Le monde d’après

 

 

Dans le monde d’après des ombres assagies croisaient en silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants.

Pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidence ?

Seraient-elles pressées de laisser la place aux prochains fantômes, aux prochaines ombres que les écrivains réduiront en cendres ?

Venu du lointain, un souffle chargé d’un fardeau pesant, sans origine ni lendemain, colporte sa besogne inlassablement. Il traverse la plaine, se traîne et racle le sol de cette immensité sereine. Les grains de matière, aux mille reflets, assis là par une histoire millénaire qui pas à pas les a installés, s’élèvent, muent par le souffle, en volutes désordonnées.

Ce sculpteur éolien irise son passage d’un spectre aérien, des tourbillons de poussières qui mélangent passé et présent, cendres et terre.

Porté sans peine par les courants, il navigue nonchalant. La yeuse frissonne, se débat et abandonne. Il continue sa route toujours plus vorace pour semer le doute sur chacune des places. Pénétrant, il inonde les champs, escalade les collines, aussi alerte et cruel qu’une fouine. Il parvient jusqu’au village, se laisse inhaler quel que soit l’âge et glace d’effroi toutes les âmes qu’il côtoie. Ce souffle est celui d’une rumeur qui, de bouche à oreille, enrichit une peur. Ironique, satirique ou véridique ?

La rumeur d’une importante guerre prédicatrice, ou une rumeur de guère d’importance ? Un murmure chuchoté dans l’entonnoir d’un cornet, acte d’insouciance lourd de conséquences ou un savoir sans consistance ? Non ce souffle est bien pire qu’une guerre. Si lointain, qu’il ne peut être que la respiration du Divin. La peur qu’il inspire, aujourd’hui comme naguère, meurt quand plus homme ne respire. Et rend à la terre, sa poussière.

Des cendres qui rendent les regards luisants de fierté et pénétrants d’orgueil à ceux qui se hâtent de disparaître en fumée.

Le murmure à peine audible, devient plus assourdissant, un écho plus retentissant que toutes les trompettes de Jéricho. La symphonie, à pas cadencés, ondule des aigus aux graves et se transforme. Le spectre de volutes vient peu à peu à s’épaissir, à prendre forme.

Brutale de réalité, la poésie d’une rumeur, une mélodie venue d’ailleurs s’abat, telle une onde de choc.

L’apocalypse n’est pas un compte, une légende, un mythe mais une réalité. L’Ecrivain revient aujourd’hui pour écrire cette version de l’histoire pour la sixième fois. Ses cibles sont déjà listées et planifiées, mais un contre temps l’oblige à s’arrêter dans un village du sud de la France, en Provence.

Les villageois informés par différentes sources ont d’ores et déjà leur première réponse : c’est bien lui. Pourquoi ici ? Ils savent que l’Ecrivain est le seul auteur à ne pas connaître l’histoire qu’il va écrire mais que le village fait parti du récit d’une manière ou d’une autre.

Une réponse entraîne beaucoup de questions. Au fur et à mesure que les interrogations s’estompent, le spectre se nourrit

Il prend vie dans un village du centre var baigné par le soleil, caressé par le mistral et ravagé par la peste noire. Epidémie qui, au moyen age, causa 20 millions de morts et décima la moitié de la population européenne. En 1348 elle apparaît et vague après vague sème le désastre auprès de la population Pontoise, déjà affaiblie par des récoltes insuffisantes. Le village se vide mais résiste. La guerre de 100 ans perd son comburant, s’amenuise et lâchent ses chiens. Les routiers, ces mercenaires en manque de sang et d’argent, déferlent alléchés par l’odeur de la fragilité, apportant leur lot de terreur. Les seigneurs environnants, les moins touchés par la maladie, ceux à qui il reste encore de la chair à brûler, voient en ces périodes sombres, l’aubaine d’acquérir les terres d’un voisin à l’agonie. Les derniers habitants fuient se réfugier dans le bourg non hostile et fortifié de Barjols. En 1433, le fléau, mi peste mi hommes, éradiqua toutes vies à Pontevès.

A la fin des troubles, en 1470, le seigneur de Pontevès sans sujets, se trouva fort dépourvu. Il pria un seigneur italien avec qui il a du sang mêlé, du compté de Naples de lui venir en aide. Celui-ci enverra une trentaine de familles volontaires à l’immigration pour repeupler le village.

Une population de 800 habitants aujourd’hui tourmenté par la rumeur et terrifié par la silhouette de l’écrivain qui arpente, sonde, recherche, apparaît puis s’évapore, insaisissable.

Les citoyens s’agitent, crient, divaguent, gémissent. Finalement le maire hurle et opte pour répandre de la chaux vive sur toute la commune. « Au scandale vocifères les uns, qu’allons nous faire s’interrogent d’autres. »

– Foutons le scribouillard dehors, qu’il aille détruire ailleurs.

L’idée était relativement judicieuse mais les regards, pour seule réponse, traduisaient la réflexion commune. Brûler le symbole d’une conjoncture ne réduit pas les problèmes.

– Qui a  essayé de lui parler ? Personne !

– Tu l’as fait toi!

 

– Mais tout va bien, pourquoi la fin du monde arriverait, on ne roule pas sur l’or mais on vit bien.

 

– Si il est là, c’est que ça ne va pas si bien.

– Nous pensons que sa présence alors que rien n’est encore arrivé indique que nous pouvons encore faire quelque chose. Nous pouvons peut être entrer en communication avec lui et faire ce qu’il nous dit.

– Dieu nous viendra en aide.

– Si ça se trouve, l’écrivain est son nègre.

Autour de ces neuf personnes, la tempête gronde toujours. Certains vides leurs armoires et préparent leur fuite, pour d’autres les réserves de chaux. Le bruit des coups de marteaux de ceux qui se cloîtrent couvre par moments les multiples sons entremêlés de l’agitation. Les nuages de poussière qui s’éparpillent du haut des ruelles étroites rappellent la présence de l’écrivain et exacerbent les sens des habitants. Des villageois apeurés, attentifs au moindre éternuement.

En Europe au moyen age, l’éternuement annonçait peut être les prémices de la peste. A tes souhaits, trois mots en guise d’absolution : que pour les quelques jours qu’il te reste à vivre, n’ais plus peur de réaliser tes rêves. Orgies et arts pour les uns, revendications salariales pour les autres. Poussé par le monde arabe en expansion, inspiré des inventions de Chine et d’Inde et porté par les comptés, de Gênes et Florence, épargnés de l’obscurantisme, l’éclosion d’une autre histoire s’écrivait : la Renaissance, ou la première réforme sociale continentale.

Mais pour Pontevès l’éclosion est celle de la méfiance. Au fil des heures le manque de pensées créatrices craquelle la masse et sépare par des fissures l’immensité en îlots. Comme le sol d’un été caniculaire, le désarroi sépare les villageois en petits groupes ou la communication ne permet plus de combler les fossés.

Des villageois si critiques de coutumes, devenus muets pour la circonstance. Et aucun signe de leader, chef ni même de roi, sage ou dictateur.

Tandis que l’écrivain erre inlassablement, il hume, renifle, à la recherche de la raison de sa venue à Pontevès. Il s’impatiente, tout est prêt, les crises économiques : américaine et chinoise attendent l’étincelle. L’argent qui n’a de valeur que la foi qu’on lui porte. La mondialisation, un néologisme trompeur pour désigner une troisième guerre mondiale silencieuse mais tout autant ravageuse entre les puissant : les très riches et les exécutants.

Puissants qui détiennent également l’outil de fabrication : l’industrie, la métallurgie. Savoir acquit et forgé par le peuple pour son développement. L’énergie, les ressources en eau…, la logistique : les transports de marchandises qui comme les récoltes apportent abondance ou famine. Tout est prêt pour appauvrir toujours plus les peuples et concentrer les richesses à quelques uns. La délocalisation, le chômage, le racisme, les tensions populaires…

Toutes les mégapoles qui ont été gouvernées par ce même principe de capitalisation à outrance se sont détruites de l’intérieur. Une haine provoquée par le mélange de famine et de profusion, par la réduction de la pensée pour les peuples et la liberté absolue pour les puissants. Des mondes si éloignés que même les lois universelles ne peuvent plus réunir. Deux atomes devenus incompatibles.

Les volcans sont actifs, les bactéries sont là. Le réchauffement climatique…Tout est prêt, l’écrivain ne comprend pas.

Puis il croisa le regard de Claire.

-C’est donc toi qui détiens l’étincelle dans le creux de tes mains.

-C’est toi qu’on appelle l’écrivain ?

Claire une adolescente de 15 ans, un jean, un pull, un visage, des yeux marrons, une entité représentative des êtres humains, comme la majorité, capable de passer inaperçu en collectif. Tant que vous ne croisez pas son regard. Alors un charme s’opère. La profondeur vous entraîne dans l’exponentialité et vous laisse sonder l’immensité de son imagination, jusqu’aux portes de sa pensée. Où vous sentez la force de son caractère. Une force armée de douceur et d’audace. Claire ne se pose pas de questions existentielles, elle suit son bonheur. De la lui vient sa détermination et la certitude d’être toujours au bon endroit au bon moment. Un regard sincère, sans contrôle, que la lumière du soleil rend pétillant. Des yeux qui portent une conscience, celle de maîtriser une prouesse évolutive : son corps. Un assemblage qui s’est construit en tétant le sein d’une nature somptueuse et cruelle. Un parent schizophrène tantôt clément tantôt impitoyable qui l’a poussé à devenir une entité intouchable. La première espèce élue par sa domination intellectuelle. Et qui a remplacé sa terreur par une force, celle du pouvoir de l’union.

Un charme qui vous contraint d’abord au sentiment de jalousie pour finalement succomber à l’adulation.

-D’où viens tu, c’est Dieu qui t’envoie ?

-Je suis comme les mathématiques, je n’ai pas besoin d’un Dieu pour exister. Je viens de l’immense réservoir de potentialité qu’est l’absolu. Je me suis matérialisé parce que les paramètres de l’équation de destruction massive sont réunis, j’ai pris forme pour écrire le scénario de cette sixième apocalypse mais le vent m’a conduit jusqu’à toi et à me perdre dans tes yeux.

-Je suis touchée de l’égarement que tu trouves en moi. Et honorée d’être le contre temps fâcheux d’une si belle histoire.

Pourquoi moi ?

-Je n’ai pas la réponse à ta question, jusqu’à présent, j’avais comme encre les mathématiques. Le déroulement de mon scénario et le résultat ont toujours été faciles à écrire. Un astéroïde à telle vitesse, dans telle direction, percute la terre avec telle énergie… Les algues, qui absorbent l’oxygène et recrache du gaz carbonique, prolifèrent à telle vitesse, donc l’air sera irrespirable pour la vie aérobique en un temps donné… Vu les courants d’air, le lieu et l’importance de l’épanchement volcanique, telle partie du globe sera impacté…Et je conclus mes ouvrages par donner le pourcentage d’espèces restantes.

Avec votre arrivée sur terre j’ai pu assister, depuis l’absolu, à l’explosion du savoir. Le flot d’information est devenu exponentiel. Il ne m’a pas fallu long temps pour comprendre que votre espèce compliquerait l’écriture de mon prochain manuscrit.

-Sûrement que ça se complique, l’écrivain, j’ai moi aussi une histoire à écrire.

-J’en arrive à la même conclusion, si malgré toutes les circonstances, je n’ai pas encore pu commencer mon œuvre, c’est sans doute parce que ton histoire et celles de plusieurs de tes confrères sont à joindre à mes paramètres habituels.

Et je t’avoue que je ne sais pas, comment de mon fusain, noircir votre destin.

-Pendant un instant, j’ai cru que par mon regard, j’arrêterais le temps pour te laisser hagard.

Que notre rencontre éviterait le cataclysme.

-Non, j’ai pris forme et je m’évanouirai dans le lointain dés que j’aurai tourné la dernière page. Ce que je peux te dire, c’est que l’équation de destruction est égale au potentiel nécessaire à la continuité de l’évolution. Autrement dit, l’ampleur du désastre est fonction de la vie qui doit obligatoirement rester.

-Quelque soit l’histoire que tu écriras l’écrivain, nous rebâtirons.

-J’en ai pris conscience dans ton regard, sache que je ne déplore ou ne me réjouis pas d’un cataclysme même si je m’en orgueillis. Ta colère ne sert à rien contre moi. Je n’ai jamais effleuré le bien ou le mal en traversant l’absolu. Cette notion n’a de sens que dans vos esprits ou vos règles sociales. Elle n’a de vérité, uniquement celle que vous lui attachez.

Rebâtissez, tant que vous aurez choisi la destruction comme principe de renouvellement, je reviendrai détruire. Jusqu’à ce que vous ne fassiez plus parti de ceux qui doivent continuer.

Pour l’heure, il n’y a aucun doute, ni dans ton regard, ni en l’avenir. Je n’ai pas encore l’équation concernant ton histoire et celle de tes confrères mais je sais pour ma part que je suis la cause et qu’à ma venue, il y a forcément des effets.

-Comme disait un confrère, veni, vidi, vici. Je suis arrivée en sursis, j’en ai bavé pour y rester et maintenant que j’y suis, non seulement je vais te dicter ce que tu vas écrire à mon sujet mais si en plus tu me dis que nous sommes plusieurs, je te dirai comment ça fini.

Un cri distordu en guise de rire.

-Le devoir nous appelle et je ne te dis pas adieu mais au revoir. Notre prochaine rencontre me dira peut être pourquoi nos destins se croisent.

Le courant d’air soulève la poussière.

Claire fixe l’horizon.

La yeuse frissonne.

Le bonheur a toujours guidé ses pas.

Le spectre éolien traverse l’atlantique.

L’image du général romain qui guide ses légions vers la grandeur de Rome.

Les cendres obturent le poumon des états unis.

Sa décision est prise.

Impitoyable et méticuleux, effrontée et sûre, les deux archanges sonnent la charge.

L’asphyxie des banques comme à son habitude, carbonise les projets et avenirs de centaines de milliers de familles.

Au fur et à mesure qu’une rumeur s’installe de bouche à oreille, elle immobilise peu à peu les Pontois par la stupéfaction. Avec un arrière goût de calme avant la tempête, il vient aux ouies des citoyens que Claire est l’œil du cyclone.

L’asphyxie se transforme en cancer et se propage en l’empire du milieu, nom qui aujourd’hui à juste titre est le poumon fiduciaire d’une majeure partie de la planète.

Plus qu’un sursis ou un non lieu, l’espoir, conditions inhérentes aux combats perdus. L’espoir affole les cœurs et regorge les veines d’un sang chaud et endurant.

A mesure que les chiffres des comptes en banque s’effacent, l’eau monte déferlant son flot de migrants vers des cascades de barbelés, explosant la masse en minuscules gouttelettes d’écume, rouge vif.

Comme pendant la peste noire, le lâcher prise, dernier souffle face à l’inéluctable, sur des préjugés sociaux, sur les règles et limites du bien et du mal, sur la pression de conformités, implosent en silence et relâche avec autant de pression et d’énergie : l’inventivité et la créativité.

Les Dieux ressurgissent de l’antiquité, Eole inspiré par le réchauffement climatique redore son blason. Poséidon déferle ses vagues géantes sur les parties côtières les plus peuplées. Vulcain vomit son impatience des quatre coins du globe. Zeus en chef d’orchestre harmonise les coupures de courants en une nuit sans lune.

La conjoncture a toujours fait la force du cataclysme.

La capacité d’aimer de l’homo sapiens, supérieure à toutes les espèces passées ou présentes, lui confère bien plus qu’une conjoncture favorable. L’étendue de l’émotion amour lui apporte une interconnexion, un lien indéfectible, jusqu’à ce que le danger écarté, il soit effacé par l’individualisme. Moteur surpuissant issue de la rage de survivre.

Le désert se répand, épanchant la soif des plantes acides à cracher leur venin. La tension populaire jouit, se retient, puis laisse les âmes touchées par les sept péchés atteindre l’orgasme. Le point de non retour, le moment ou leur conscience légitimise leurs futurs crimes et abominations. Le fascisme apparaît dés lors, comme une réponse et une escalade vers le crime de masse… L’apocalypse.

Une fois, l’espoir, le but, la créativité, l’union, tous les paramètres présents, la mécanique de la capacité évolutive s’enclenche amenant à d’autres consciences, d’autres devoirs.

L’écrivain relit sa copie et corrige les détails, répare les oublis. Claire voit se dessiner la route que trace son bonheur.

La planète est fractionnée entre cendres et désarroi et terres encore fertiles. Des îlots en sursis, entourés de ruines, où les ombres assagies reposent en silence.

Le temps de la colonisation des niches écologiques, laissées par le désastre, est revenu. Dans l’œil du cyclone, le charme de Claire sévit une fois de plus. Malgré l’arrogance, son aplomb indéfectible transforma la rancœur et le doute en certitude qu’elle était la bonne personne à suivre. Une entité capable de diluer le pouvoir. La noirceur des événements qui planaient, quand à eux ne laissaient aucune hésitation sur la question de quand agir. Ou, quand et qui, la création se résume à cette trinité. L’objectif est quant à lui, dicté par la conscience. Quelques jours suffisent à comprendre une erreur, réfléchir et l’intégrer à soi. Tirer des conséquences, adapter, pour finalement maîtriser.

La rumeur souffle sur les braises, attisant une dernière fois la joie des âmes en peine éreintées par la tache. L’écrivain revient, plonge dans les yeux de Claire et se heurte à un mur de béton. Claire a changé, elle a évolué. Mais pas l’évolution que l’écrivain connaît, pas celle qui optimise, améliore les instincts qui sont des mécanismes de défenses et les réflexes qui en sont les actions. Claire a fait évoluer sa conscience.

L’écrivain commence à comprendre pourquoi avec les hommes son histoire a été bien différente des autres. Il comprend qu’un stade évolutif est atteint. Lui mieux que quiconque connaît le son du cliquetis métallique. Comme le métronome d’une horloge qui régulièrement et inlassablement rappelle que le temps passe et ne s’arrête pas. Le cliquetis de l’évolution rappelle la même certitude que celle de l’horloge. Le mécanisme qui permet d’avancer n’admet aucun retour en arrière. Aucune apocalypse n’a été la cause d’une régression, mais le début d’une autre ère.

L’homme est là.

 

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