Arbo

 

 

 

Dans le monde d’après des ombres assagies croisaient en silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants – Pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidences ? Pour quelles raisons les bruits du monde s’étouffent avec tant d’insistance ? Nul ne le savait à cet instant, pas une âme vivante n’aurait pu dire pourquoi le silence et le noir s’avançait.

Hary Poster, policier de la pensée, amateur de vieux objet, collectionneur de livres papiers, un anachronisme dans ce monde ou tout est numérique, regardait l’horizon orangé. Il redoutait que la fin annoncée depuis la nuit des temps ne soit en marche. Inquiet, Il avait vu le ballet des ombres passer dans le ciel étoilé.

Ce n’était certes pas le phénomène le plus étrange de ces derniers temps. Il avait observé les statues de bois apparues mystérieusement il y a des décennies sans que personne ne comprenne vraiment comment. Il avait vu leur regard silencieux, inquiétant – personne ne pouvait s’empêcher de frissonner face a ces visages au regard de jaspe.

Il avait scanné les pensées de ses concitoyens, épiant les réseaux sociaux, surveillant les publications, participant a des forums, s’invitant à des séminaires en ligne. Depuis que le confinement généralisé était la norme, peut sortaient sans nécessité absolue. Toute la vie se virtualisait et il était facile de contrôler les échanges d’idées.

Il avait lu des récits de disparitions soudaines, étranges. Il en avait informé ses supérieurs qui avaient lancé de timides recherches qui n’avaient pas abouties.

Hary se décida à bouger. Il ne pouvait rester assis dans cette pièce sombre qui lui servait de repaire. Il ne pouvait plus supporter les odeurs de vieux papiers qui imprégnait l’endroit. Il devait sortir. Il devait comprendre qu’elle était la nature des Ombres. Peut-être était-ce son instinct de censeur ? il devait partir en chasse. Quelque chose lui disait que les ombres qui passait devant les statues de bois aux regards de jaspe sans y prêter la moindre attention, étaient mues par des pensées irrévérencieuses qu’il devait combattre pour sauver le monde ancien.

Il se dirigea vers son véhicule, y pénétra, voulu le démarrer, mais rien ne se passa. Il pesta sans être vraiment surpris il constata que la recharge électrique n’avait pas fonctionné. Les autorités gérant le réseau électrique avaient dû délester les points de recharges du parking. Soudain, un enfant sorti de nulle part apparu. Il était en guenille, ou plutôt, habillé avec des vêtements en tissu qu’Hary n’avait pas vu depuis très longtemps. Le jeune garçon le regarda fixement quelques secondes, puis détala.

« Surement un pauvre gosse des rues abandonné par tous » se dit le policier de la pensée. Il ne chercha même pas à le poursuivre, a quoi bon ?

Il chercha un véhicule de remplacement et bientôt avisa une antique bicyclette, s’en empara et après quelques hésitations retrouva l’usage du deux roues, et se mit à suivre les ombres. Tout en pédalant, il réfléchissait, l’arrivée des ombres était-elle le signe que le monde venait de basculer. Il se demanda si sa mission avait encore un sens. A quoi bon chasser des pensées divergentes si un nouveau monde s’annonçait ? il hésita et décida de poursuivre sa mission, c’était une question de vie ou de mort.

Des dizaines de statues de bois a l’œil de jaspe étaient littéralement plantées sur le bord des routes. Leur nombre avait énormément augmenté. Il n’en avait pas pris conscience jusqu’à ce jour. Il n’était pas sorti depuis plusieurs semaines et le regretta. Un silence morbide régnait. De nombreuses rues étaient à peine éclairées. Aucun néon, aucunes publicités tape à l’œil, aucunes vitrines de commerces crachant leurs photons à l’extérieur, ne venaient éclairer la nuit. Seul quelques lampadaires clairsemés et le ciel, de plus en plus sombre apportaient encore un peu de lumière.

Après plusieurs kilomètres dans cette semi-obscurité, il arriva enfin au bord du monde. De son monde, a l’orée de la ville lumière, face au fleuve acide, tellement pollué que depuis bien longtemps plus aucune vie ne l’habitait. Hary n’avait jamais été au delà de cette limite qui servait de frontière a la ville. Comme la majeure partie de ses contemporains, il n’avait jamais vu ce que les ouvrages anciens appelaient la nature. Il ne connaissait que le monde de fer et de béton qui l’entourait. Il se nourrissait depuis bien longtemps de poudre alimentaire que fournissait les usines agroalimentaires depuis des décennies.

Un pont enjambait encore le fleuve. Il se demanda depuis combien de temps il était la. La chaussée était couverte d’une mousse jaunâtre qui n’avait pas été foulée par l’homme depuis des lustres.

Les Ombres étaient là, par milliers.

Un étrange silence plombait l’atmosphère. Hary ne savait trop ce qu’il devait faire. Il regarda autour de lui. Pas une âme qui vive hormis la sienne. Il commençait à prendre peur. Un rapide coup d’œil derrière lui, lui appris que maintenant les lumières de la ville étaient quasiment toutes éteintes. Aucun bruit.

Il se demanda ce qui était arrivé aux autres humains. Était-il le dernier survivant ? si tel était le cas, a quoi bon poursuivre son œuvre de police de la pensée ?

Il se rassura en se disant qu’il devait tous surfer dans le monde virtuel, jouant a des jeux en ligne, écoutant les derniers tube CyberRap ou regardant des séries sur le réseau. Ses congénères devaient se terrer en attendant de voir pour ceux qui avaient compris qu’il se passait quelque chose.

« Eh ! » cria-t-il a l’adresse des ombres

Pas de réponses.

« Qui êtes-vous ? quelles sont vos intentions ? »

Pas de réponses. Il frissonna.

Les ombres étaient rassemblées en petites groupes, certaines se tournèrent vers lui. Il remarqua alors leurs visages inexpressifs sauf leurs yeux brillant d’une lueur noire.

« Nous te retournons la question : quelles sont tes intentions ? »

Le voix, venue de nulle part avait résonné dans son esprit.

« Je… » commença-t-il, hésitant.

Les ombres s’approchaient lentement, silencieusement. Il fut bientôt encerclé, il aurait voulu fuir, mais ses jambes étaient lourdes, si lourdes.

« … je suis venu membre de la police des pensées, vous ne pouvez pas… »

Il voulut sortir son pistolet hypnotiseur mais son bras resta figé en l’air.

« Vous… me devez…respect » dit-il difficilement, tout son corps se figeait. Il comprenait maintenant l’origine des statues. Il comprenait qu’il allait bientôt rejoindre le peuple silencieux au regard de jaspe.

Un rire emplit son esprit

« Quelles sont vos intentions ? » demanda de nouveau la voix.

Il ne pu répondre, son monde était mort, mais lui allait devoir apprendre à s’enraciner. Les ombres se mirent dans son esprit.

« Vous hommes prétentieux allez devoir apprendre la patience, l’infini patience de ceux que vous avez tant détruit, les arbres. Votre vie sera maintenant sédentaire et ce ne sont pas vos regards de braises qui pourront y changer quoi que ce soit. »

Il voulut parler, crier, mais rien ne sorti de sa bouche. Il était terrorisé. Il ne voulait pas finir ainsi, non il était encore jeune. Ce n’était pas possible.

Des lumières vives apparurent alors. Hary ne comprenait pas d’où elle venait. Les abords du fleuve acide apparurent clairement. De pales plantes aux couleurs grisâtres essayaient de trouver une peu de soleil, on les voyait envahir le moindre trou dans le béton. Les eaux noirâtres, glauques, clapotaient au gré d’un faible courant. Une odeur nauséabonde parvint à ses narines. Il prit soudain conscience du froid.

« Qu’est-ce qui se passe ? » se demanda-t-il.

Il chercha les ombres du regard, mais ne trouva rien. Il n’y comprenait rien. Son pistolet hypnotiseur tomba dans un fracas métallique qui le fit sursauter. Il prit conscience qu’il pouvait de nouveau bouger.

« C’était moins une ! » s’exclama une voix derrière lui.

Lentement Hary se retourna, tous ses muscles étaient courbaturés, comme s’il avait couru un marathon la veille. Un homme vêtu a l’ancienne, jean, pull, bonnet de docker et un long manteau de cuir, se tenait a coté d’un quad. A ses coté, le gamin des rues qu’il avait entraperçu plus tôt. L’homme souriait légèrement, il portait de longs cheveux poivre et sel et une barbe. L’enfant lui ressemblait. Hary se dit que ce devait être son fils.

Un peu plus loin, était garé un 4×4 antique tout feux allumés. Aux commandes, il distingua vaguement une femme.

« Qui êtes-vous ? » demanda le policier.

« Rafael Blanco pour vous servir »

Un chant lancinant, monocorde mais envoutant se fit entendre. Des milliers de voix formaient un cœur qu’Hary ne voyait pas. Il scruta les ténèbres que ne perçait pas les phares du véhicule.

« Merde ! » jura le dénommé Rafael « ils vont essayer de nous hypnotiser avec leur chant »

« Des sirènes ? » murmura Hary.

« Si vous voulez, mais pas très belles ! » rétorqua l’homme au quad qui faisait hurler le moteur de celui-ci. « Venez ! »

Hary hésita, mais, ne lui laissait pas le choix, Rafael le fit monter à l’arrière du quad et démarra en trombe. L’enfant couru et monta dans le 4×4 et le convoi parti.

Ils passèrent le pont plein de mousse, plusieurs fois Hary senti le quad glisser légèrement, mais ils franchirent le fleuve et continuèrent sur une route antiques bordée d’une forêt épaisse. Rafael accéléra, Harry faillit tomber en arrière, mais tint bon. Il sentait confusément qu’il ne devait surtout pas rester seul ici. Le froid commençait à l’envahir. Sa combinaison synthétique ne lui apportait plus la chaleur idéale. Elle avait dû perdre la connexion avec le réseau et ne savait plus gérer les conditions extérieures.

Après un trajet qui lui sembla durer des heures, ils arrivèrent dans un village fortifié. Les portes s’ouvrirent et ils s’arrêtèrent sur l’unique place, au centre. Une dizaine de personne sortirent des quelques habitations pour les rejoindre.

« Qui est-ce ? » lança agressivement une vieille femme en désignant Hary qui maintenant grelottait.

« Un rescapé des ombres »

Tous le fixaient silencieusement. La vieille, méfiante, allait parler, mais Rafael d’un geste autoritaire lui ordonna de se taire.

« Entrons » fit-il désignant un bâtiment légèrement plus grand que les autres.  « Et trouver lui de vrais vêtements avant qu’ils ne meurent de froid ! »

A l’intérieur, on lui apporta des vêtements. Hary hésita, des femmes lui désignèrent une porte. Il entra dans une petite pièce, un vestiaire avec douche et sanitaires. Il se changea. Puis revint rejoindre ses nouveaux compagnons.

Hary leur dit qui il était. Un léger mouvement de recul accompagné d’un brouhaha réprobateur se fit quand il leur annonça son métier, mais Rafael une fois de plus imposa le silence.

« Ton métier ne t’honore pas, mais il n’a plus cours ici et nous pouvons l’oublier. Mais ne t’avise pas de l’exercer ! ou je retourne personnellement te livrer aux Ombres »

Hary opina. Il n’avait guère le choix. Et puis, il sentait confusément que son monde avait disparu et ses certitudes commençait à s’effriter

« Qui êtes-vous ? » demanda-t-il désignant le groupe.

Après un moment de silence, le chef répondit :

« Nous sommes à la fois le passé de l’humanité et son futur. »

« Vous êtes des rebelles ? »

« Ce n’est pas aussi simple que cela, nous avons été contraints de fuir la Ville pour survivre. C’était vraiment une question de vie ou de mort. »

« Pourquoi ? »

« Tu ne comprends pas ? les hommes sont devenus des machines à consommer pour que le système s’engraisse. Ils restent la majeure partie du temps cloitrer chez eux, à travailler pour maintenir un monde virtuel. Ceux comme nous qui n’ont pu s’adapter a ce nouveau mode de vie ont lentement été mis hors du système. Dans des camps de concentration, des usines ou nous fabriquions tout ce qui ne pouvait être fait par des robots et mourrions dans l’indifférence générale. Ceux qui ont découvert ces camps se sont tus par peur ou ont été emprisonnés à leur tour grâce à la police de la pensée »

Un silence gêné, tous le regardaient maintenant. Il sentait une menace latente, les regards étaient plein de haine.

« Je… » commença-t-il

Rafael leva la main en signe d’apaisement. Tous se tournèrent vers lui. Hary se demanda jusqu’ou allait l’obéissance de ce petit groupe à celui qui semblait être leur chef.

« Peu importe tes excuses, tes motivations, tes paroles, comme nous tous tu étais le jouet des Ombres, les sbires des vrais maîtres. »

« Je ne comprends pas » fit Hary, désarçonné par la répartie

« Vraiment ? » dit Rafael. Il resta un moment silencieux puis continua « les ombres ont été créées de toute pièces pour propager la mort et la peur. Elles sèment le virus Arbo qui lentement transforme les hommes en statues de bois, puis en arbres. Les élites se débarrasse ainsi progressivement de l’humanité, trop bruyante, trop nombreuse pour ne garder que ceux qui aident à maintenir le système en place. »

« C’est quoi ce délire ! » dit Hary.

« Tu ne comprends pas ? tu as été leur chien de garde, mais ils n’ont plus besoin de toi, les hommes ont trop peur pour sortir, pour voir le monde tel qu’il est. La plupart reste derrière leurs écrans, préférant les amitiés virtuelles, les jeux virtuelles, les vies virtuelles. Ils ne se rendent même plus compte qu’on les manipule. Ceux qui se rebelle, qui doute sont poussé à sortir, comme tu l’as fait, et finissent pas mourir, victime du virus. »

« Je n’arrive pas à croire cette propagande »

« Il va pourtant falloir ou tu devras nous quitter » retorqua froidement Rafael.

Le silence était pesant.

« Nous te ramènerons au pont, ce sera dommage, nous avons besoin d’esprit comme le tiens, mais si tu n’es pas avec nous, tu es contre nous et nous ne pourrons te garder, tu deviendras un arbre, un de plus. Ne comprends-tu pas que même cela est une stratégie pour renverser le désastre écologique ? »

« Ce n’est pas possible ? »

« Et pourtant c’est la triste vérité »

Rafael fit un geste et Hary sentit la fléchette se planté dans son coup, l’enfant le regardait, une sarbacane a la main.

« Maintenant tu vas dormir, et demain nous déciderons si nous te donnons le vaccin contre le virus ou si nous te ramenons pour te laisser devenir statue, puis arbre. »

 

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