NOUVELLE  VIE

 

 

Dans le monde d’après des ombres assagies croisaient en  silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants – pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidence ?

– Oui, pourquoi ? Se demandait le magicien.

Sur cette lande,  entourée de fumées blanchâtres, il habitait dans un château en ruines où il n’y avait plus qu’une tour debout. De sa fenêtre, il regardait parfois la terre, rocheuse par endroits et surtout le ciel noir, d’où tombait sans arrêt la pluie. Ce magicien était un des derniers habitants « éveillé » de la planète. Il paraissait vieux, mais pas pour un magicien car il n’avait que 299 ans, presque 300. Il portait une barbe blanche et longue, si longue qu’il ne pouvait même plus la peigner. Ce personnage étrange était toujours vêtu de la même façon : un pantalon troué et poussiéreux, une chemise, blanche à l’origine mais devenue grisâtre et élimée et une paire de souliers tout percés. Quant à la cape, il avait décidé, une fois pour toutes, de la laisser au magasin des accessoires.

 

Il vivait dans une chambre de la tour ouest, celle qui était encore la plus solide et parfois, le soir, il se rappelait le temps très ancien où il était arrivé dans ce coin. Les hommes n’avaient pas encore été réduits à l’état de silhouettes diaphanes et apathiques. Lui n’avait qu’une valise à la main et l’idée de créer un monde.

Et il n’avait encore rien fait.

 

Un matin, il se décida. Dans le petit laboratoire qu’il s’était aménagé au premier étage, il fabriqua une potion spéciale pour faire repousser la végétation. Il attendit bien deux ans, mais rien ne poussait. Puis il prit une autre potion qu’il avait fabriquée pour que le ciel brille et la jeta en l’air.

Le lendemain, quand le magicien ouvrit ses volets, il fut tout joyeux car le ciel virait au bleu pur et il y avait des fleurs autour de son château.

– Allons, allons, se dit-il, je n’ai pas perdu la main !

Il sourit et se pencha davantage par la fenêtre. Du plus loin qu’il pouvait voir, les arbres rabougris s’étaient redressés et le vert abondait. Au fond, cependant, il percevait du gris et du brun … tandis que deux silhouettes se détachaient. Elles marchaient dans la direction du château. Et chose curieuse, au fur et à mesure qu’elles progressaient, il avait l’impression que tout se fanait ou s’assombrissait à leur contact.

La magicien, malgré son grand âge et tous ses pouvoirs, ne connaissait pas l’histoire du pays : elle était pourtant simple. Il y a longtemps de cela, tout était à peu près normal :  les hommes vivaient en paix, ils travaillaient, fondaient des familles et tout allait tant bien que mal. Un jour, pourtant, un homme décida de prendre le pouvoir. Il avait une autorité naturelle qui le fit régner sans partage. Il se débrouilla pour affamer peu à peu son peuple. Il tira, on ne sait comment, la substance vitale de tous et se l’appropria. Tandis que lui prospérait, eux, malades, plus ou moins apathiques … réduits à l’état de loques à la limite de la débilité survivaient dans des grottes ou des abris de fortune à côté d’un lac à présent à sec. Il avait réussi cela aussi : qu’ils régressent jusqu’à oublier les techniques, les religions, le savoir. La reproduction également avait été touchée : femmes stériles, enfants débiles, la population vieillissait sans se renouveler …

 

C’est du reste ce que les deux hommes expliquèrent au magicien quand ils furent en sa présence. Notons qu’il s’était déplacé pour les accueillir en bas où ils prirent l’un après l’autre la parole. Et encore, leurs mots étaient hésitants … bredouillants. Il leur fallut bien une heure pour faire au magicien le récit des événements du siècle écoulé.

– Mes gaillards, fit la magicien … je vais tâcher de faire quelque chose pour vous. Il leur proposa donc de le suivre dans son laboratoire. Au prix d’efforts énormes, ils réussirent à monter jusqu’au premier étage.

Le premier « homme » s’appelait Raluo et le second, plus petit, avec quelques chose de torve dans l’oeil, déclara se nommer Snoude. Ils étaient tous deux efflanqués, habillés de haillons et leurs gestes vagues trahissaient la fatigue qui pesait sur leurs épaules. Quand ils furent tous les trois dans le laboratoire de la vieille tour, la magicien s’activa. Il leur fournit à chacun de quoi manger et boire. Puis il leur indiqua, dans un coin, deux paillasses où ils pourraient de reposer. Et il s’assit pour réfléchir.

Pendant ce temps, Snoude ne le perdait pas de vue. Il se leva discrètement et, se saisit de quelques flacons de potion qu’il vida, sans savoir au juste ce qu’ils contenaient.

Quand le jour se leva, le lendemain, la magicien avait arrêté un plan : tout d’abord, il questionna doucement les deux « hommes » sur le tyran. Où vivait-il, quelle forme avait-il ? Avait-il un nom, des habitudes ?

Ils répondirent du mieux qu’ils purent. Leur parole était toujours aussi approximative et pauvre leur vocabulaire, mais le magicien saisit l’essentiel.

S’il avait mieux regardé, il aurait pu constater que Snoude se redressait ostensiblement et que ses mots à lui étaient plus clairs. De même, dans son oeil, brillait à présent une lueur … meurtrière.

 

D’abord le tyran n’avait pas de nom. Il l’avait voulu ainsi : qu’on oublie son identité pour ne retenir que son pouvoir. On le désignait comme le « sans nom », avec toujours en soi cette peur qu’il avait si bien su créer. Quant à sa forme … elle était humaine, sans doute. Plus probablement surhumaine. Et il vivait dans un superbe château de l’autre côté de la colline et du lac. On ne savait pas où exactement, mais on pouvait penser qu’une rivière baignait le château, qu’il y avait un ou plusieurs jardins autour, des fleurs belles au-delà de tout et des animaux fabuleux. Qu’au-dessus, le ciel était toujours bleu. Le « sans nom » circulait peu. On l’avait vu à un moment ou à un autre, parfois, aux dires des témoins, à vingt ou trente ans de distance, comme s’il venait juste faire une petite visite de routine et entretenir la « vénération » dans laquelle chacun était censé le tenir.

Certains hommes, très vieux, pouvaient se référer aux propos d’un père ou d’un grand-père. Le tyran était-il, par la même occasion … immortel ? Raluo en paraissait persuadé. Alors que le magicien secouait la tête en souriant, il insistait : Immortel, si, si … il est immortel !

– Allons, reprit le magicien … s’il y avait quelqu’un d’autre d’immortel ici, je le saurais, non ?

Snoude ricana sans faire de commentaire, tandis que Raluo baissait craintivement la tête.  Plus tard, les préparatifs faits, il n’avait pas quitté cet air accablé. Le magicien fit un petit baluchon dans lequel il plaça plusieurs fioles dont il examina soigneusement les étiquettes avant de les ranger. Il confia le petit sac à Raluo et fit un signe vers la porte. Ils sortirent mais, très vite, Snoude avait saisi la clef et refermait la porte sur la magicien.  Entraîné par son comparse, Raluo descendit l’escalier d’un pas vacillant et les deux hommes se retrouvèrent en bas.

– Viens ! Souffla Snoude.

Visiblement terrorisé, Raluo faisait des gestes indiquant l’étage, puis la porte de la tour. Vraiment il ne comprenait pas l’attitude de Snoude et ce n’est qu’à regret qu’il le suivit. Snoude profita d’ailleurs de son apathie pour récupérer le baluchon et s’élancer d’un bon pas sur le chemin.

Le magicien n’avait rien à manger. Il prit son livre de magie et  fabriqua une  potion magique pour créer des fruits. Il en avait fait pour une semaine. Mais il  fallait un autre ingrédient, du tuomba, pour obtenir ces fruits et le magicien n’en   avait presque plus.  Comme il ne pouvait pas sortir  non plus, il devait  mourir.

Six jours plus tard, le magicien se dit :

– Aujourd’hui est le dernier jour, je n’ai presque plus rien à manger.

Regardant autour de lui, il vit un peu de terre qu’il modela habilement pour en faire une sorte de marmouset d’une quarantaine de centimètres de haut.

Le magicien était dans un état de faiblesse extrême : il eut quand même la force de prononcer quelques paroles magiques et sa petite créature prit vie. De ses yeux pensifs, elle vit mourir le magicien, avant de s’élancer vers la porte. Elle était toujours fermée, mais le marmouset avait la propriété de pouvoir changer de forme :  il se glissa donc par un interstice et sortit. Déjà, il savait tout : l’existence du tyran, un nommé « sans nom« , la visite des deux fantômes d’hommes et la traîtrise de Snoude. Secouant sa petite tête en forme de marron, il se hâta en direction du lac sans eau.

Négligeant les derniers spécimens d’humanité qu’il aperçut, il prit la direction de la colline, qu’il escalada sans trop de peine. De là-haut, on voyait loin, malgré le brouillard : la tour du magicien et le lac grisâtre où quelques silhouettes se traînaient et surtout, le magnifique château de « sans nom« .

Tout aurait été pour le mieux si le marmouset n’avait pas croisé un homme. L’un d’eux s’était en effet risqué sur la colline et le regardait d’un air interrogatif. Le marmouset, si alerte, sentit ses forces, peu à peu, l’abandonner. Il avait l’impression que chacun de ses bras pesait une tonne. Quant à ses jambes, elles s’étaient changé en pauvres choses qui refusaient de bouger. Le marmouset s’écroula alors sur le flanc.

Soudain, tandis que l’hominien s’éloignait, il vit une chose par terre. Il se   demanda ce que c’était. S’approchant à grand peine, le marmouset regarda de   plus   près et reconnut  une arête de poisson. Après avoir fini de la  manger, il trouva des noisettes qu’il avala. Un peu revigoré, il put reprendre son    chemin et il vit un arbre couvert de cerises rouges.

En croquant dedans, il se sentit revivre. Son pas s’affermit et il arriva enfin en  vue du château. Bien sûr, dans l’intervalle, le tyran avait changé : ce n’était plus le « sans nom« , mais Snoude, qui avait utilisé les sortilèges du magicien pour  en venir à bout.

Le marmouset rôda plusieurs jours autour du château, mais sans pouvoir   trouver une entrée. Le découragement le gagnait. Puis il se dit qu’il pourrait peut-être demander de l’aide aux « hommes ». Il appréhendait bien un peu de se    retrouver face à eux … mais le premier contact avait dû agir comme une sorte   de vaccin. La marmouset n’était plus cotonneux : au contraire, il se fit convaincant. Il trouva les mots et gagna à la révolte toute une foule.  Ils  n’étaient armés que de branches et de pierres mais c’était une nouvelle génération, plus décidée.

A l’inverse de leurs parents, ils semblaient désireux de prendre leur revanche et de se libérer. Ce qu’ils firent.

Le règne de la peur finit là. Un semblant de démocratie s’installa, comme on dit en cours d’Éducation Citoyenne et Civique.

Sur la grande dalle de marbre noir, tous se regardaient à présent, comme si c’était la première fois qu’ils se voyaient : il y avait là le marmouset,  Snoude, allongé au sol, quelques hommes parmi lesquels Raluo, triomphant. Le magicien restait dans un coin, immobile à deux pas d’une tour en carton.

On aurait même pu apercevoir un cow-boy et la silhouette gigantesque d’une game-boy, en plus des jouets que, par un après-midi pluvieux, Cédric Lefèvre (11 ans) s’était plu à animer  sur sa cheminée, pour le plaisir d’inventer une histoire.

 

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