LE  MIROIR

 

« Dans le monde d’après des ombres assagies croisaient en silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants – pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidence ? » Pourquoi cette phrase, ouïe par je ne sais quel mécanisme onirique, s’est-elle imprimée en moi, comme si je l’avais réellement entendue, comme si, inconsciemment, je l’avais apprise ? Que s’est-il passé, cette nuit, lors de mon sommeil, pour que ces mots me reviennent en mémoire, là, maintenant ? Alors que je suis face à mon miroir, dans ma salle-de-bain, à me brosser les dents ? Et pourquoi, alors que j’y prête attention, mon dentifrice a-t-il un goût particulier ? « Et si tu allais voir dehors ?

  • Hein ? » Qui dit ça ?!
  • Et si tu allais voir dehors ?
  • Qui parle ?!
  • Ton miroir.
  • Quoi ?! » Impossible que mon miroir me parle, impossible !
  • Bien sûr que si ! » Je suis stupéfait ! Car, en face de moi, au lieu de voir mon visage, je vois le visage d’un autre ! Enfin, non, à bien y regarder, je me vois moi ! Mais… comment dire ? Je me vois comme si je voyais quelqu’un d’autre, qui me parle ! C’est ahurissant ! « Alors ?
  • Quoi, alors ?
  • Et si tu allais voir dehors ?
  • Mais… comment… comment est-ce que…
  • Cesse tes questions inutiles ! Et vas voir dehors ! Il n’est plus temps de se poser des questions !
  • Voir dehors ?… Que veux-tu dire ?
  • Vas ! Ouvre ta fenêtre et tes volets ! Et tu verras ! C’est pourtant simple, non ?!
  • Voir quoi ?!
  • Mais, pardi !, les ombres assagies! Et dépêche-toi, après, il sera trop tard !
  • Après quoi ?!
  • Quand tout sera fini !
  • Tout quoi ?!
  • Maintenant, tais-toi et agis ! Après, il sera trop tard, trop tard ! Entends-tu ? Trop tard ! »

Dès ce moment, je vois ma tête, ma vraie tête, se refléter comme elle aurait dû se refléter quelques instants auparavant, je vois la tête d’un type qui ne comprend rien à ce qui lui arrive, un type qui se dévisage comme s’il se dévisageait pour la première fois, sans pour autant se reconnaitre. Et dès ce moment, une pulsion me commande d’aller ouvrir ma fenêtre, puis mes volets, pour aller voir, dehors.

Alors, lentement, presque maladroitement, sans même me rincer la bouche, je pose ma brosse-à-dent sur le rebord du lavabo et, lentement, presque maladroitement, je me détourne de mon miroir. Je me rends compte avoir les mains tremblantes, et je me rends compte avoir des palpitations. Qu’y a-t-il à voir dehors ? Et puis je suis en sueur. Oui, qu’y a-t-il à voir dehors ?!

Après avoir enfilé un peignoir, je sors de ma salle-de-bain, la chambre est seulement éclairée par la lumière de mon armoire à pharmacie, mais, comment dire ?, je n’ai pas l’idée d’actionner l’interrupteur du plafonnier, comme si cette pénombre intermittente me suffisait.  Comme si je ne devais pas signaler ma présence. Car j’ai peur. J’ai peur de découvrir ce qu’il y a à voir, dehors.

Oui, j’ai peur. Pourtant, j’avance, d’un pas hésitant, jusqu’à ma fenêtre. Oui, j’avance. Mais diable ! Comme elle est proche cette fenêtre ! A croire que, cette nuit, s’est réduite  la superficie de ma chambre ! Pourquoi cette fenêtre est-elle aussi proche ? « Avance ! » M’encourage mon miroir.

  • Avance ! T’en as de bonnes, toi ! Ça se voit que c’est pas toi qui dois l’ouvrir cette foutue fenêtre ! Toi, t’es bien planqué dans ta salle-de-bain !
  • Dis-toi bien que si je pouvais l’ouvrir moi-même, cette foutue fenêtre, je l’ouvrirais moi-même !
  • Mais, bon sang ! Pourquoi veux-tu l’ouvrir ?!
  • Pour voir les ombres assagies! C’est pas tous les jours qu’on peut voir des ombres assagies, il me semble !
  • Mais c’est quoi des ombres assagies ? Ça veut dire quoi ?!
  • Qu’est-ce que j’en sais !
  • Alors pourquoi veux-tu les voir ?!
  • Pour savoir ce que c’est, justement ! » Mince, pour savoir ce que c’est ! Et il me dit ça comme si c’était une évidence ! Alors, au lieu d’aller l’ouvrir cette foutue fenêtre, j’arrête d’avancer. Voilà. Et au lieu de me tourner vers mon miroir, je vais m’asseoir sur mon lit. Voilà. « Mais que fais-tu ?
  • Je fais ce que quiconque ferait à ma place en de telles circonstances.
  • Et que fais-tu ?
  • Je réfléchis.
  • Tu réfléchis ? Sais-tu au moins que seuls les miroirs peuvent réfléchir ?
  • Juste retour des choses.
  • Comment ça, juste retour des choses ?
  • Puisque je dois faire ce que toi tu ne peux pas faire, en l’occurrence aller ouvrir la fenêtre, alors je m’arroge aussi le droit de faire ce que tu es censé faire, réfléchir.
  • Réfléchir à quoi ?
  • A ce qui vient après le début de la phrase : de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants.
  • Et ?
  • C’est quoi ces drôles de personnages?
  • Si tu ouvres, tu le sauras. CQFD.
  • Et s’ils sont dangereux, hein ?
  • Pourquoi le seraient-ils ?
  • Et pourquoi pas ! S’ils sont drôles, alors c’est qu’ils sont peut-être dangereux ! Surtout quand je me remémore du reste de la phrase : pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidence!
  • Quoi ?! Tu n’oses pas ouvrir la fenêtre parce qu’à l’horizon déclineraient des lumières soi-disant sombres?!
  • Exactement ! Parce qu’en plus d’être sombres, elles engendrent je ne sais quelle incidence! Avoue que c’est quand même inquiétant !
  • Qu’est-ce qui est inquiétant ? Je ne vois rien d’inquiétant dans tout ça, ce ne sont que des mots ! Du vent ! Et rien d’autre !
  • Ah ! C’est sûr ! Bien planqué dans une salle-de-bain, on ne voit rien d’inquiétant ! Ça se voit que c’est pas toi qu’est en première ligne !
  • Ce ne sont que des mots, te dis-je !
  • Des mots, des mots ! Mais derrière les mots il y a forcément quelque chose ! Tiens, par exemple, que peuvent être ces drôles de personnages mutiques? Ça veut dire quoi, mutiques, hein ?!
  • Moi, je me demanderais d’abord ce que ça veut dire drôles de personnages… mais bon, comme c’est toi qui réfléchis, je te laisse faire.
  • Ben, drôles, ça veut dire ce que ça veut dire !
  • Si je prends un dictionnaire de synonymes, le premier mot qui vient, c’est cocasse.
  • Et alors ? On peut être cocasse et dangereux tout en même temps ! C’est pas parce qu’on a l’air comique qu’on peut pas être dangereux ! Imagine un instant un clown, tu vois ce que c’est un clown ?
  • Tu me prends pour qui ? Un clown, c’est un pitre.
  • Oui, un pitre, un mec vêtu n’importe comment pour paraitre drôle, mais qu’est-ce qui nous dit que ce clown n’est pas une bombe humaine, hein ? Qu’est-ce qui nous dit qu’il ne dissimule pas sous ses frusques une ceinture de dynamite reliée à un détonateur, hein ?!
  • Mais dans notre cas, drôles de personnages relèverait plutôt d’un truc moins fantaisiste !
  • Un truc, quel truc ?!
  • Du genre… je ne sais pas… peut-être, quand j’entends à la volée, un truc plus monstrueux, un truc qui vole par exemple, avec des ailes de chauve-souris, un truc hideux, un gros truc de la taille d’un jaguar, avec un bec à faire peur, avec des griffes acérées et des intentions prédatrices !
  • Tu vois donc bien que c’est inquiétant ! Surtout qu’il ne s’agit pas d’un seul truc, mais de plusieurs ! C’est donc peut-être une meute sanguinaire, qui vole et qui cherche des proies faciles !
  • Quel genre ?
  • Ben du genre d’un mec qui ouvre sa fenêtre ! Hop ! Guilleret, il ouvre sa fenêtre et hop !, il est cueilli par surprise ! T’imagine ?! Une flopée de monstres sanguinaires et agressifs qui lui tombe sur le paletot, comme ça ! Becs et griffes en avant pour le déchiqueter !
  • Ho, ho, ho ! On s’égare un peu, tu ne crois pas ?
  • On s’égare, on s’égare, pas tant que ça ! Parce que n’oublie pas que ces drôles de personnages mutiques ont aussi des regards luisants et pénétrants ! C’est des vrais monstres !
  • Mais d’abord, pourquoi seraient-ils mutiques, d’après toi ?
  • Pourquoi ?! Mais parce que tout a pu arriver cette nuit !
  • Tout, c’est-à-dire ?
  • Ben tout ! Quand la centrale nucléaire de Tchernobyl a explosé, ça n’a pris que quelques microsecondes ! Avant, tout était normal, ensuite, c’est devenu l’apocalypse ! Comme ça ! Rien et boum ! Plus rien !
  • Mouais… de rien on est seulement passé à plus rien. De rien à rien en somme.
  • Oui, mais ce n’était plus le même rien !
  • Ben quoi, on est passé d’un état à un autre, ça n’a rien d’exceptionnel, ça se passe comme ça dans la matière, en ce moment même, c’est l’un des principes de la physique quantique.
  • Justement ! Imagine qu’il s’est produit un évènement et que cet évènement ait produit un changement d’état ! Que des bêtes…
  • Des bêtes ? Quelles bêtes ?
  • Je ne sais pas, des chiens par exemple, des gentils toutous tous câlins qui, d’un seul coup sont devenus des monstres ! Qu’ils ont dévorés leurs maitres, comme ça, crocs en avant, durant leur sommeil ! Qu’ils les ont dépecés et se sont repus de leurs chairs ! Alors qu’ils étaient encore vivants !
  • C’est plausible. Mais quel rapport avec les lumières sombres?
  • Tu comprends rien ou quoi ? Les lumières sombres, mais c’est une hyperbole pour parler de ce qu’il s’est produit !
  • Et, d’après toi, que s’est-il produit ?
  • La fin du monde !
  • Ah oui ? La fin du monde ? Alors, dis-moi, toi qui réfléchis comme un miroir, pourquoi, si la fin du monde est survenue, toi, tu es encore là, à parler avec moi, hein ?
  • Je ne sais pas !
  • Tu ne sais pas… alors tu t’imagines des trucs insensés, des trucs comme une fin du monde rocambolesque, qui aurait produit des monstres mutants non moins rocambolesques, des monstres aux yeux incandescents et au regard menaçant, des monstres impitoyables, qui voleraient dans un firmament tourmenté !
  • Et pourquoi pas ?! Je suis bien là à te parler !
  • Me parler c’est quand même moins abracadabrant qu’une fin du monde hypothétique !
  • Moins abracadabrant ! Je suis en train de me brosser les dents, au petit matin, je suis dans ma salle-de-bain, nu et seul dans mon appartement, quand tout-à-coup mon miroir me demande d’aller ouvrir la fenêtre et c’est moins abracadabrant ?!
  • C’est bien pour cette raison qu’il faut l’ouvrir cette fenêtre, pour savoir.
  • Pour savoir quoi ?!
  • Alors là, c’est toi qui ne comprends rien mon pauvre ! Pour savoir si tu as raison ou pas ! Alors, souffle un bon coup, prends ton courage à deux mains, lève-toi et va ouvrir la fenêtre ! Sans plus réfléchir ! Laisse-moi cette prérogative, veux-tu ? »

A-t-il trouvé les mots pour me convaincre ? Je ne sais pas. Toujours est-il que je me lève, bien décidé à savoir. Et je m’approche de ma fenêtre. Que j’ouvre. Sans réfléchir. Vais-je oser ouvrir mes volets ?

J’ose. Lentement, presque maladroitement.

Quand là ! Devant les yeux ! Je vois l’incroyable ! Ma rue a disparu ! Ne subsistent que des moignons de murs, ceux d’en face ! Des moignons de murs éboulés, des murs baignés de fumeroles noires, des murs qui ne sont plus que des ruines ! Et partout où porte mon regard, je vois des ombres assagies, les mêmes ombres qui surviennent après un cataclysme, des ombres d’anéantissement ! Les ombres de la ville à jamais disloquée ! Et par-dessus ces ombres, là-haut, tout là-haut, dans les nuées obscures, virevoltent des volatiles rocambolesques, des volatiles monstrueux, qui hululent d’improbables vocalises, des vocalises de terreur ! Des monstres abscons aux yeux rutilants et au regard cruel de menaces tout aussi cruelles ! Aussitôt je me replie, épouvanté ! « Alors ? » Me réclame mon miroir. Fasciné par l’horrible contemplation, je recule sur les talons, sans trop bouger, sans respirer, abasourdi. « Alors ?! » Je dois me cacher, je dois disparaitre, je dois me fondre dans le décor de ma chambre. Sans un mot. « Alors ?! » Je recule toujours. « Alors ?!! » Je recule et, à tâtons, touche l’huisserie de la porte de ma salle-de-bain, j’entre, toujours en reculant, impossible d’orienter mon regard ailleurs que vers ma fenêtre de chambre, grande ouverte sur un ciel de désolation, un ciel où tournoient d’improbables créatures sauvages, pourvu qu’elles ne me remarquent pas ! Pourvu qu’elles ne s’aperçoivent pas qu’une proie facile et innocente a ouvert ses volets ! « Alors ? Tu me dis oui ou non ce qu’il y a dehors ? » Je ne réponds pas, j’ai le cœur qui cogne plus fort qu’un marteau-piquer ! « Hep ! Retourne-toi, veux-tu ? » Mes fesses bloquent contre mon lavabo, impossible de reculer davantage, je suis acculé ! Devant moi, c’est la désolation la plus totale et, derrière moi, il y a mon miroir ! Que craindre ? Quelle absurdité dois-je craindre ? Une fin du monde qui n’est plus une hypothèse ou un miroir qui a pris la parole ?« Retourne-toi, veux-tu ?

  • Pourquoi dois-je me retourner ?
  • Pour me faire face.
  • Tu me vois très bien comme je suis.
  • Certes, mais toi, tu ne vois pas ce que tu dois voir.
  • Et que dois-je voir ?
  • Ce que j’ai à te monter.
  • Et que dois-tu me montrer que je ne connaisse déjà ?
  • L’autre toi-même.
  • Que veux-tu dire ? Quel autre moi-même ? Mon reflet ?
  • Je veux te montrer la fin de la phrase.
  • C’est-à-dire ?
  • La déclinaison de l’incidence. Retourne-toi, veux-tu ?
  • Vais-je avoir peur ?
  • Tu as déjà peur.
  • Ai-je droit à un temps de réflexion ?
  • Tu as suffisamment réfléchi comme ça. Laisse-moi seulement finir mon travail, c’est à mon tour de réfléchir à présent. Et ce que j’ai à te montrer n’est pas beau à voir, pas beau du tout. »

Alors, lentement, presque maladroitement, intrigué, refermant les paupières, je me retourne, que vais-je voir qui n’est pas beau à voir ? Que peut-il avoir d’autrement pire que la sinistre vision au travers de ma fenêtre grande ouverte, la sinistre vision de la fin du monde ? « Dis, » me lance mon miroir, « ça ne t’interpelle pas que suite à la catastrophe, tu sois toujours vivant ? Que ton immeuble soit toujours debout, intact ?… Oh ? Tu m’entends ? Et puis, s’il-te-plait, ouvre les yeux.

  • Pas besoin d’ouvrir les yeux pour t’entendre.
  • Ouvre les yeux, veux-tu ? » Fébrilement, je pose mes deux mains, à plat, sur le bord du lavabo. « Aller, ouvre les yeux, de quoi as-tu peur ?
  • De toi.
  • De moi ?! Mais je n’ai rien d’autre à te montrer que toi-même !
  • Alors pourquoi ce n’est pas beau à voir ?
  • Fallait bien pimenter un peu, tu ne crois pas ? Aller, ouvre les yeux… »

Silence.

J’ouvre les yeux. Et ce que je vois est surprenant ! Je vois ce que j’ai l’habitude de voir lorsque je me mire dans mon miroir ! Sauf que… mes yeux ! Comment dire ? Ils sont rouges ! Oui, c’est ça, rouges ! Ecarlates, même ! Enfin, ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas le blanc de mes yeux qui est rouge, comme s’il était injecté de sang, non ! Mes iris sont rouges ! Et, à bien y regarder, plus incroyable encore, elles palpitent ! Comme si elles clignotaient ! En fait, au début, mes yeux étaient normaux et c’est au fur et à mesure qu’ils sont devenus rouges et clignotants, comme si un processus inconcevable s’était mis en branle, sous mes yeux, si j’ose dire !

C’est alors que tout s’accélère ! D’un coup, je ressens une terrible douleur ! Dans la tête ! Une terrible douleur qui m’oblige à m’enserrer le crâne à deux mains ! C’est si terrible que je crie toute ma souffrance ! Je suffoque ! J’ai mal ! J’ai la nausée ! Douleur ! Je crie encore ! J’entends comme une stridulation qui exacerbe mon supplice ! C’est insoutenable tellement c’est douloureux, si douloureux que je dois m’effondrer sur les genoux pour tenter de m’en soustraire ! Mais rien à faire, j’ai toujours mal !

Quand, tout s’interrompt, brutalement. Plus rien. Comme après l’explosion de Tchernobyl. M’englobe alors un silence de mort. Un silence assourdissant. Et après le silence, l’angoisse. Et après l’angoisse, le questionnement : que s’est-il passé ? Pourquoi ce que je viens de voir n’était pas aussi laid à voir? Car mes yeux sont certes rouges, mais je me suis plutôt trouvé beau d’avoir les yeux rouges. Alors pourquoi cette névralgie aussi soudainement apparut qu’aussi soudainement disparut ? « Relève-toi, » m’ordonne mon miroir, « tu n’as encore rien vu. » A nouveau intrigué, je me relève. Lentement. Presque maladroitement.

Silence.

Je suis quasiment debout, mais comme je n’ose pas voir ce que je n’ai pas vu, je referme à nouveau les paupières. Je sens mon souffle s’amplifier. Je sens la pulsation de mon sang dans mes artères. Que vais-je découvrir ? Que va réfléchir mon miroir ?

J’ouvre les yeux, choc ! Un sursaut d’effroi me pousse le buste en arrière ! Je vois un monstre ! Un monstre aux yeux rouges ! Un monstre avec un bec acéré ! Je vois l’un de ces monstres que j’ai vu dans le ciel ! Je me vois moi ! Tel que je suis devenu ! Un mutant ! Je me vois moi et j’ai peur ! Non ! Impossible que ce soit moi ! Impossible !

Quand j’entends un violent craquement depuis ma chambre ! Un craquement qui, par réflexe, me fait déplier les ailes, prêt à m’envoler ! Et là, je vois apparaître dans l’embrasure de ma salle-de-bain, une silhouette, une silhouette noire, qui pointe un fusil : « Je te tiens ! » Hurle-t-elle ! Je suis interdit ! Je n’ai aucune échappatoire ! Et la silhouette me braque avec un fusil ! « Tire ! » Crie mon miroir, « mais tire ! Qu’est-ce que tu attends ! » Comme dans un rêve, j’entends alors la silhouette armer son fusil, clac-clac ! Et, comme dans un rêve, je vois au ralenti l’index de la silhouette appuyer sur la détente, je vois tout, j’entends tout, mais je n’ai aucun réflexe pour me sauver la vie ! Je vois ensuite de la fumée sortir au bout du canon, de la fumée et des plombs de chevrotine, puis j’entends la détonation ! Je suis percuté à la poitrine ! Et la percussion me propulse en arrière ! Me cogne l’occiput contre mon miroir ! Qui se brise ! Je chute sur le carrelage, inerte ! Vois mon sang s’épancher, aussi rouge que mes yeux sont rouges.

Silence.

« Le voilà bien avancé, » annonce mon miroir à la silhouette, « il est parti pour sept ans de malheur.

  • T’inquiète, » répond la silhouette,« avec ce qu’il a pris, il ne va pas en profiter longtemps de ses sept ans de malheur. »

Obscurité.

 

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