qui se brise en fines brindilles et atterrit à leurs pieds. Les jeunes filles terrifiées se recroquevillent contre la paroi et n’osent bouger face à ce monstre venu d’ailleurs. Mais Emma, qui a repris son souffle, pestifère contre lui et le menace de lui infliger une bonne raclée.

— J’ai fait du Karaté espèce de monstre sans poils, ose encore une fois nous menacer et tu verras bien !

— Arrête tes bêtises ! chuchote Laura, nous ne sommes pas de taille face à lui…

Laura se terre dans le silence. La créature vient de se métamorphoser en guêpe géante qui transperce Emma de son dard, puis la déchiquette en petits morceaux. Marie se met à pleurer en sanglots, tiraillée entre la peur et le chagrin d’avoir perdu son amie, tandis que Laura bien décidée à les faire sortir de là, tente une échappatoire par le plafond.

— Laura arrête ! Hurle Marie, je t’en prie, ne fait pas de bêtises ! J’ai déjà perdu Emma, je n’ai pas envie de te perdre toi aussi !

Laura s’arrête une seconde, perplexe et fixe la bête toute proche, qui semble dévorer avec enthousiasme, leur amie.

— Rappelle-toi Laura, lorsque nous avons gravi les marches du phare, j’étais fatiguée et épuisée par l’ascension, j’étais sur le point de craquer, mais tu m’as soutenu. On va s’en sortir ma sœur !

Laura accourt vers son amie et la prend dans ses bras. Toutes deux fondent en larmes dans les bras l’une de l’autre, sous le regard méprisant et réjouissant de la créature qui recouvre alors une nouvelle apparence. En cet instant, les deux amies savent d’ores et déjà leur destin scellé. Rien ni personne ne peut leur venir en aide. Elles restent soudées l’une contre l’autre, alors que la bête transformée en mante religieuse s’approche lentement d’elles. Les yeux fermés, elles ressentent leur fin approché, mais elles n’ont plus peur, puisqu’elles sont réunies.  Pouffant de rire, la créature leur fait face. Prête à en finir, elle déplie ses pattes avant, qui encerclent et broient férocement les deux jeunes femmes qui hurlent de douleur. Le monstre ne s’arrête pas là, leur brisant le crâne pour aspirer leur cervelle avec délectation, le sang dégoulinant de partout. Ainsi se termine l’existence des trois jeunes femmes qui avaient encore leur vie devant elles. Finir de la sorte est atroce, jamais elles ne pourront revenir en arrière, pourtant elles auraient pu changer les choses. En effet, il y a trois semaines, au cours d’une de leurs soirées, les trois jeunes femmes ont émis à voix haute, vouloir connaître le véritable frisson en participant à un jeu réaliste. Elles ne se doutaient pas que ce soir-là, qu’un démon joueur, était tapi dans l’obscurité et avait tout entendu de leur conversation. Leurs morts aussi tragiques soient-elles, est la preuve évidente qu’il se peut qu’ils vous surveillent et soient là tout proches de vous, attendant de s’en prendre à vous ! Méfiez-vous des grands types au visage pâle qui vous abordent dans la rue, c’est peut-être vous sa prochaine victime !

 

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