LA RÉPUBLIQUE ABSOLUE

 

 

Je ne suis plus qu’une épave, je ne sais

ce qui en lie encore les débris.

Que les étoiles contemplent mes larmes.

Mary Shelley

 

Dans le monde d’après des ombres assagies croisaient en silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants – pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidence ?

Est-il écrit dans ce livre étrange qui fût le dernier quelle pu lire.

Voilà ce qu’est un être humain, elle pense : il achète (cher) une paire de bottes à porter durant les sports d’hiver lorsqu’on n’est pas sur les skis ou sur la luge. Il chaussera ces bottes mettons sept à huit fois, dix à tout casser, et ensuite pour d’obscures raisons liées aux petits et grands bouleversements de nos vies, à notre inconstance et au hasard aussi, ces bottes seront abandonnées aux toiles d’araignées sur une étagère dans cette cave que l’on s’était juré de garder propre mais qui est un vrai foutoir. Puis ces bottes seront jetées à la déchetterie, un jour. Lorsqu’il aura été possible de s’y rendre compte-tenu que ses heures d’ouverture ne sont pas franchement arrangeantes et qu’il faut au préalable aller en mairie chercher un code prouvant que vous habitez bien la commune et avez donc le droit d’utiliser cette déchetterie. D’où les décharges sauvages réapparaissant partout au bord des routes et dans les friches citadines depuis qu’un petit génie a inventé ce système de code à la mords-moi-le-nœud. Naturellement le dépôt des bottes à la déchetterie se produira lorsque leur propriétaire sera mort et qu’on aura dit combien il fût une personne exceptionnelle même si oubliée en moins de temps que ne durèrent ses obsèques, lesquelles auront exigées une vague tristesse décente rien de plus car la mort, elle non plus, ne mérite pas qu’on s’y attarde, pas le temps. Les bottes quitteront plus tard la déchetterie et seront brûlées avec une noire fumée épaisse ou, plus probablement, seront stockées une éternité dans un dépôt d’ordures, à moins que balancée dans un coin de forêt à cause de cette connerie de code à aller pleurer en mairie – et c’est même pas sûr de repartir avec (mais de retrouver sa voiture avec une amende de post-stationnement ça c’est sûr). Sous des fougères finiront sans doute ces bottes. Où elles mettront dans les mille ans à commencer à se détériorer – car : caoutchouc vulcanisé et polypropylène expansé isolant avec mousse de faible densité (à 24 kg/m3 ether T24130). Soit mille printemps, soit trois cent soixante-cinq mille jours alors que ces maudites bottes auront été portées disons une vingtaine d’heures au total, heures distribuées durant un maximum de deux ou trois semaines. Boots ski fun. Voilà ce dont est capable un être humain, voilà qui est un être humain. Le monde d’après, même presque advenu sur cette planète plastifiée, il n’en a rien à battre.

Pense Rita.

Et du coup, elle a bien envie de balancer à la déchetterie ou dans la première poubelle de ville venue cet étrange roman qu’elle promène avec elle comme un talisman et où il est question, dans une langue travaillée, d’ombres assagies, de silence, de lumières sombres déclinantes et, pire que tout, de personnages mutiques. Bref de crépuscule. En un mot comme en cent : Rita sent tout le contraire bouillonner en elle : rien qui ne saurait s’assagir mais bien au contraire tout ce qui pourrait s’enflammer, provoquer l’incendie, nul silence mais le vacarme, rien de sombre mais la fulgurance, l’incandescence, l’illumination. L’aube plutôt que la chute du jour.

Etre décédée présente d’incontestables avantages. En tout cas, devrait. Autrefois, dès que mort, on était moins soumis aux innombrables lois régissant la République Absolue à laquelle les Vivants appartiennent obligatoirement. Mais les choses changent. Pour notre bien à tous, la R-A (République Absolue) a décidé que les Morts seront soumis aux mêmes lois que les Vivants. Tout le monde a un point de rupture. Et Rita vient d’atteindre le sien : non seulement elle est morte depuis peu mais le gouvernement lui vole son au-delà. Voilà peu, mourir permettait d’échapper enfin à la R-A. Désormais celle-ci nous poursuivra jusque de l’autre côté, réglementant avec zèle chaque geste, chaque minute, chaque pensée des Morts. Les mêmes uniformes ici et là, les mêmes amendes, les mêmes parcmètres et post-stationnements, les mêmes interdictions, caméras de surveillance, réglementations, proscriptions et inculpations. Les mêmes tribunaux. Tout ceci étant en vigueur : sauf pour ceux édictant les lois. Eux non. Nos seigneurs et maîtres. Rita : je me suis retrouvée en correctionnelle car, d’après la juge, dans la mort comme dans la vie, j’avais mauvais esprit. Lol de rage : être une sorte de fantôme et… avoir mauvais esprit.

En boucle désormais dans la tête de la jeune femme : enfin morte, ce serait trop demander d’être en paix ? Qu’on nous lâche ? Que cesse le flicage ? La réponse est oui : ce serait trop demander. On doit appartenir corps et âme à la R.A. Cette dernière a développé les bonnes technologies pour patrouiller, épier, cadenasser. Et Corps et âme est la devise de la République Absolue.

S’encolére Rita.

Les bonnes technologies. Furent apportées par ce maudit vaisseau alien ayant fait naufrage sur la terre au début de 2060. Des humanoïdes. Des gens pacifiques. Pénétrés du bien commun, prônant le respect et l’égalité des cultures avec une considérable ouverture d’esprit. Des commerçants galactiques d’après ce qu’on en a su comme on a pu. Un vaisseau de trois-cent trente-neuf mètres de long et trente-huit de hauteur, en forme de parfait rectangle cristallin échoué en Antarctique à mi-chemin des bases Vostok, Nova Beijin et Obama III. Constitué d’une sorte de matière minérale évoquant le verre mais ce n’était pas du verre bien sûr. Sur nos écrans, on a tous vu cette centaine d’anthropoïdes très grands (comme certaines gens filiformes de l’Afrique, plus grands mêmes) et ils saluaient fraternellement les caméras des hélicoptères russes et des drones chinois les filmant. Ces images tout le temps pendant des mois. Et la première rencontre entre ces êtres et nos ambassadeurs lors d’une cérémonie diffusée en direct depuis le camp Mahatma Gandhi aménagé par les Nations-Unies tout près du gigantesque rectangle de soi-disant verre, en mystérieux métal venu des confins, (du diamant peut-être comme la rumeur le colportait ? Des tonnes et des millions de tonnes de diamant). Ces voyageurs étaient des marchands, c’est ce qu’on nous a dit. On a murmuré le mot de trafiquants. Les Etats-Unis ont voulu leur acheter un morceau du vaisseau, quelques centaines de kilogrammes de diamant mais les commerçants aliens ont refusé, ils ont dit que leur nef était indivisible, construite dans un seul bloc de cette matière et je vous laisse imaginer la taille de leur planète. Il s’est alors agit de réparer quelque chose pour que le vaisseau reparte mais c’était secret et aucun journaliste ou citoyen n’a pu aller voir ni même survoler l’Antarctique. Des prix Nobel scientifiques se sont plaints mais rien à faire (à l’époque Rita a signé la pétition mondiale pour strictement que dalle). Les aliens sont repartis quatre années après, offrant des bonnes technologies pour de bonnes intentions en remerciement de l’aide terrienne mais les populations n’ont pas été informées de la nature de ces cadeaux. Aujourd’hui, trente ans plus tard, beaucoup de monde est persuadé qu’aucun vaisseau extra-terrestre n’est venu. Comment savoir ? Les images ? Que sont ces scènes filmées ? Faut-il croire ce que l’on voit ? Les visiteurs ont offert à l’humanité les bonnes technologies ? Le terrain était prêt depuis près d’un siècle pour faire bon usage de celles-ci. Des lois démocratiques nous y avaient préparés, nous enjoignant d’accroître sans cesse les richesses pour le bien d’une poignée, de devenir une industrieuse et docile ruche planétaire. Et des lanceurs d’alerte – en prison ou assassinés depuis fulmine Rita – ont pu prouver que les aliens (des commerçants donc) n’avaient rien offert du tout. Mais plutôt vendu aux multinationales leurs abominations de technologies. D’un bord à l’autre de l’univers : enfumage. C’est comme ça que Rita voit les choses.

Aujourd’hui voici ma loi préférée dit Rita dans un rictus de haine : Loi n° 85-730BK tendant à améliorer la visibilité des personnes en garantissant publiquement l’usage de leur patronyme. Loi n° 85-730BK : Le droit au patronyme est un droit fondamental garanti par la République Absolue ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent. Art. L. 1089-1. – L’État définit, afin de garantir le droit à la désignation nominative de chacun, que chaque citoyen doit (entre l’âge de sa majorité légale et deux ans en avant) acheter son propre nom (sur la base du nom usuel de ses parents). Art. L. 1089-2. – En cas d’impossibilité financière de procéder à l’achat dans le délai prescrit par la Loi, y compris avec prêt à taux usuel défini par l’alliance des banques européennes et consolidé par l’État, le contrevenant : 1°) sera assujetti à une amende de classe BK 32 ; 2°) recevra pour une durée de 5 ans renouvelable 1 fois un numéro à 11 chiffres attribué gracieusement par l’état civil moyennant acquittement vérifié du 1°) et location au semestre de chaque chiffre contenu dans le nombre attribué. Ce numéro fera office de patronyme pendant la durée prescrite par la loi via l’état civil délivrant l’autorisation chiffrée. Le contrevenant aura dès lors pour nom Monsieur 23001132106 (exemple A) ou Madame 80072160141 (exemple B) à l’exclusion de toute autre dénomination et ce jusqu’à expiration de la durée légale d’utilisation du numéro ; 3°) à l’issue de la période de 5 ans renouvelable 1 fois de son numéro à 11 chiffres, tout citoyen demeurant dans l’impossibilité d’acheter son nom ou d’acquitter auprès du Trésor Public une nouvelle amende de classe BK 32 à indice majoré de niveau 6 assortie de la location de 11 nouveaux chiffres (Monsieur 60214500012, exemple C ou Madame 87887333058, exemple D) pour une durée de 2 ans renouvelable 0,73 fois se verra privé de tout patronyme alphabétique ou chiffré, cette privation valant empêchement définitif pour toute démarche administrative de quelque nature que ce soit. Art. L. 1089-3. – Tous fonctionnaires des ministères de l’Intérieur et de la Justice, des Finances ainsi que des assemblées parlementaires, de même que tous élus de la République Absolue ne sont pas soumis à la loi et reçoivent à vie le plein, entier et gratuit usage de leur nom, sans inscription de facto au registre des citoyens « Alphabet » (de 1re classe) ou au registre des citoyens « Chiffres » (de 2e classe).

Technologie alien n° BK600 « offerte » à l’humanité : l’implantation d’un nanoprocesseur autobiographique à mémoire artificielle de nom usuel et de patri-matrilinéarité (du coup vous êtes persuadés que vous vous appelez untel et que c’est le nom de votre famille depuis la nuit des temps). Cette technologie produit un apaisement psychologique de première bourre sait Rita. On croit avoir des parents, des grands-parents et ainsi de suite. Et des bons (pas les merdes qu’on a eu). Il est obligatoire de bénéficier, pour son bien et celui de la collectivité, de cette technologie alien (facturée par l’Etat au citoyen). La technologie alien n° BK600 est soumise à la loi n° 85-730 mentionnée plus haut ricane Rita. Nos ancêtres n’existent peut-être même pas. Je suis qui ?

J’aime bien aussi songe Rita : la Loi n° 106-20BK. Le droit à la sécurité est un droit fondamental garanti par la République Absolue ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent. Art. L. 709-1. – L’État définit, afin de garantir le droit à la sécurité de chacun, que chaque citoyen reçoit (à l’âge de sa majorité légale moins 5 ans) un permis de vie à points, acheté en son nom propre après autorisation des forces de police. Le montant du permis de vie à points est fixé à 89,8 % hors taxes du barème familial sécuritaire de l’intéressé, lequel barème familial sécuritaire est établi sur rapport de la police et de la magistrature. Art. L. 709-2. – En cas d’infraction, délit ou crime, le titulaire du permis de vie à points se voit retirer 1 à 12 points de son permis en comptant 12, ceci sur la base de la nomenclature officielle des 93 446 crimes et délits (hors délit financier selon l’ordonnance 49.3 dépénalisant les délits financiers à proportion de la position sociale du délinquant). Des points peuvent être regagnés lors de formations ou périodes de réclusion payantes et dans la limite de 3,9 points de vie. Art. L. 709-3. – Tout retrait de point sera assujetti à une amende de classe BK 32 à prélèvement mensuel obligatoire (une majoration s’exerce selon le nombre de points retirés). Art. L. 709-4. – Le solde de son permis de vie à points n’est jamais communiqué au citoyen, y compris lors des retraits de points. Tout justiciable détenteur d’un solde de 3/12 points de vie sera appréhendé par la force publique et exécuté dans un délai de 96 heures en application du code de sécurité publique (art. de préventivité préventionnelle préventive). Afin d’assurer au condamné le respect de ses droits démocratiques, le choix de son mode d’exécution lui reviendra (sur la base de moyens bon marché : inanition, noyade ou chute d’un toit. Dans ces deux derniers cas, l’amendement SS600 dit « de respect humain » interdit toute mise à mort dans un lieu public). La facturation de déblayage du corps par la voirie sera adaptée aux  ressources du condamné.

Technologie alien n° BK808 « offerte » à l’humanité : l’implantation d’un nanoprocesseur décisionnel à programmation anticipée de mort subite (résultat, vous avez programmé librement – c’est fou tout ce qu’on fait librement – une date, heure, minute pour votre mort subite. Ceci avant l’âge de cinquante ans et, en remerciement de votre bon esprit citoyen – car vous débarrassez le plancher pour laisser la place à une nouvelle génération de pauvres cloches s’étrangle Rita, la R-A vous dispense d’être soumis à la loi du permis à points de vie). Et si vous programmez votre départ pour vos quarante ans, alors là jackpot : exemption (partielle) d’impôts (sous conditions et sous réserve d’éligibilité puis d’acceptabilité puis d’acceptation de votre dossier par les administrations concernées. Pour le règlement des frais de votre dossier technologico-légal d’implantation d’un nanoprocesseur décisionnel à programmation anticipée de mort subite, 18 modes de paiement sécurisés sont possibles dont la carte bleue, rouge, verte, gold. Possibilité de payer en plusieurs fois avec La Carte NanoDeath© single, couple, familiale ou premium ou avec la Carte SpeedyMuerté© même pendant les soldes. Le compte Twitter @NanoDeath, wwwx.subito.org et la page Facebook2 « Mort subite les bons plans » vous informent en live).

Cette technologie de programmation anticipée de mort subite produit une rupture conventionnelle de respiration et un arrêt cardiaque instantané sait Rita. Enfin normalement. Car il n’est pas rare que le nanoprocesseur fabriqué en Asie sur plan alien par des enfants – qui en ont un gratuit de nanomachin avec date limite pour leur vingt ans – et pour un prix dérisoire, déconne. Et là c’est pas beau à voir, d’accord on meurt mais ça chie un moment. On peut toutefois prendre une assurance anti-souffrance avec l’implantation assez onéreuse d’un système de secours et là c’est théoriquement l’explosion garantie au moment voulu. On raconte que des gens fortunés ont trois ou quatre nanoprocesseurs de programmation anticipée, histoire d’être sûr que tout se passera bien pour leur mort subite citoyenne à cent-quarante ans. Il est obligatoire de bénéficier, pour son bien et celui de la collectivité, de cette technologie alien (facturée par l’Etat au citoyen). La technologie alien n° BK808 est soumise à la loi n° 106-20 mentionnée plus haut, se met à en pleurer de rage Rita. Même morte, elle est encore rudement émotive.

Au fait, Rita plus personne n’a le droit de l’appeler Rita. Du fait de sa condamnation par la 3732ème chambre correctionnelle de Paris, valant empêchement de porter un nom alphabétique, elle se nomme maintenant Madame 55523200444. Madame 55523200444 a un petit ami. Il n’en a plus pour longtemps ce Monsieur 40040012120 car son nanoprocesseur décisionnel à programmation anticipée de mort subite a été re-paramétré par décision du tribunal pour fonctionner le jour de son 32ème anniversaire suite à une sombre embrouille avec la police municipale de sa rue. Va pas tarder à lui péter à la gueule le nano. C’est bien simple reste deux mois seize jours dix heures quarante-quatre minutes si vous voulez savoir. C’est pourquoi Rita a atteint ses limites. Elle a beau être déjà morte, elle, elle souffre de ce que va devoir souffrir son amoureux. Alors Tristan (rien à foutre de Monsieur 40040012120) lorsqu’il faisait l’amour à Rita en essayant d’oublier toutes ces technologies aliens (et si ça se trouve ces derniers n’ont jamais existés va savoir c’est rien qu’un complot pour nous enfumer), eh bien il disait Rita je t’aime Rita mon amour tu es belle comme un petit animal chaud et libre Rita ta beauté ta douceur de louve Rita je t’ai trouvée tu es unique tu es mon trésor mon or ma croyance Rita Rita Rita oui tu es unique, mon unique. Et ils s’étaient promis que lorsque Tristan serait mort à son tour et qu’il aurait tout réglé administrativement avec la police et la justice de l’Au-Delà, laquelle a le même ministre que la police et la justice de l’En-Deça, ils feraient tout pour se retrouver car eux c’est pour la vie et la mort, pour la totale.

Il y aura bien eu à plusieurs reprises des rebelles du deep internet ou des ligues green bloc anti-R-A qui auront diffusés clandestinement de farouches et incendiaires Lettre.s ouverte.s aux vivant.e.s qui veulent le rester. De quoi éveiller la conscience – et la colère – de millions de citoyens. Mais ces initiatives contestataires n’auront rien données car, rapidement, les gens se seront rendu compte qu’il valait mieux mourir plutôt que de tenter de transformer l’intransformable société des Vivants totalement inféodée aux marchands et à leurs valets. Même si l’Au-Delà subit lui aussi les lois de la République Absolue, la résistance y est plus facile du fait de la vastitude inexplorable des territoires de la Mort. Les étendues – géographiques et métaphysiques – de cette dernière sont des milliards de fois plus spacieuses, illimitées à vrai dire comme la physique quantique le laisse entendre, que le minuscule univers du vivant. Dans ces conditions, les successives, intelligentes, pertinentes et agissantes Lettre.s ouverte.s aux mort.e.s qui veulent le rester auront au moins favorisées l’émergence d’irréductibles zones libérées de tout trait civilisationnel pseudo-démocratique-pro-consumériste.

Enfin quelque part où aller.

La République Absolue, Pour votre sécurité nous supprimons vos libertés.

Alors dans l’Au-Delà tu sais ma Rita, quand je te retrouverai, on rejoindra les rebelles, la guérilla, la résistance ou ce qu’on trouvera, les autres quoi. Les vrais gens, ceux qui ne sont pas payés pour surveiller les autres. L’un de ces territoires sans la tyrannie. Il parait que là-bas ils ont des chirurgiens qui t’enlèvent ces horreurs de nanoprocesseurs aliens et après on vit sa mort dans des montagnes inaccessibles aux milices policières ou sur des îles des mers chaudes éloignées de tout tribunal, sans ville, sans abonnements à quoi que ce soit, sans argent pour un oui pour un non – surtout sans argent ni fin de l’annonce publicitaire dans vingt secondes ni ordres auxquels il faut obéir du matin au soir et même la nuit. On sera à l’abri au cœur de grandes forêts avec aucun plastique pour les polluer. T’en a déjà vraiment vu une de forêt toi ? Une vraie ? Il y aura des arbres en bois et pas besoin d’applis pour publier des photos de ces arbres splendides car l’instant se suffira à lui-même. L’air aura cette gigantesque couleur verte expliquant l’univers. Des petites bêtes et des chevreuils et des renards, des chevaux, des phacochères, des gnous, des hérissons, des yacks, peut-être même des colibris et des loutres existeront, on vivra comme des sioux avec cette noblesse des nomades. Et du temps pour être autour du feu avec ses proches. De la pluie non programmée lavera les villages. De la neige nous surprendra mon amour ma Rita, on restera au chaud dans nos abris puis on se roulera dans tout ce blanc. Des sources roucouleront pour rafraîchir tes jolis pieds en été, du feu non virtuel dansera pour chauffer ta cabane en hiver. Nous connaitrons des  gravières roses au bord d’une rivière sans nom et on la nommera nous-même cette rivière, son nom changera tous les jours si on veut, tu te baigneras nue si ça te chante et tes bracelets de cuivre fabriqués sans machine éclaireront précieusement l’eau toujours neuve. Zéro parking nulle part avec des minutes à payer comme si le temps appartenait à quelqu’un, pas de papiers à remplir, de box internet qui déconne, de mots de passe ni de rendez-vous pour s’expliquer. Pas de gardes-chiourme tous les dix mètres. Que nous. Et des tas d’amis sans rien à vendre et des chiens joyeux, pleins de chiens dans la profondeur des journées. Un jour je t’offrirai une couronne de marguerites, toutes ces petites marguerites sur tes beaux cheveux sentant l’herbe et le soleil. Peut-être même – et ça n’aura plus d’importance – verrons-nous des fougères avec planquées en dessous des antiques bottes d’après-ski presque toutes neuves en caoutchouc vulcanisé et polypropylène expansé (On s’en moquera en se souvenant que le polypropylène isotactique est une polyoléfine résultant de la polymérisation coordinative des monomères propylène [(CH2=CH-CH3)] en présence de catalyseurs, suivant principalement la catalyse de Ziegler-Natta). Parce-que tu sais ma Rita et c’est ton Tristan qui te le promets mon amour – sache qu’il s’agit là de mon message pour ton enterrement, à toi ma réfractaire, et qui veut et saura le rester – loin de la République Absolue et de ses puanteurs, loin du vaisseau alien et de ses bonnes technologies – comment exprimer une telle chose écoute bien en vérité je te le dis : dans le monde d’après, notre mort sera belle et carrément une nouvelle chance, notre mort sera la libération. C’est bien simple, on sera un vol de moineaux qui hésite où aller.

 

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