Âmes traquées entre les mailles d’énormes écueils

 

 

Tourniquet 1

 

« Dans le monde d’après des ombres assagies croissaient en silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants –pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidence ? »

Il était vingt et une heures du soir, par une nuit sans lunes. Partout alentour, surgissaient des ombres dont l’aspect jetait dans l’âme du plus hardi homme une sorte d’affolement tel même sont capables les plus étranges apparitions dans un conte merveilleux et fantastique.

Harden et son compagnon revenaient d’une longue promenade qui avait engourdie leurs pieds qui étaient presque incapables de les porter. Ils marchaient sur les pas l’un de l’autre. Par moment, l’un se plaignait d’avoir eu les souliers dérangés par un faux pas de son hôte qui l’avait dérangé dans son allure. Sur ces entrefaites, il en conjurait l’autre de se retirer d’une semelle de lui. Le coupable, gêné dans sa peau, ne put se garder de se répandre en excuses. Ils semblaient presque asphyxiés et parlaient d’une voix presque sourde et inintelligible. De justesse, ils se gardaient de se réprimander leurs traversées durant pour ne point se faire découvrir par quelques curieux attardés dans les parages qui pourraient les obliger de faire un crochet quelque part. Quand l’un avait quelque chose de quoi entretenir l’autre, il venait lui souffler son haleine dans les oreilles.

Dans une nuit non assiégée par cette boule qui darde une lumière à la couleur de safran, ils savaient mieux que personne combien était maniaque la moindre ombre qui se développait à l’horizon.

Pour ne point paraître stupides, ils augmentaient leurs courages à braver cette nuit opaque tout en se tenant par la main. Ils semblaient tenir tout le trottoir. L’un ne marchait plus sur les pas de l’autre. Ils se dégrouillaient tant que leurs pieds le leur permettaient. Ils ne se croyaient plus en sécurité – pas pour parler des gens qui ont cette inclination à commettre des larcins de tout genre mais à propos de mille et une apparitions subites – le long de l’horizon qui se développait muet devant eux – qui étaient capable de leur faire tourner la tête.

Pas la moindre lumière dans les environs. Dans les buissons qui bordaient le trottoir, ne s’offrit à leurs yeux la moindre étincelle, même de la plus minuscule luciole. Dans le firmament, on ne put discerner la moindre lumière. Tant le voile de cette étendue azurée était noir à penser à l’intérieur d’une roche ou celle d’une caverne. Ils avaient à arpenter ce trottoir- dont ils n’étaient que les seuls et uniques passants – sur deux kilomètres encore.

 

Tourniquet 2 : Un kiosque à journaux dont le propriétaire n’a pas pu fermer les volets leur sert d’abri

 

Ils semblaient tombés de fatigue. Ils ne savaient plus à quel saint se vouer sous cette épaisse brume qui avait droit de cité sur tout et sous laquelle ils se croyaient captifs tel dans un boyau.

Soudain, le temps parut grave. Un orage menaçait, à l’horizon. Une nuée de rafales préludèrent à cet orage. Le temps se fit tendu davantage. Maintenant, ils arrivaient à peine à se remarquer. Il tonnait, sans répit. Ils furent obligés de renoncer, malgré eux, à leurs audaces de continuer la route.

-Tiens ! regarde par-là ! On dirait le kiosque à journaux de M. Ducouard, murmura précautionneusement Léandre (c’était le nom de celui avec qui compagnonnait Harden).

-Sans doute, cela l’est, le rassura Harden tout en ayant soin de maintenir moins rauque le timbre de sa voix.

Malgré la lourde obscurité, ils purent lire mais non sans difficulté les principales lettres qui composaient l’enseigne du kiosque : ICI, VOS JOURNAUX A MOINDRES COUTS POUR L’ELEVATION DE VOTRE CULTURE.

-Pourquoi a-t-il oublié de fermer les volets du kiosque ? Releva énergiquement Léandre, la voix empreinte d’une expression d’étonnement.

-Volets non fermés ? S’étonnait davantage Harden.

Il s’approcha davantage de son compagnon qui s’était détaché de lui pour se rendre compte de la véracité de ce dont il était question à propos de ce kiosque de M. Ducouard. Sur ce qu’il avait sous les yeux, le voile de tout doute était levé.

-Comment diable a-t-il pu faire une chose pareille qui ne pouvait lui apporter que de gros chagrins plus qu’ils n’en laisseraient à personne ? grogna sourdement Harden, tout en tenant de sa main gauche une partie des volets et l’autre main suspendue à sa hanche.

-Eh bien ! à quelque chose malheur est bon, mon cher, fit, tout en s’esclaffant, Léandre qui proposait à son compagnon de route une escale pour se mettre à l’abri de l’orage qui se préparait.

-Enfin, je me permets de dire que tu trouves convenant et agréable ce tour que la mémoire de Ducouard lui a joué, n’est-ce pas ?

-Pas que je m’en estime heureux, voyons, mais cela est bien propice à nous autres, lui rectifia avec effervescence Léandre, la mine toujours rieuse…

– Que quoi ?

-Cela t’est bien égal de ne pas te conformer à la plupart des conjonctures en face desquelles tu te vois obligé de prendre une décision des plus salutaires le plus tôt que possible, répartit Léandre, cette fois-ci la mine moins affable.

-Et par conséquent, tu proposes que nous nous cachons, ici, si tes mots ne souffrent pas de compréhension ?

-Ils n’en souffrent, cependant, pas, puisque tu les as compris … les pensées qu’y sont enfouies.

Y vois-tu un inconvénient ?

-A ce qu’il parait, oui. Si on vient à sacrifier à Morphée alors que nous prétendons une escale pour éviter d’être giclés par l’orage…au petit matin, que les gens viennent nous voir en sortir par ces volets-ci, que répondrons-nous à leurs demandes sur le but de notre sortie de ce kiosque ? Ne nous prendront-ils pas pour des voleurs de grands chemins qui, tapis dans l’ombre, étaient auteurs d’une mine de larcins qui se commettaient dans tout ce bourg ?

-Avec modestie, je comprends aussi tes idées, néanmoins nous ne serons pas emportés par le marchand de sable. Sois-en rassuré…

Après un moment d’hésitations et de pourparlers dont l’unique but était de convaincre l’un ou l’autre – sur ce qui lui tenait à cœur – ils finirent par se mettre d’accord sur le fait qui paraissait jeter entre eux une sorte de discorde. Ils purent pénétrer tant qu’ils le pouvaient le pauvre kiosque. A l’intérieur, ils purent connaitre la lumière des papiers blancs sur lesquels étaient imprimés une nuée bourdonnante de choses. Sur ce fatras d’éléments, ils s’installèrent afin de donner repos à leurs pieds.

-Comme nous sommes moins à l’étroit ici que sous cette lugubre obscurité ! fit Léandre de sa voix dont il ne diminua qu’un peu le timbre.

-Veux-tu économiser ton cordon vocal pour autre chose ? Lui murmura rudement, Harden tout en le toisant d’un air qui exprimait quelque indifférence.

-Non, mes salives peuvent aussi être bonnes à d’autres choses autant qu’ici.

Ils restèrent là tout en ayant soin de coller leurs oreilles aux volets qu’ils avaient hermétiquement fermés afin de s’informer tant bien que mal du cours de l’orage au dehors.

Les rafales venaient de ranger leurs tourbillons.

-Mon cher, ébrécha sur un ton sec qui exprimait à la fois l’indifférence, Harden. Il faut que nous partions d’ici. Il y va de notre intérêt.

Il s’était déjà mis sur pieds dans le réduit où ils s’étaient mis à l’abri de l’obscurité et de l’orage. Il lui sembla avoir entendu des cris qui venaient de trouer l’étrange silence de la nature. Là, il ne fut que davantage pris d’une peur panique. Il s’occupa la pensée d’une infinité de lugubres conjectures. Maintenant, imitant la mine et le timbre de la voix d’un marmot à qui son père refuse de sortir afin de jouir de sa liberté, il supplia son têtu de compagnon.

-Mon frère, je suis dans les certitudes que le moindre retard ici peut nous être fatal si bien que nous courons bien assez de risques.

Compatissant, il se décida à reprendre route avec Harden. Ils se mirent hors du kiosque mais eurent la peine de rabattre soigneusement les volets pour épargner le contenu de la pièce aux yeux curieux dont l’unique but pourrait être de dépouiller M. Ducouard de sa propriété.

Tourniquet 3 : Une infinité d’ombres se mettent en spectacle à l’horizon

Depuis un long moment, ils ont déserté le kiosque et marchaient aussi rapidement que leurs pieds ne purent s’y prêter à leurs corps. Soudain s’offrirent à leurs yeux d’étranges spectacles auxquels il ne leur était aucunement donné de trouver la moindre explication. Il avait tonné pendant que les rafales balayaient la nature de leurs tourbillons. Une nuée bourdonnante de décharges électriques commencèrent à se produire dans l’espace. A la manière d’une onde de silhouettes humaines, les ombres montèrent jusqu’à eux et reculèrent à mesure que Harden et son compagnon trouaient l’obscurité non sans crainte. Ils n’y purent rien comprendre. Tels des drôles de gens frappés d’une maladie d’éternels silences, ces ombres tournoyaient à l’horizon. Dans les agissements de ces ombres, se remarquait comme une expression de sagesse. Par conséquent, elles avaient cette habilité à monter droits et tendus telle une canne.

Comme suspendus à des trépieds – ils les observaient se dérouler la tête en bas et s’arrêtaient par moment comme pour épier ou chercher quelqu’un ou quelque chose qu’elles auraient égaré – le reflet des décharges électriques sur eux étaient bien étonnantes. Elles faisaient des roulades tout en passant en file, à n’en point finir.Ayant depuis un moment perdu contenance, Léandre finit par rassembler tout son courage, puis hasarda de dire :

-Hardo, dis donc, quel est l’effet que fait cette suite d’ombres sur ton âme ?

Harden fronça les sourcils et regardant son ami avec un air marqué d’indifférence, comme hanté par un désir de ne pas ne pas satisfaire à la demande de son compagnon, il lui répondit avec dédain :

-ça alors ! Je suis hors d’état de te répondre. Ma mémoire me semble jouer de sales tours.

Constatant sa machination et sa malice à ne pas se prêter à son service, Léandre grommela rudement à travers une expression assortie de plaisanteries :

-Comme mon pauvre Hardo est effrayé ! Il est si effrayé qu’il bégaie à se rompre la langue.

Maintenant, les ombres se déroulaient tantôt le regard bien impassible tantôt ils avaient dessein de marcher tout droit sur les deux passants comme si elles ne les voyaient pas. Toqué comme quelqu’un dirigé par une idée fixe, Harden ne voulait plus répondre à aucune des demandes de son compagnon et ne se contentait de lui répondre que de la main. Il voulait s’épargner l’attaque de ces ombres auxquelles il ne comprenait grand-chose.

-Harden, pourquoi diable ne veux-tu plus que nous parlions ? fit machinalement Léandre tout en retenant son souffle.

-Léandre, sais-tu tout ce dont sont capables toutes ces ombres si silencieuses et dont l’étrange silence semble avoir un message qu’elles se retiennent de nous donner ou qu’elles attendent un moment qui leur sera propice pour nous prendre d’assauts ? bredouilla, tout soudainement Harden, qui depuis un moment avait conservé une attitude d’étonnante sérénité.

Les yeux de Léandre s’allumèrent davantage et il parut à la fois curieux et préoccupé à l’idée qu’il pourra faire parler son correspondant pourvu qu’il trouvât les voies et moyens de lui tirer sa langue. Il y allait de l’intérêt d’eux tous. On eut dit que l’endroit où ils étaient était le paysage des ombres.

-Peux-tu donc m’expliquer -à considérer que tu sembles supposer la force ascensionnelle à laquelle vont toutes ces ombres sous ces décharges électriques qui se produisent à n’en point finir à l’horizon – les raisons de ces apparitions à la fois horribles et étranges ? lui demanda Léandre, cette fois-ci avec tout l’air d’un enfant dont l’âme s’enflamme de curiosité. Il avait oublié – cela était bien certain – de s’aviser sur le fait que Harden ne s’était pas le plus intéressé à ces ombres encore moins à ce qui était leur force ascensionnelle.

Harden avait comme l’impression que son compagnon devait avoir à le soupçonner de quelque chose. Il s’anima contre lui mais tout en se gardant d’être trop brutal à exciter l’attaque de ces gerbes d’ombres qui survolaient l’horizon toujours muettes.

-Que veux-tu que je t’explique à propos de ces drôles d’ombres pendant que je ne suis pas une ombre autant que toi ? fit Harden la mine toujours menaçante.

-Je suis dans les certitudes que tu n’as rien d’une ombre, bougonna Léandre tout en ayant soin d’ajouter : cependant, je te prie, dis m’en quelque chose, cher ami. C’est un paysage constitués d’étranges êtres. D’ombres ? On n’en a jamais vues de pareilles !

Harden se fit la mine d’un inventeur et pour montrer qu’il était plus ou moins disposé à oser un des plus étranges exploits qu’on ait connu au plus grandissime des inventeurs qui soient, il se mit en devoir de donner tant qu’il pourra quelque explication à propos des raisons qui sous-tendent la déclivité à laquelle allaient ces ombres en coupes d’étonnants personnages. Dans son esprit, il n’y avait autre moyen que d’éviter ces spectacles d’ombres qui n’étaient pas loin d’être assimilés à de géants spectres d’hommes. Ils se sont tous deux embarqués dans un grand dilemme, cependant s’était imposé à eux une pensée alternative laquelle était dechercher à fuir ces regards luisants et pénétrants qui cachaient une gerbe de pensées enfouies dans un profond silence dont ces ombres ne les avaient point quitté.

-Léandre, je ne suis pas à même de te fournir toutes ces informations dont tu me fais la demande. confessa Harden, tout en grinçant des dents comme en proie à une sorte de colère.

-Evidemment, cela est bien visible, je sens comme dans les traits de ton regard une expression de vague à l’âme. Soupira Léandre tout en débitant une nuée de galéjades.

Sur ces entrefaites, les ombres s’animèrent davantage et se firent tout éblouissantes. Les deux se sauvèrent et allèrent faire élection de domicile autour du tronc d’un grand manguier qui bordait la ruelle qu’ils suivaient. Ils ne purent braver davantage cette étrange nuit. Quelques inquiets qu’ils fussent, ils durent élire domicile dans les feuillages du manguier qui était témoin après eux de cette horrible scène. Cette ruée d’ombres ! En vérité, c’était le paysage d’ombres : un monde dans lequel tout est frappé d’un étrange mutisme ; pour dire, il s’agit du monde d’après.

 

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