Celui qui pense, celui qui rit
Dans le monde d’après des ombres assagies croisaient en silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants – pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidence ?
Nous n’étions pas censés poser la question. Ni à haute voix, encore moins pour nous-mêmes. Le secret de la pensée individuelle avait été proscrit. Les interrogations, les questionnements n’avaient plus lieu d’être. Avaient-ils seulement existéavant ? Ils pensaient à notre place, nous donnaient les réponses aux réflexions que nous n’avions même pas encore esquissées. Nous disaient-ils la vérité ? Non, bien entendu. Ils nous apportaient la seule explication que nous étions en capacité de comprendre. La seule à notre portée. La seule acceptable.
Pourtant à ce moment précis, je pensais et m’interrogeais. J’avais toujours été là, comme prisonnier d’un moment présent qui n’évoluait pas, n’engendrait rien, ne passait jamais. Il me semblait bien avoir gardé en mémoire ce que j’avais pu faire auparavant ici, dans ce monde et peut-être même dans un autre. Était-ce là, un songe ou la réalité ? Je n’aurais su le dire avec exactitude. Il n’existait en ce lieu, qu’une temporalité, celle que j’éprouvais sur l’instant.
En levant la tête et en observant les lumières déclinantes, quelque chose avait cependant changé. Comme la foudre frappant et incendiant hasardeusement une forêt. Alors qu’il ne lui manquait que la pluie, elle recevait le feu. « Foudre », « forêt », « pluie » ? De quoi parles-tu ? Des mots inconnus jaillissaient et s’entremêlaient anarchiquement sous mon crâne. Qui me les souffle ? D’étranges images envahissaient mon esprit. « Esprit » ? De quoi s’agit-il ? Mon corps fut secoué par un déconcertant mouvement interne, un nouveau fluide semblait le parcourir. « Sensations » me chuchota-t-on.
La confusion s’emparait de moi. J’interrompis net ma course. Une ombre me bouscula et s’excusa machinalement, tête basse. Elle émit un son plus qu’un mot mais je la compris. Elle reprit sa place dans la longue file de silhouettes sombres qui ondulait inexorablement en prenant soin de me contourner. De tous côtés, j’étais cerné d’interminables traînées noires mouvantes. Toutes convergeaient vers le dôme, semblables à ces lignes de fourmis travaillant sans relâche pour la survie de leur colonie. C’est donc cela, que nous sommes ? Des fourmis ? Je connais le mot, j’en vois mentalement les contours mais je n’arrive pas à saisir intégralement de quoi il s’agit. C’est étrange et terrifiant à la fois. C’est tout simplement absurde, insensé… Que fais-je ici et d’abord, où suis-je ?
Pourtant je sais ou alors, crois-je simplement savoir… Ne serait-ce là qu’un mécanisme induit, un simple automatisme, une habitude et nullement un choix personnel ? D’ordinaire, dans cet éternel recommencement, j’étais censé me rendre directement, comme tous les autres, là-bas, sous ce dôme de verre luminescent. Pour faire quoi exactement ? Une brume recouvrait ma toute récente et nouvelle forme de pensée. Des vagues d’anciens souvenirs venaient se fracasser contre les falaises de ce que je considérais jusqu’alors comme des certitudes. Une violente tempête se déchaînait à l’intérieur de moi et prenait d’assaut mon for intérieur. Je ne savais comment y faire face ou comment m’en défendre, je ne pouvais qu’encaisser silencieusement. C’est alors, qu’à nouveau, tel un phare dans la nuit, une lueur attira mon attention. Une forme lumineuse s’approchait et me fit reprendre conscience de l’endroit où je me trouvais. Elle s’immobilisa devant moi, sans un bruit. De ses yeux incandescents, elle m’observa longuement. Que va-t-elle faire ? Me punir ? Est-ce elle qui m’a mis ces trucs dans la tête. Ces… pensées ? Je sentais la chaleur de son regard parcourant minutieusement l’ensemble de mon corps et ne la quittais pas des yeux,suspendu à son bon vouloir, dans l’attente et la crainte d’une quelconque punition qui assurément, finirait par me tomber dessus. Cependant, il n’en fût rien. Elle me sourit et enfin, s’en alla. Qu’étais-je donc censé faire ?
Après quelques instants d’hésitation, je repris ma place dans la ligne d’ombres. J’avais peur. J’étais terrifié. Comme un nouveau-né quittant pour la première fois la sécurité de son utérus et débarquant dans un monde inconnu, je me rattachai à la seule chose qui m’était toujours familière et que je ne mettais pas encore en doute : les autres, les silhouettes sombres dont je faisais partie. Il n’y avait ici,que deux sortes d’êtres. En était-il autrement avant ? Je n’aurais pu l’affirmer avec certitude. D’une part, il y avait les conscients. Grands, lumineux, ils étaient peu par rapport à nous autres, mais on ne voyait qu’eux. Ils éclairaient l’ensemble de notre monde, peut-être l’avaient-ils même bâti ? La lumière dont ils étaient les gardiens et les porteurs était la seule source d’énergie dont notre planète disposait. Nous, les sombres silhouettes, n’existions que grâce à eux. Sans eux, nous n’étions qu’un amas d’ombres et de ténèbres, incapables de marcher droit. Vraiment ? Quoi qu’il en soit, notre rôle était simple, inné et immuable : nous traversions notre terre, la foulions de long en large et revenions ensuite au dôme. Pour y faire quoi ? Je n’arrivai pas réellement à me le remémorer ou sans doute, ne l’avais-je jamais su.
À mesure que les lumières déclinaient toujours à l’horizon, je poursuivais ma lente et régulière avancée au sein de la file ténébreuse. Les interrogations s’accumulaient sans cesse dans mon esprit et tout à coup, l’idée que les conscients nous abandonnaient les supplanta toutes. Je ralentis ma cadence et tournai mon regard dans toutes les directions à la recherche d’un des leurs. Je n’en voyais aucun. Rien que le ciel sombre ainsi que le sol poussiéreux à perte de vue. Une chose me dérangeait plus que tout : comment pouvais-je voir sans la lumière d’un conscient pour me guider ? C’était là une énigme de plus… Les files voisines poursuivaient implacablement leur course, dégageant un léger nuage poudreux mais, derrière moi, les autres ombres s’étaient calées sur mon propre rythme. J’avais l’impression d’être le grain de sable dans une machine bien huilée, celui qui faisait basculer l’ordre établi, la marche de notre monde. Je me sentis tout à coup extrêmement puissant. Je pensais, m’interrogeais, le conscient m’avait souri, à moi, une ombre parmi tant d’autres. Je ne pouvais me trouver dans la mauvaise voie. J’étais désormais le chef de file et je pouvais mener celles qui me suivaient où bon me semblait. Était-cela, la finalité, le but de notre vie, à nous autres, les sombres silhouettes : s’émanciper, prendre le contrôle de nous-même ? Oui mais pour faire quoi ? Pour continuer d’arpenter cette planète désertique ?
Non, tu as commencé à penser car les lumières sombres faiblissent… C’est vrai, l’étincelle n’était pas venue de moi. Mais de qui ou de quoi alors ? Tout cela est bien compliqué… Je ne cessais de me poser des questions et personne n’était là pour m’apporter les réponses. Où sont-ils tous donc ? Peut-être en avaient-ils eu assez de nous nourrir, de nous protéger, de nous occuper et de répondre à la moindre de nos interrogations ? Faisaient-ils seulement réellement tout cela ? L’étonnement avait tout d’abord fait place à la panique puis, à l’enthousiasme. C’était désormais la colère qui m’animait et pour la première fois de ce qu’était mon existence ici, car je le savais bien, j’en prenais de plus en plus conscience, j’avais habité un autre monde, un autre corps, vu d’autres paysages, croisé d’autres êtres, aimé, pleuré – pour la toute première fois, j’eus envie de hurler. En réalité, il ne s’agissait nullement d’une envie mais d’une nécessité et dans un cri résonnant dans toutes les directions à la fois et s’évanouissant dans l’immensité plate de ce monde, je rugis :
« Pourquoi nous donner tout cela, cette vie, ce monde, ces pensées, si c’est pour nous laisser seuls avec ? Ne voyez-vous pas ? Ne comprenez-vous pas que tout cela est absurde, qu’il n’y a aucun sens là-dedans ? »
Je tombai à terre, épuisé, comme si j’avais laissé échapper toutes mes forces dans cette vindicte stérile. Une à une, les ombres, qui m’avaient jusqu’alors suivi, me passaient sur le corps. Légères, vaporeuses, étrangères à ma peine, indifférentes à mon sort. Je restai là un bon moment, exténué, triste, écrasé par toute l’absurdité de ce monde, vidé de tous sentiments. Mon corps s’enfonçait progressivement dans le sol. Je n’avais plus l’énergie, plus l’envie, je me laissais enterrer. Je me dissolvais lentement dans cet univers insensé. Adieu, prison de l’instant présent, celle de l’éternel recommencement ! Pendant que je plongeais peu à peu dans l’obscurité la plus totale, que je gouttais aux cendres de cette terre, un souvenir me revint en mémoire. Alors que désormais seules les ténèbres m’entouraient, j’aperçus un petit garçon. Je me vis, moi, en train de téter le sein de ma mère. Le liquide sucré et tiède emplissait ma bouche et me rassérénait comme nul autre liquide ne le ferait jamais plus. Tandis que dans cet autre monde, j’avalais la poussière et qu’elle commençait à remplir tout l’intérieur de mon être, un sursaut de volonté, ou plus probablement d’orgueil, me ramena à la vie. Je ne pouvais avoir éprouvé tout cela vainement, avoir goûté à la conscience et ne pas m’en montrer digne. Je ne devais pas laisser s’éteindre tant de souvenirs et de vies. De toutes mes forces, de toute ma hargne, je me cabrai, me déhanchai et repoussai la terre qui m’ensevelissait. Du bout des doigts, je creusai et démolis le sépulcre que j’avais sciemment rejoint quelques instants auparavant. Lorsque j’atteignis enfin la surface, que je ressentis l’air frais caresser mon enveloppe et que je regardai à nouveau autour de moi, une nouvelle vérité me frappa. Alors que je me relevai au milieu des lignes de silhouettes imperturbables et quelque part intouchables, je pris conscience de n’être, finalement, rien dans ce monde. J’avais disparu et personne n’était venu. Cette terre m’avait avalé et recraché sans autre incidence que pour moi-même : j’étais décidé à avoir des réponses à mes questions.
« Et si les réponses ne te conviennent pas ? »
Je regardai étonné les alentours mais ne vis qu’une succession de têtes sombres baissées.
« Et si, en réalité, il n’y en avait tout simplement aucune ? Car chaque réponse apporte inlassablement une nouvelle question, n’es-tu pas d’accord ? »
Je commençai à perdre patience. Cette voix, douce et familière, je l’entendais bel et bien, elle n’était nullement le fruit de mon imagination, d’où pouvait-elle donc provenir ?
« Tu conserves les réflexes de ta dernière existence, c’est tout à fait normal. Tu fais confiance à tes sens. Pourtant, ici comme ailleurs, ils te limitent. Tu te raccroches à eux car tu penses qu’ils sont le seul moyen à ta disposition pour percevoir le monde mais si tu as levé les yeux tout à l’heure, ce n’est pas parce que tu as vu les lumières décliner. Ce sont ton cœur et ton âme qui ont enfin commencé à s’ouvrir. »
Je levai la tête et aperçus un conscient flottant juste au-dessus de moi. Il gardait ses yeux clos.
« Si je les avais ouverts, tu aurais su que j’étais là. Je voulais voir ce que tu allais faire. Je suis de nature curieuse, tout comme toi. »
Il se mit à ma hauteur et sourit. Ses lèvres ne bougeaient pas lorsqu’il parlait, cela provoquait en moi un drôle d’effet situé entre l’agacement et l’amusement. Il était donc là quand je suis tombé à terre et que je me suis fait enterrer vivant ? Il rigola bruyamment sous son masque d’immobilité. J’étais de plus en plus mal à l’aise.
« Tu as des questions, je peux t’apporter des réponses. Cela peut durer longtemps mais le temps ici, tu le comprendras assez vite, est tout à fait relatif, comme le reste d’ailleurs… Je sens bien que tu es inquiet. Je l’entends et le comprends. Peut-être que le mieux pour commencer est encore de te montrer une vue plus large d’où tu te trouves. »
J’étais dans la confusion la plus totale, perdu entre réalité, souvenirs, interrogations, doutes, méfiance et soif de connaissance. Je ne savais que répondre à ce conscient troublant, aux yeux clos, arborant un sourire mutin au milieu de ce visage lisse et diaphane, à la limite de la béatitude idiote.
« Si je les garde fermés, c’est simplement pour te parler avec honnêteté. Si je les ouvre, il me faudra aller répondre aux autres ombres… »
Il me tendit alors la main. Légèrement hésitant, je finis par l’attraper. Les réponses après tout, je les voulais, peu importe qu’elles me plaisent, me satisfassent ou non, il me les fallait. C’était désormais un besoin, une obligation même. Le contact entre nos deux corps fut étonnamment doux et plaisant. Une agréable chaleur parcourut mon corps en son entier et tous les deux, l’ombre et la lumière main dans la main, décollâmes du désert sombre où nous nous trouvions. Pendant que nous survolions les traînées noires, il s’éleva de plus belle et nous déposa au sommet du dôme de verre. Nous nous assîmes côte à côte. Là, je regardai d’un œil nouveau ce qu’était ma terre. Tout d’abord, mon regard se posa sur la plaine crépusculaire striée des sempiternelles lignes sombres mouvantes. Cette vision provoquait en moi un indicible dégoût, une légère honte. Je faisais partie de cette espèce alors que finalement, j’avais le sentiment de ne partager avec elles que la couleur de ma chair. Ma première surprise vint d’autre chose. Je constatai rapidement qu’il n’y avait pas un dôme unique mais qu’en réalité, il s’en trouvait des dizaines disséminés à intervalles réguliers. Les ombres y rentraient et en sortaient inlassablement. Il s’agissait de véritables carrefours, des espèces d’échangeurs.
« Exactement, et encore, tu ne vois ici qu’une partie de ce monde, me précisa le conscient. Il me regarda et poursuivit : tu peux me choisir un nom si tu veux. Comme je l’ai fait pour toi.
- Ah oui ? m’étonnai-je.
- Oui, c’est plus simple tu sais. Vous êtes beaucoup et tous uniques. C’est plus facile pour s’y retrouver.
- Et… Puis-je te demander quel nom tu m’as trouvé ? lui demandai-je curieux mais toujours empreint d’un certain respect. Il rigola de nouveau, si fort que cela me fit sursauter.
- Je pense qu’il va te plaire. » me dit-il facétieusement.
Il se tût et resta silencieux quelques minutes. J’en profitai pour contempler songeur les vastes étendues obscures, méthodiquement éclairées par ces bâtiments étincelants. Pour la première fois, je leur trouvais un aspect fort joli et original. Le conscient interrompit ma douce rêverie.
« Ce qui m’a personnellement le plus choqué lorsque que je me suis éveillé ici, c’était le silence. Quand on regarde, qu’on observe à travers ses yeux, on perçoit une multitude de mouvements mais tout, ici, se fait sans le moindre son. Par contre, si on ouvre son cœur et son esprit, alors là… »
Nouvel éclat de rire sonore. Ses propos me laissaient pensif. N’avais-je jusqu’à présent, perçu les sons que mentalement ? Son rire résonnait encore dans mes tympans, j’en frémissais toujours… Mais il s’agissait d’un conscient, moi, je n’étais qu’une ombre. Il devait probablement avoir raison. Qui étais-je pour le remettre en question ? Il était amusant, réconfortant et paradoxalement quelque peu inquiétant. Alors sans réellement y réfléchir, un nom, comme une évidence, s’imposa à moi :
« Gwynplaine.
- Gwynplaine ?
- C’est comme ça que je veux t’appeler. Gwynplaine, l’homme qui rit.
- Gwynplaine, l’homme qui rit, répéta-t-il méditatif. Ça sonne bien, ça me plaît. Merci. »
Il resta à nouveau silencieux puis tourna son visage luminescent dans ma direction. Il dégageait une chaleur indéniable, douce, apaisante, rassurante.
« Je sais que tu veux savoir ton prénom. Je vais te le dire. Mais avant, je veux que tu essaies.
- Essaie de ?
- D’écouter et de regarder avec ton cœur. » Il me désigna l’étendue qui se trouvait à nos pieds.
Je hochai la tête bêtement, fermai les yeux et respirai longuement. Avais-je réellement besoin de le faire ici ? Cette enveloppe avait-elle besoin d’oxygène ? Y en avait-il seulement sur cette planète ?
« Tu n’écoutes pas Sisyphe, tu penses, cela n’a rien à voir… »
Sisyphe ? Ce nom me disait bien quelque chose. Il résonnait en moi bien plus que tous les autres mots étranges qui me passaient par la tête depuis un moment. La tête… Oui, oublie-la ! Je me forçai à faire le vide et alors, j’entendis et je vis. Le noir fit place à la lumière, le silence, à la musique. Je vis que non seulement ceux que je prenais pour les miens ne se résumaient nullement en silhouettes noires et muettes mais qu’elles possédaient toutes une couleur ainsi qu’une forme différente.
« Tu dois en reconnaître certaines, notamment celles que tu as croisées sur ton ancienne terre. »
En effet, c’était le cas. Beaucoup se rapprochaient de ma forme d’homme mais j’en aperçus également d’autres que je savais avoir déjà rencontrées auparavant.
« Animaux, plantes, me chuchota-t-il. En me voyant plisser les yeux sur certains d’entre eux, il me demanda : Tu ne croyais tout de même pas être la seule forme de pensée intelligente de ta planète ?
- Non, bien sûr, lui répondis-je légèrement confus.
- Ni la seule de l’univers ?
- Le doute était tout de même permis… »
Gwynplaine rit à nouveau à gorge déployée.
« C’est ça le problème avec vous les humains. Sous prétexte qu’il a fallu la concordance de multiples conditions pour voir apparaître la vie sur votre planète, vous vous pensez élus. Ce n’est pas faux, ne te méprends pas ! Cela ajoute simplement à votre peine, Sisyphe… »
Je continuai mon observation. Je devinai ce qu’il voulait me faire comprendre et plus j’ouvrais mon cœur et mon esprit, plus je percevais tout ce que ces êtres grouillants, pensaient. Pour certains, il ne s’agissait que d’images, de couleurs ou de formes qui m’étaient inconnues, pour d’autres c’était des mélodies que je ne savais déchiffrer, mais tout, tout était merveilleux, magnifique et profondément, intimement bouleversant.
« Gwynplaine ?
- Oui ?
- Ce monde… Tu lui as donné un nom ? lui demandai-je ému. Il sourit.
- Chacun l’appelle comme il le souhaite. C’est sa beauté et sa force : il est ce que tu auras choisi qu’il soit pour toi. Tu peux y rester autant de temps qu’il te faudra, y évoluer ou non. Quand tu seras prêt à le quitter, tu pourras choisir ta prochaine destinée et y revenir à la fin de celle-ci. Je te le répète : ce monde est celui du choix Sisyphe, et le choix est tien et le restera toujours. Depuis trop longtemps, tu parcours ce monde avec les mêmes interrogations. Ce n’est pas ta faute, tu as eu le malheur de naître homme, de tenter de mettre du sens là où il n’y en a nullement besoin. As-tu compris ? As-tu compris que ce n’était pas ce monde qui était déraisonnable Sisyphe, mais toi ? »
Il tourna son visage vers le mien et ouvrit doucement les yeux. Une lumière aveuglante s’en échappa, ses lèvres continuèrent à se retrousser. Il avait clairement l’air idiot.
« Pourtant les lumières à l’horizon ont décliné ! m’emportai-je. Gwynplaine ré-éclata de rire.
- Une fois de plus, tu ne comprends pas, tu restes attaché à ce que tes yeux te montrent, ce n’est pas grave. Les lumières à l’horizon n’ont jamais décliné, il n’y en a d’ailleurs jamais eu d’autre que celle que vous produisez, vous tous. Tout cela te paraîtra encore longtemps absurde et tu ne pourras probablement jamais l’accepter. Dans ta tête du moins, peut-être que ton cœur, lui, est prêt. »
Le conscient que j’avais appelé Gwynplaine, l’homme qui rit, ouvrit alors grand ses yeux et plongea son regard droit dans le mien. Je ne voyais plus rien, je ne perçus que sa voix. Il me demanda ce que je voulais désormais faire. Je le remerciai sincèrement de m’avoir appris à ouvrir mon cœur et mon âme et lui répondis que j’allais encore fouler ces plaines quelque temps. Son rire se répercuta une dernière fois dans mon crâne. Il attrapa mes mains et ensemble, nous retournâmes sur terre.
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