Enfin à la maison…
Ces derniers temps, la vie sur notre planète s’est sensiblement compliquée. Le réchauffement climatique, l’extinction des espèces, les guerres, les tensions raciales et sociales. Rassemblées, elle forme une bombe à retardement, et en l’an 2428, nous en sommes plus conscients que jamais. Nous avons développé nombre de technologies, nous avons appris à maîtriser notre environnement, la génétique, et sommes devenus en quelque sorte invincibles. La question se pose à présent : doit-on changer de planète pour assurer la vie de notre espèce ? Nous pourrions nous adapter autre part, et il faut dire que même si nous nous trouvons dans un état au moins aussi préoccupant que notre planète, nous avons toujours su surmonter les difficultés afin d’aller de l’avant. Nous avons même développé un programme de conquête spatial, qui va dans une heure nous envoyer dans l’espace, en direction d’une autre planète d’une système solaire. Je suis astronaute, et je n’ai pas peur, du moins je crois. J’ai toujours vécu entouré de catastrophes climatiques, de canicules et d’inondations à répétition, si bien que je n’ai qu’une seule envie : trouver un autre endroit. Nous en avons les ressources, et de toute façon cet endroit se meurt, avec toute la pollution que nous avons relâché dans son atmosphère. Nos ancêtres n’ont pas pris les bons choix, nous ne pouvons rien y faire, il est donc préférable de partir tant qu’il est encore tant, que la fuite nous est permise. Beaucoup de mes semblables partagent ce point de vue, c’est pourquoi ce projet est né : dans le but de ne pas être emporté dans le vide par un poids que nous avions nous-même créée. Bien sûr, il y a eu des protestations, peu nombreuses, parce que devant l’urgence de la situation, alors que nous étions dos au mur, personne n’envisageait l’option de rester et de faire en sorte que cette situation s’améliore, au moins quelque peu. Il y avait encore quelques utopistes, mais comme la plupart de la faune environnante, ils étaient en grand danger d’extinction, presque entièrement décimés. Dommage, oui, ça l’était. Aujourd’hui, avec deux autres astronautes hautement qualifiés, formant les trois seules personnes à posséder les qualités nécessaires pour mener à bien une telle mission, nous nous apprêtons à embarquer dans une fusée qui a coûté autant d’argent que nous aurions pu en investir pour sauver notre planète, c’est ainsi. Le choix avait été ainsi fait, et malgré l’anxiété et l’appréhension, la peur inconnue semblait plus désirable que la peur connue, voilà pourquoi je me trouve dans cette boîte de conserve ambulante, en direction de l’espace. Lorsque j’étais petit, je rêvais d’être un héros, de sauver le monde, et à présent j’en ai peut-être l’occasion. Je rêve d’être le premier à marcher à la surface de cette fameuse planète rouge…Il a été confirmé il y a peu qu’elle avait un jour abrité de l’eau sous forme liquide, et notre rôle est de nous assurer que c’est effectivement le cas, qu’elle est prête à nous accueillir en cas de problème. Nous visitions notre résidence secondaire en quelque sort, ou peut-être bien la future principale, si nos découvertes sont positives. La planète, recouverte d’une épaisse couche de poussière rouge à sa surface, nous dissimule encore ces secrets les plus importants, et j’espère que je serais celui qui les découvrira. Je pourrais rentrer dans l’histoire, si jamais je réalise une découverte majeure, mais encore faut-il que ce soit le cas. Ce n’est pas si évident, mais j’ai toujours réussi tout ce que j’ai entreprit, et ce voyage en est la principale preuve. Notre espèce a elle aussi toujours réussi ses transitions, donc autant faire confiance à notre instinct et abandonner cette planète comme la majorité d’entre nous le désire ardemment aujourd’hui, vous ne croyez pas ? Sans être pessimiste, par que ce sentiment appartient à celui qui a encore espoir, je dirais que le sauvetage de notre planète est une cause désespérée, et c’est justement pour cette raison que j’ai insisté pour embarquer au sein de cette mission. Lorsque j’étais plus jeune, j’avais moi aussi des rêves de changement plein la tête, j’étais le plus fervent défenseur de l’environnement, parfois même en prônant un certain extrémisme dans mes actes et mes propos. Mes parents étaient des agriculteurs, et moi, habitant des campagnes, je me plaisais à parcourir les champs verdâtres de mon village, présents à perte de vue, plus nombreux que n’importe où dans le monde. Je croyais que ce dernier était représentatif de la réalité, et j’aimais cette idée, aussi naïf qu’insouciant. Je pensais que tout allait bien, tandis que c’était l’inverse. Les générations précédentes nous avaient confié une planète gangrenée, je m’en suis rapidement rendu compte le jour où je suis sorti pour la première fois de mon petit village. Il y avait également des champs, ou plutôt des étendues de terre sans rien au-dessus, désertes. Je suis allé demandé à un paysan pourquoi il ne faisait pas pousser des légumes à cet endroit, mais il n’y avait personne, à part un petit cabanon qui flambait au vent et, derrière, sans que je le remarque, un épouvantail vivant, un suicidé. La terre n’était plus fertile, je l’ai compris plus tard, comme bien d’autres choses. J’ai appris qu’à une époque, plus de la moitié des habitants du monde pouvaient encore se nourrir correctement, avaient un accès direct à l’eau, sans payer une fortune dans ces deux domaines. A l’époque, la vie était facile pour la plupart d’entre eux. Nous, nous étions deux fois plus nombreux, et nous avions deux fois moins de ressources à disposition. De mes cinq ans à aujourd’hui, j’ai connu cinq guerres sur mon territoire, tantôt longues tantôt courte, sans personne pour jouer les médiateurs. C’était chacun pour soi, tant qu’il y avait encore assez pour vivre décemment. Et puis il y a trois ans, sans qu’aucun événement spécifique ne survienne, les gens ont commencé à parler de quitter la planète, en délaissant la théorie. Il n’y avait plus assez pour personne, même pour le pays qui survivrait à tous les autres, alors étrangement, nous nous sommes souris, nous nous sommes serrés la main, et nous nous sommes entraidés. Cette fois-ci, plus le choix, nous devions avoir quitter cet endroit d’ici vingt ans sans quoi cela risquait d’être la fin, à très court terme. Je faisais parti de la première étape, avec mes deux autres compères, voilà pourquoi je me trouvais à bord de cette fusée. Nous avons mis environ un mois pour atteindre cette planète que nous recherchions tant, de couleur rouge. J’ai été le premier à fouler son sol, recouvert de quelques mètres d’une matière argileuse, un amas de poussière et de débris spatiaux. Notre mission consistait uniquement à faire des expériences, pour tester notre habilité à survivre dans ce milieu hostile. Nous l’avions surnommé la planète rouge, du fait de sa couleur. Des millions de nos concitoyens suivaient nos fouilles, nos investigations et nos expériences en direct, croyant que tout espoir pour eux et leur génération reposait sur nos épaules. Peut-être avaient-ils raison, peut-être…Nos supérieurs hésitaient encore sur le message destiné aux téléspectateurs concernant notre mission. Soit nous racontions que l’endroit était parfaitement viable, et notre départ était unanime, au risque que notre nombre nous cause certains problèmes d’ordre pratique, technologique et financier, soit nous décrivions l’endroit comme infernal, ainsi seulement un petit groupe accepterait de nous rejoindre ici. Pour nous, de toute façon, aucun voyage de retour n’était prévu. Nous avions définitivement quitté notre planète, pour le meilleur et pour le pire. Nous étions les premiers à devenir les habitants d’une autre planète, et je ne ressentais rien, sinon une peur sidérale, qui ne survenait que la nuit, lorsque je regardais tous ces petits points blancs, bien plus nombreux que depuis mon précédent observatoire, et que je me demandais où se trouvait ma planète, entre ces milliers de tâches lumineuses, perdue dans l’immensité galactique. Je n’avais personne là-bas, c’est également pour cette raison que j’avais été choisi parmi tant d’autres. Aucune accroche, rien qui me retenait là-bas. La planète, en elle-même, ne me manquait pas véritablement, du moins j’essayais ardemment de m’en persuader. Tous les matins, au réveil, lorsque je tournais autour de moi-même et que je cherchais une habitation au loin, n’importe quoi, même un parc ou un champ, et que je finissais par abandonner, bredouille, mon cœur se serrait si fort que j’étais à chaque fois étonné d’y avoir survécu. Je me répétais que c’était pour la bonne cause, qu’il n’existait aucune autre solution, mais aucun argument ne parvenait à me convaincre, et j’angoissais de voir que mes convictions auparavant si solides se déliter au soleil. Je me disais que dans le futur, changer de planète ferait partie du quotidien, et je songeais : est-ce que l’angoisse disparaîtra ? J’aurais tendance à dire que non, mais il est probable que oui. Voir sa planète s’éloigner et une autre se rapprocher, inéluctablement, en sachant que rien ne les reliait, à part peut-être la vie. Je n’avais ni femmes ni enfants, et pourtant je les regrettais, ou plutôt je regrettais qu’ils n’aient pas existé, et qu’ils ne le puissent plus. Nous avons fait le tour de cette planète, sans rencontrer aucun obstacle, avec toujours le même paysage autour de nous. Rien ne transparaissait, et il semblait à nos yeux que cette planète n’avait aucune histoire à raconter, absolument rien du tout. Nous pouvions survivre, nous avions été formé pour cela, mais il y avait cette sensation d’éloignement, comme lorsque l’on part faire des études dans un autre pays, mille fois plus prenant et violent. Le plus horrible, à mon sens, c’était de savoir que dans une dizaine de générations, nos descendants n’éprouveraient rien en observant cette planète, au loin, dont les anciens leur raconteraient qu’elle avait été notre point de départ. Peut-être qu’un jour nous aurons tout exploré, nous aurons des membres partout, et les gens oublieront que la Terre a été l’Afrique de l’espace. Il y aura peut-être des divisions entre membres de certaines planètes, des guerres, des destructions, des anéantissements, et nous n’aurons plus rien à voir avec ce que nous avons été. Dans cette démesure galactique, nous serions répugnants. Comme l’homme des cavernes ne nous ressemble que peu mentalement, je pense que ces individus-là n’aurions à voir avec nous, qu’ils seront abjects, parce que ce qui faisait de nous une espèce humble, c’était notre situation ridicule, dérisoire en comparaison de l’étendue spatiale. Je pense que notre espèce, plus elle a réalisé des conquêtes, au fil du temps, moins elle est devenue sage, humble et modérée. Alors, sur cette nouvelle planète, durant ces six mois, j’ai commencé à me demander : est-ce que cette ultime conquête ne mènerait pas à notre fin, même si nous venions à la réussir ? Est-ce que justement la vie sur une seule planète ne serait pas la raison pour laquelle nous avons résisté si longtemps, en tant qu’espèce ? Je commençais à entrevoir tous les problèmes de ce voyage inaugural, de ce que nous étions en train de commencer, de ce pas qui entraîne la chute dans l’escalier, mortelle. Les conquêtes nous rendent mauvais, je commençais à entrevoir ce raisonnement, à le décortiquer, et il me semblait cohérent. Pourtant, je continuais à penser que c’était ainsi, qu’il le fallait bien. Je ne souhaitais pas faire partie de ceux qui condamneraient à mort toute notre espèce, et je ne souhaitais pas non plus être celui qui freinerait nombre d’immenses possibilités. De toute façon, cette avancée n’était-elle pas irréversible ? N’y aurait-il pas quelqu’un d’autre pour prendre notre place, dans quelques années, si nous refusions de mener à bien cette mission ? C’était trop pour une seule personne…Deviner l’avenir, cela n’avait aucun sens. Et puis, si je le faisais et que tout le monde disparaissait dans le futur, serait-ce alors de ma faute ? Celle de ne pas avoir arrêter cette machine infernale, de ne pas avoir fait prendre conscience à mes congénères que l’expansion, si elle fait rêver, n’est en rien la seule et la meilleure solution que nous avons pour nous améliorer. En réalité, c’était exactement comme la classique histoire du dictateur : celui-ci prend le pouvoir, le pays ne va pas bien, et comme il ne sait pas comment régler le problème, comment améliorer la situation, il décide de partir à la conquête de nouveau territoire, pour donner l’illusion d’une amélioration, d’une avancée. Mais la conquête, je me rendais bien compte, n’a rien d’une avancée, d’une amélioration, au contraire, puisqu’elle nous a fait croire que c’en était une, et qu’elle nous a empêché d’en réaliser de réelles. Nous avons toujours cru que marcher c’était avancée, mais marcher c’est marcher, penser c’est avancer, et si l’on pense en marchant, des problèmes peuvent survenir, ce qui n’est pas le cas lorsque l’on reste immobile. Pouvions-nous alors encore sauver notre planète, n’était-ce pas déjà trop tard ? Tandis que je façonnais cette réflexion, mes camarades poursuivaient leurs recherches avec enthousiasme, n’ayant pas fait le raisonnement qui était le mien. Et dire qu’au début je les ressemblais…La dernière semaine de nos investigations, l’un d’entre nous a eu l’idée de creuser, afin d’observer ce qu’il y avait en dessous sans attendre le résultat des analyses de notre robot. J’avais toujours mes interrogations en tête, tout de même curieux de connaître ce qui se trouvait ici bas. Nous avons creusé sur plusieurs mètres, et c’est alors que nous sommes tombés sur une grande plaque en or, d’une trentaine de mètres de longueur et d’une dizaine de largeur. Trop lourde, impossible de la retirer. Nous avons enlevé la terre qui la recouvrait, et c’est alors que nous avons découvert des écrits sur celle-ci, en plusieurs langues qui nous étaient familières, que nous avions déjà entendu étant enfants. En me concentrant, je suis parvenu à déchiffrer ce qui était un message, un long message, qui changeait absolument tout.
Nous, le peuple de la planète Terre, humains, déposons en ce lieu une trace de notre passage, qui, nous l’espérons, sera un jour découverte, lue et comprise par une autre forme de vie, plus évoluée et plus sage que nous ne l’avons été. En l’an 2220, notre planète est devenue invivable, subissant depuis longtemps les attaques de la pollution, du réchauffement climatique, des guerres et d’autres catastrophes dont nous sommes les seuls et uniques responsables. Nous endossons pleinement la responsabilité de cet échec, mais ne sommes pas encore prêts à abandonner notre idéal, celui d’une vie en paix avec notre environnement, une vie de cohabitation et non de fuite. Cette nuit, le dernier des vaisseaux qui transportera le reste des membres de notre espèce partira, en direction du Mars, pour rejoindre les milliers d’autres qui sont déjà en route. Nous avons fait le choix de partir, et nous ignorons encore s’il s’avérera bon ou mauvais. Seul l’avenir nous le dira, et l’avenir, c’est vous. Prenez bien soin de cette planète en notre absence, elle le mérite. Adieu, très chère Terre…Nous avons hâte de revenir à la maison, tu ne peux pas savoir à quel point…Nous reviendrons un jour, nous reviendrons, nous te le promettons. Reste à savoir dans quelles circonstances…
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