À mi chemin entre le soleil et la lune

 

 

Dans le monde d’après, des ombres assagies croisaient en silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants – Pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidences ?

Et j’ignorais tout d’elles, me paraissant à la fois familières et inconnues, chaleureuses et cruelles. Je ne reconnaissais plus les visages qui m’entouraient et disparaissaient soudainement. Ni le jour, ni la nuit, pas de coucher de soleil, une heure à mi chemin entre le soleil et la lune. Ça s’était arrêté là. Le jour ne se lèverait pas et la nuit refusait de couvrir la terre de son épais manteau sombre. Mais est ce que tout cela avait vraiment une importance ? Tu avais lâché ma main, et je n’avais pas pu te retenir. Et au même moment, je cru que c’était mon cœur, qui s’était décroché. Comment avais tu pu sourire ? Je n’ai pas su expliquer ce qu’il s’était passé là bas. Je balbutiais, de colère contre moi-même, mais surtout de peur, la peur de devoir affronter, seule, cette vérité. Je n’avais pas compris ton regard pétrifié, pardonne moi d’avoir cru à une mauvaise blague de ta part. Tout ça, c’est à cause moi.

« Vous êtes nouvelle ici ? »

Je sursautai sur le champ. Un homme dont le visage était à moitié effacé et distordu avait posé ses doigts racornis sur mes épaules. Je distinguais très mal les traits de son visage, seuls ces yeux étrangement vifs brillaient. Je fis quelques pas en arrière.

« Non, ça fait un moment que je vis ici.

  • Vous êtes sûre ? Je ne vous ai jamais vu auparavant.
  • Eh bien je suppose qu’on ne peut pas connaître tout le monde dans une ville. Veuillez m’excuser, j’ai mieux à faire.
  • Vous appelez cela une ville ? Je pense que vous vous trompez. Êtes-vous encore dans le déni ?»

Je le dévisageai. Je ne comprenais rien aux mots qui sortaient de sa bouche. De quel droit se permettait-il de me parler sur ce ton ?

« Je n’en ai rien à faire de vos histoires de complots ou je ne sais quoi encore. Si vous me suivez j’appelle la police ! »

Je détestais ces gens. Je n’aimais pas qu’on me touche, pas comme ça, sans prévenir. Le ciel presque statique laissait apparaître des percées entre les nuages. On pouvait apercevoir l’atmosphère orangée, teintée de tristesse, pâle et lointaine. Les ombres qui jouaient sur le sol dessinaient des silhouettes découpées entre des branchages dénudés. Et j’avais sans doute trop marché, car je ne reconnaissais plus les murs délabrés des appartements, que je voyais pourtant tous les jours. Tant pis, j’avais cette sensation étrange de ne pas vouloir faire demi tour. Peut être serais-je incapable de retourner chez moi… Ce soir, je dormirais à la belle étoile, je regarderais le reflet de la lune se reposer sur le lac, si la dame accepte de se montrer. J’embarquerais au hasard des ténèbres sur une barque bringuebalante, et j’attendrais, tout simplement, pour que je me réveille enfin de cet interminable cauchemar.  Je me remettais à penser, à penser à toi. Je t’en voulais de m’avoir quittée comme ça, on avait toujours joué ensemble, tu étais devenue comme ma sœur, et j’ai cru, je croyais, que notre amitié s’étendrai au-delà de nos 90 ans. J’ai été bien naïve. Tu me disais souvent que j’étais une idéaliste bornée, mais aujourd’hui, qui sera là pour me le répéter ? Tu me manques déjà, c’était il y a quelques jours, et la souffrance que je ressens encore m’oppresse la poitrine comme celui de ta mort. Et ça va durer, je le sais, car tu ne reviendras pas. Tu crois que c’est vrai, ce qu’on raconte sur les morts ? Est-ce que tu as réussi à avoir ce que les vivants recherchent ? Une vie éternelle. Est-ce que tu es en paix là où tu es ? Est-ce que tu m’as oubliée ?

Oh ! La sœur du gardien… Je pensais qu’elle était encore à l’hôpital.

« Eh oh ! Madame ! »

Je la rattrapai assez vite, malgré mon manque d’endurance.

« Vous allez bien ? Vous vous souvenez de moi ?

  • Ah cesnndjifeklor zaaaa !
  • Pardon ? Je suis désolée, je ne comprends pas… »

Je vis une autre dame, pas loin me faire des grands signes d’un air triste. Je n’arrivais pas non plus à voir son visage, ses yeux luisaient aussi et apparaissaient comme deux lucioles. Je me rapprochai.

«Ça ne sert à rien. Elle a perdu la tête, ça a été un trop gros choc vous savez, certaines personnes ne le supportent pas. Elle n’en a sans doute plus pour très longtemps.

  • Mince je ne pensais pas…
  • Enfin bon, beaucoup d’entre nous vont sûrement mourir bientôt.
  • Oh ne dites pas ça, vous n’êtes pas si âgée !
  • Mais…Alors vous ne savez pas non plus ?
  • Savoir quoi ?
  • Je…Rien, ce n’est pas à moi de vous le dire, je ne veux pas avoir à vous dire ça, allez partez ! »

Elle me poussa avec tant d’insistance, que je fini par m’exécuter, les yeux écarquillés. Décidément, je déménagerai sûrement, très loin d’ici, les gens n’ont pas l’air bien dans leur tête. Ça veut aussi dire que je ne pourrai pas me rendre sur ta tombe par la suite… Je promets de te rendre visite et de fleurir ton dernier lit, de fleurs de lys et de jasmin que tu adorais. Je te raconterais des histoires, celles qui font peur mais aussi celles qui font rire. J’aurais tellement aimé, que tu me racontes pour la énième fois, l’histoire de la chaussette. Celle que tu avais reçue en pleine face par un marchand de poisson après avoir critiqué l’odeur de ses produits. Je n’étais pas présente, mais j’aurais sans doute bien ri. Mince, je pleurs maintenant. Je n’ai pas pu demander quand l’enterrement se ferait, j’ai oublié, je n’ai pas eu de nouvelles de ta mère, j’imagine son chagrin. C’est étrange tout de même, la couleur du ciel n’a pas changé. Quelle heure est-il ? … Mon portable, zut, j’ai dû l’oublier sur la petite commode en bois d’ébène du salon. Je devrais peut être rentrer. Je suis sortie sur un coup de tête, mais la nuit est plus effrayante que mes pensées passagères. En pensant à toi, je me suis perdue.

Hmm, j’aimerai quand même savoir où se trouve le cimetière. On m’a toujours dit qu’il était à l’extérieur de la ville, et j’ai bien l’impression que mes pas m’ont guidée vers le nord.

« Excusez moi madame, je m’excuse de vous déranger à cette heure, mais savez vous où se trouve le cimetière ?

  • Ah ! Un cimetière ici ? Quelle idée, elle est bien bonne celle là.
  • Pourtant on m’a dit qu’il y en avait un par ici.
  • Jeune fille, un cimetière ici, ça ne sert à rien. »

Elle s’éloigna sans me donner un dernier regard, sans une explication, sans une once d’empathie. Le vent orageux, légèrement tiède se mit à souffler fortement et fit s’envoler le chapeau capeline rouge de la mégère, qui se mit à courir derrière lui. J’observai la scène grotesque jusqu’à ce qu’elle trébuche et tombe. Elle ne bougeait plus, je me mis à mon tour à courir pour l’atteindre. Peut être était ce trop tard… J’essayais le massage cardiaque, je fis les premiers secours, mais ses mains gelées, faisant ressortir ses veines, me prouvaient que rien de ce que je ferai ne pourrait la réanimer. Je me mis à crier, ça sortait tout seul, les larmes, ton nom, ce n’était pas toi allongée par terre, néanmoins, seul ton nom me venait à l’esprit. Je la serrais fort contre moi, espérant la réchauffer. Au bout de quelques minutes des voisins arrivèrent, sans avoir l’air affolé. Ils affichaient un regard plein de compassion sans vraisemblablement vouloir m’aider. Une jeune femme arriva, et proposa de porter le corps de la dame chez elle, « en attendant ».

« Pardon ? On devrait aller à l’hôpital enfin ! On ne peut pas emmener une personne chez nous comme ça ! Appelez les pompiers, faites quelque chose je vous en supplie. »

Voilà, cette fois j’éclatais en sanglot. Ça n’avait aucun sens. Tout était calme autour, il n’y avait pas de vrombissements sourds de voitures, pas de cris d’animaux, de miaulements ou d’aboiements, même les personnes autour de moi se taisaient. Le silence pesait bien plus lourd que ces sons dissonants.

« Viens là, viens dans mes bras, allez. »

La jeune femme m’entoura de ses bras, en signe de réconfort.

« C’est comme ça, tu sais ce sont des choses qui arrivent.

  • Elle va devenir une ombre. C’est ça qui va se passer, je vous le dis moi. Ces silhouettes difformes qui traversent sans qu’il n’y ait personne. »

C’était un homme qui avait pris la parole. Je ne pourrais pas le décrire non plus, son apparence était quasiment identique à celles des autres. Je ne savais plus vraiment où j’avais atterri. Le hoquet bloquait ma respiration et mes larmes floutaient ma vision. On aurait une peinture impressionniste, des gens avec une forme plus ou moins définie par des traits de pinceaux rapides, des lumières jaunes provenant de fenêtres semblant flotter dans les airs, des arbres estompés…C’était à la fois beau et terrifiant. Je me calmais peu à peu.

«  Ces quoi, les ombres ?

  • Vous ne savez pas ? C’est…
  • Oh tais-toi ! Elle n’est pas encore prête à entendre ça. Vient-on s’en va.
  • Attendez, et pour l’hôpital, vous n’allez pas nous aider ? Demandais-je dans un dernier espoir.
  • Il n’y a pas d’hôpital. Au moins elle ne souffre plus. »

La jeune femme était restée. Elle ne me regardait pas, son visage au teint morne et livide était tourné vers celui de la dame allongée sur le sol, au milieu des pavés.

« Viens avec moi, on va la porter jusqu’à chez moi, c’est tout ce qu’on peut faire en attendant. »

On porta la femme du mieux que l’on pouvait, et on l’installa sur le canapé. Elle avait le visage paralysé dans une crispation de douleur. Forcément, mon esprit retournait vers toi, la douleur avait elle été inscrite sur tes expressions faciales, tel un masque, gardant les chocs de l’impact ? L’appartement sombre, avec ses volets  à demi fermés laissait passer des filets de lumière au travers des persiennes, procurant une atmosphère intime. Une lampe de chevet, dans un style retro avec une lumière verte trônait sur la table en verre, et moi je ne voyais plus que les souvenirs surgissant. Du pourpre. Beaucoup de pourpre pour une fille qui n’en portait pas.

« Tu devrais te reposer un peu, tiens, un plaid.

  • M…Merci. Je ne sais pas si je vais réussir à fermer les yeux…
  • Tu peux aller dans la chambre de mon fils.
  • Il ne vit plus ici ?
  • Euh, je…
  • Pardon, je ne voulais pas vous blesser.
  • Allez y, ce n’est rien, je, j’ai simplement du mal à l’accepter. »

J’entrai dans la petite pièce, un lit avec un super héro et plusieurs jouets au sol, il devait être jeune, il était parti, mais pas comme je le pensais. Je me mordis la langue, je devais arrêter de m’occuper des histoires des autres. Je ne pourrai pas dormir, j’aurai dû rentrer, m’enfermer chez moi, m’engouffrer dans mes propres songes, ne plus en sortir…

Je somnolais, l’état comatique du sommeil ne m’avait pas encore atteinte, et je luttais pour que les démons n’apparaissent pas lorsque j’aurais baissé ma garde. Une voix tremblante et distante, des mots réconfortants, des paroles touchantes. On me parlait.

« Je te promets que ça va aller, je t’aime, tu le sais hein ? Je vais rester avec toi, je viendrai tous les jours, jusqu’à ce que tu ailles mieux. Je ne t’abandonnerai pas, d’accord, on est meilleures amies pour la vie hein ? Oh ne pleure pas… »

Je senti une pression sur ma main. Douce et remplie d’émotions. Un bruit de verre brisé résonna dans la pièce à côté. Je mis ma main instantanément sur mon cœur pour le sentir battre. C’était elle, c’était sa voix, elle n’avait duré qu’un court instant. Je couru vers la cuisine, et tourna ma tête dans tous les sens, mais aucune trace d’elle. La jeune femme s’excusa de m’avoir réveillée. Elle me regarda, étonnée, puis me demanda si je voulais manger quelque chose de sucré, je n’avais pas faim.

« Avez-vous entendu une voix ?

  • Une voix ? Non désolé… Est ce que ça va ?
  • Pas vraiment, je ne sais plus trop…
  • Restez un peu, asseyez vous, j’ai quelque chose à vous dire. Je ne sais pas comment vous l’annoncer…
  • Qu’y a-t-il ?
  • Bon, je me lance, surtout ne paniquez pas, respirez… Vous êtes actuellement entre la vie et la mort, soit dans un coma causé par un choc, soit coma artificiel, comme tous ceux qui sont ici.
  • Quoi ?! Mais c’est insensé !
  • Vous allez avoir du mal à l’accepter, mais il va falloir. Nous avons peu de chance de nous en sortir. Nous atterrissons dans le monde d’après pour un dernier jugement, mais peu de personne en revienne. Ils n’aiment pas qu’on quitte leur royaume pour retourner sur terre.
  • Qui ça ils ?
  • On ne sait pas, on n’en sait rien, on sent juste leur présence… Et si jamais tu t’en sors, alors il y aura 3 conditions : la première c’est que tu continueras de nous voir, sans pouvoir nous parler, la deuxième est que tu ne devras d’ailleurs jamais nous mentionner ni parler du monde d’après, et la troisième, la plus horrible de toute… »

Je me réveillais… J’avais entendu des bips et toutes sortes d’instruments médicaux, je sentais les pulsassions de mon cœur battre à un rythme régulier, j’étais revenue.

« Tu m’entends ? Je t’en prie, fais moi un signe dis moi que tu m’entends ! Ça fait un mois maintenant… Je suis restée dans le coma un peu moins longtemps que toi, mais c’est à toi de te réveiller maintenant ! »

J’ouvris les yeux et ma première image fut cette fille, pleurant à chaudes larmes sur mes épaules. J’eu assez de force pour lui caresser les cheveux, elle était vivante, elle était bien là. Je sentais son parfum délicatement fruité de ses cheveux lisses, la douceur de son pull cachemire, et l’humidité de son visage près du mien. Derrière, un vieux monsieur, au visage atrophié, à moitié effacé et de petits yeux luisants m’observait.

« Tu es réveillée, je n’y crois pas ! Tu vas bien, parle moi ! Tu m’as horriblement manquée !

  • Toi aussi, tu n’imagines pas à quel point ptite tête ».

Les paroles de la jeune femme revenait comme un écho et résonnait mieux en moi que dans une caverne. « …Et la troisième, la plus horrible de toute…Tu devras tuer quelqu’un de très chère pour toi,  pour rester en vie afin qu’il prenne ta place, ou tu mourras au bout d’un mois ». Les ombres dehors jouant de leurs symphonies, narguaient les vivants et s’emparaient de la nuit pour assombrir les cœurs des moins avertis.

Je n’étais pas morte, je n’étais pas en vie, j’étais à mi chemin entre le soleil et la lune.

Dans le monde d’après des ombres assagies croisaient en silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants – Pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidences ?

 

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