Néfahari

 

 

 

Dans le monde d’après des ombres assagies croisaient en silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants – pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidence ?

La fillette, qui parait avoir sept ou huit ans, ne semble pas effrayée. Elle observe, hypnotisée, la danse – il doit certainement s’agir d’une danse sinon à quoi bon tous ces mouvements ? – des  drôles de grandes personnes silencieuses dont elle ne distingue pas vraiment les visages à cette distance. En tout cas, elles n’ont pas l’air méchantes et semblent bien s’amuser, sans remarquer qu’elles sont observées. L’enfant tourne la tête pour tenter de comprendre où elle se trouve, ne sachant pas comment elle est arrivée là. Le paysage alentour ne lui fournit aucun indice : il n’y a pas de chemin, juste une forêt remplis d’arbres dont la seule source de lumière provient de celle qui déclinent rapidement au loin. Elle porte à nouveau son regard vers eux. Les grandes personnes ont cessé de s’agiter. Leurs yeux, d’un jaune vif, pointent désormais tous dans sa direction.

La fillette, par réflexe, retient sa respiration. Les silhouettes ne bougent toujours pas. Soudain, un craquement perce le silence pesant. La petite fille tourne la tête dans la direction du bruit. Une grande porte vient de faire son apparition. On dirait qu’elle est ouverte puisque de l’autre côté, le décor est différent. La fillette hésite à regarder de nouveau vers les grandes personnes ; elle se contente juste de faire dévier son regard vers elles, sans bouger la tête. Certaines d’entre elles se sont rapprochées. Sans réfléchir une seconde de plus, elle se met à courir aussi vite que ses petites jambes le lui permettent en direction de la porte, avec l’intention de la franchir et la refermer aussitôt. Elle a presque atteint son objectif quand une silhouette, différente des autres, apparait en plein sur son chemin. Plus de temps pour ralentir, l’impact risque d’être douloureux. La petite fille croise les bras devant son visage pour minimiser au maximum les dégâts. Une voix, peut-être celle de la nouvelle venue, s’élève et crie un prénom à plein poumon.

— Kira ! Kira !

L’impact est imminent. La fillette ferme les yeux et se prépare au choc. Boum !

— Kira ? Ça va ?

L’image est floue. Des longs cheveux blonds encadrent un visage que je ne reconnais pas mais qui me semble malgré tout familier. Je ferme les yeux, respire profondément plusieurs fois avant de les rouvrir. Cette fois, l’image est plus nette. La jeune femme devant moi arbore un visage inquiet. Je fais un effort de mémoire, qui me déclenche instantanément une douleur dans le crâne mais tout me revient. Cette jolie blonde, c’est Cindy, ma meilleure amie. Je souris pour la rassurer. Elle sourit en retour.

— Qu’est-ce que tu as ?, me demande-t-elle immédiatement. T’as fumé ou pris quelque chose ?

Je la regarde étonnée. Il nous est effectivement arrivé une fois ou deux de fumer un joint au cours d’une soirée étudiante mais elle sait pertinemment que ce n’est pas mon truc.

— Non, enfin ! Qu’est-ce que tu racontes ?

— Je demande, au cas où… Ça fait vingt minutes que t’es sortie du cours pour aller aux toilettes et j’te retrouve assise ici, dans les chiottes et dans les vapes…

Les vapes ? Je refais un effort de concentration. Oui, effectivement, nous étions en cours d’éthnologie et j’ai eu envie de faire pipi. Jusque là, tout est clair. Par contre, je serais incapable d’expliquer pourquoi je suis assise par terre, dans les toilettes de la fac. La douleur à la tête revient. Ce doit être ça ; j’ai certainement eu mal à la tête. Un mal fulgurant visiblement. Je me relève avec l’aide de mon amie, après l’avoir rassurée.

— C’est bon, on peut y retourner.

— Le cours est fini, ma belle. Viens, on va se poser au bar d’en face.

Le trajet me semble plus long qu’à l’accoutumée. Au fur et à mesure de notre avancée, les gens m’apparaissent de plus en plus distordus. Je plisse fortement les yeux pour faire le point, rien n’y fait. J’écarquille alors grand les yeux mais la lumière du soleil jette comme un voile blanc et éblouissant dans mes pupilles. Je baisse rapidement la tête et tente tant bien que mal de suivre mon amie. Impossible. Je sens mes jambes qui lâchent, j’essaie de me raccrocher à n’importe quoi, sans succès. Je tombe.

De nouveau, les lumières sombres à l’horizon. Mais ce n’est plus la forêt ni la petite fille. Je reconnais la maison : c’est celle de mon enfance. Ma petite enfance. J’ai trois ans. Enfin, non, j’ai le corps de la petite fille que j’étais à trois ans mais l’esprit est bien le mien. C’est très déroutant. Je repense à la fillette observant les grandes personnes. Était-ce aussi moi ? J’ai soudain la sensation étrange qu’elle ne m’était pas inconnue mais je n’étais pas dans son corps comme maintenant. J’étais avec elle, près d’elle, sans pouvoir l’expliquer mais je n’étais pas elle.

Je suis sur la terrasse à l’arrière de la maison. Je me dirige – ou plutôt le corps se dirige parce que je ne le contrôle pas – vers l’intérieur. Le salon est identique à mes souvenirs, ainsi que le bar qui le sépare de la cuisine ouverte derrière. Sur la droite, de grands pans de rideaux délimitent la chambre de mes parents à la façon d’un grand loft. Puis au fond, la porte menant au couloir où se trouve la salle de bains et ma chambre. C’est dans la salle de bain que je vais. Je me plante devant le grand miroir. Et curieusement, ce n’est pas mon reflet que j’y vois.

Tout comme la fille l’était, la scène ne m’est pas étrangère. J’ai l’impression d’un déjà-vu. Je me remémore notre départ précipité de Madagascar, à la même époque. Je me souviens également de l’histoire que m’avait racontée ma mère : j’aurais disparu durant environ deux mois pour réapparaitre un beau jour sans explication ni aucun souvenir. Et jusqu’à présent d’ailleurs, il m’arrive de douter de l’authenticité de cette aventure, voire parfois de toute cette époque de ma vie ; j’étais très jeune, peut-être les histoires de magicienne que me racontait ma grand-mère se sont-elles entremêlées avec la réalité ? Mon bras se lève pour toucher le miroir au reflet inexistant et le traverse sans aucun problème. J’aurais préféré ne pas y aller mais ce n’est pas moi qui décide. En passant au travers, je ressens une vive douleur à la tête. Encore.

Quand j’ouvre les yeux, je suis assise au sol, sur un trottoir. Face à moi, Cindy, dont les traits du visage expriment désormais la terreur, et d’autres personnes que je ne reconnais pas.

— Je t’emmène à l’hôpital, me dit tout de go mon amie.

J’ai la gorge sèche. Je tente à nouveau de rassembler mes souvenirs, sans succès.

— Pourquoi ?, lui dis-je doucement. J’ai trébuché, je suis tombée, c’est tout.

J’ajoute que j’ai dû me cogner à la tête en tombant, me rappelant l’horrible douleur juste avant la chute. Deux jeunes hommes se proposent de m’aider à me relever. J’accepte sans broncher. Ils m’aident à m’asseoir sur une chaise. Je fais un rapide tour d’horizon. Il s’agit du bar en face de la fac. Cindy demande à ce qu’on m’apporte un verre d’eau. Bonne idée, je meurs de soif. L’eau glacée qui raidit mon corps d’un coup achève de me remettre les idées en place. Mais qu’est-ce qu’il m’arrive aujourd’hui ? Je souffle en fermant les yeux et Cindy me secoue immédiatement. Je rouvre les yeux.

— Ah non ! Tu ne vas pas me refaire le coup de l’évanouissement, O.K. ?

Je souris.

— Non, ne t’inquiètes pas. J’ai juste besoin de fermer les yeux car la lumière du soleil m’éblouit trop.

— De quel soleil tu parles ?

— Ben la lumière là, fais-je en désignant de la main le ciel, les yeux bien fermés pour ne pas risquer de devenir aveugle.

— Il fait gris depuis plus d’une semaine. Il pleut même depuis trois jours.

Ah ?! C’était donc ça, la sensation de froid sur mes fesses ? Pourtant, il y a bien quelque chose de lumineux, je le vois. D’ailleurs, mes pupilles commencent à surchauffer. Le mal de tête revient. Non, pas encore…

Cette fois, quand mes yeux s’ouvrent, je suis allongée sur le sol, face contre terre. Je me sens faible. Je me redresse tant bien que mal, avec beaucoup de difficulté. Je sens que mes jambes ne me porteront pas alors je décide de commencer par m’asseoir. Je relève doucement la tête.

Je suis dans un hall d’entrée. Un grand hall d’entrée, de forme circulaire, avec un immense escalier à ma gauche. Face à moi, une imposante porte d’entrée, en bois sculpté. Les dessins semblent faire référence à une rencontre ou une confrontation entre deux personnages. Je suis épuisée, je n’ai pas la force d’observer plus longtemps ce que représente la sculpture. Je reconnais  vaguement la maison –  enfin, je suppose que c’en est une.

— Ainsi, c’est bien toi…

La voix vient de derrière moi. Je la sens émue d’avoir prononcé ces mots. Dans un ultime effort vain pour me lever, je pivote sur moi-même pour lui faire face. Je découvre une vieille dame qui me fixe avec une grande douceur. Grand-mère… Visiblement, une vive émotion lui serre la gorge car à plusieurs reprises, je la vois qui tente de parler sans y parvenir. Elle finit par s’approcher de moi à petits pas et s’agenouille devant moi. Je ne bouge pas. Elle entoure mon visage de ses deux mains.

— Tout va revenir, ne t’inquiètes pas, murmure-t-elle.

Elle dessine quelque chose sur mon front, comme un symbole et une nouvelle fois, une douleur fulgurante envahit mon crâne. Et effectivement, tout me revient….

Des frissons parcourent mon corps du sommet du crâne à la plante de mes pieds. D’une main, je saisis la vieille dame à la gorge et je serre. Ses yeux se révulsent et s’emplissent de liquide lacrymal au fur et à mesure que mon étreinte se renforce. Pourtant, elle ne se débat pas. Je plonge mon regard dans le sien. Et je vois immédiatement que je ne me suis pas trompée. Je finis par la relâcher d’épuisement. Elle tombe de tout son poids sur son séant et avale de grandes et rapides bouffées d’air. Calmement, je la regarde reprendre ses esprits.

— Kira…, commence-t-elle d’une voix douce.

Je la freine aussitôt dans le discours qu’elle s’apprête à me débiter.

— Ma grand-mère est loin d’être aussi sentimentale… Tu aurais dû le savoir, toi qui prétends si bien la connaître…

La vieille reste plusieurs secondes sans bouger, interloquée. Je ne la lâche pas du regard. Puis ses lèvres commencent tranquillement à se fendre en un sourire mauvais. Elle se relève doucement et s’éloigne vers la porte. Au moment de la franchir, elle se retourne vers moi et me fait un clin d’œil avant de disparaitre. Je suis à bout de force. N’y tenant plus, je m’affale par terre. Etrangement, la texture du sol a changé : elle est plus moelleuse. Je rouvre les yeux. Je suis dans une pièce quasi sombre, à peine éclairée d’un filet de lumière provenant d’une meurtrière située à plus de deux mètres du sol et allongée sur un matelas de fortune : je suis dans un cachot. Oui, c’est cela. Je regarde autour de moi et distingue quelque chose sur le sol : un plateau sur lequel trône une assiette et une tasse. Il m’a sûrement droguée à mon insu. Trop fatiguée et ayant trop mal à la tête pour réfléchir, à peine ai-je relâché mes paupières que le sommeil m’emporte.

Quand je me réveille, je constate que je suis toujours dans le même cachot. C’est bon signe. Je rassemble mes esprits comme je peux. Tout s’éclaircit peu à peu. Je regarde avec mépris le plateau qui traine toujours par terre. Clac. On dirait le loquet de la porte. C’est bien ça. Le panneau de bois s’ouvre en grinçant. Bizarre… Il sait que je pourrais m’échapper autrement alors pourquoi ? Il veut sûrement que je vois quelque chose. Ou quelqu’un… Avec prudence, je m’approche de la porte. De l’autre côté, une minuscule plateforme mène à un escalier qui descend. C’est un donjon. Je souris. Vraiment ? Il existe encore des donjons en 2020 ? En bas, j’arrive directement dans une grande pièce. Une cage immense est installée au centre. A l’intérieur, je reconnais ma grand-mère. La vraie. Je m’immobilise. J’attends. Je sais qu’il va se passer quelque chose, le piège est trop évident.

— Kira…

Je lui fais signe de garder le silence.

Il n’est pas là, continue-t-elle alors par télépathie.

Peut-être. Mais même ainsi, il peut nous entendre…

Non, je ne crois pas…

Il est entré dans ma tête, grand-mère. Il m’a fait voir des choses…

Avec une potion, non ? Je l’ai vu la fabriquer. Ecoute-moi bien : s’il avait pu entrer de lui-même dans ta tête, il n’en aurait pas eu besoin. Il n’a pas cette capacité.

D’accord. Alors que fait-on ?

Tu sais ce qu’il veut…

Oui…

Et tu ne dois pas le lui donner ! Sous aucun prétexte ! Tu as vu ces ombres ? Elles ne doivent pas franchir le passage, tu entends ?

Oui.

            — Ne te laisse plus avoir par la peur de me perdre. Si Fantar a scindé nos deux mondes, ce n’est pas pour rien. Souvins-t-en quand tu l’affronteras.

J’avance vers elle.

— Non ! Il a peut-être mis des pièges autour de ma cage, n’oublie pas. Ne prenons pas de risques. Tu sais ce que tu as à faire ?

Je prends une grande inspiration.

— Oui.

— Alors fais-le. C’est le moment.

C’est injuste. Je viens à peine de la connaitre et je risque déjà de la perdre. Je comprends d’un coup pourquoi ma mère nous a fait disparaitre aux yeux de sa propre famille. Mais je comprends aussi désormais que rien de tout cela n’aurait pu être évité et que j’aurais pu être bien mieux formée que je ne le suis actuellement.

Je ferme les yeux. Je dois trouver un miroir. Maintenant. En une fraction de seconde, je me retrouve dans le bar où je l’ai rencontré. Vu la haine qu’il m’inspire à présent, c’est bien le dernier endroit où il pensera à venir me chercher. Ou pas justement… Je suis dans les toilettes des filles. Je m’assure qu’aucune cabine ne soit occupée puis je verrouille la porte principale. Je visualise la tenue de mon dressing qui me semble la plus adaptée à ce que je m’apprête à faire. Une seconde de concentration et la voilà sur le bord du lavabo. Je me change puis me plante devant l’un des nombreux miroirs. Je n’ai aucune envie de revoir ces créatures, ces grandes personnes. Mais je n’ai pas le choix. C’est mon monde ou le leur. Avec la pointe d’un couteau, je m’entaille légèrement le doigt afin de dessiner sur le miroir, directement avec mon sang, les symboles qui me permettront de passer de l’autre côté.

C’est extrêmement compliqué de se rappeler un endroit qu’on a tenté par tous les moyens de vous faire oublier. Je me concentre sur les souvenirs flous que j’ai de Fantar, du site de la cérémonie, de ces personnages mutiques dont les regards vous pénètrent jusque’à l’âme, des chemins entrelacés de la forêt. Je sens le choc : mon esprit a déplacé mon corps. J’ouvre les yeux. En face de moi, Fantar. Elle me sourit. J’entrouvre les lèvres mais elle y appose aussitôt sa main pour me stopper. Avec son autre main, elle me désigne sa tempe. Je devine qu’elle craint qu’on ne soit espionnée alors elle opte pour une discussion silencieuse. Elle ne perd pas une seconde.

Voici l’objet dont tu auras besoin, me dit-elle tout en insérant l’image dudit objet dans mon esprit. Je l’ai mis en lieu sûr depuis longtemps, je suppose que tu l’auras deviné.

Je souris.

Je vais créer un champ de protection autour de toi, pour ne pas que Occi puisse te repérer. Mais il est devenu plus puissant avec les années. Je ne sais pas combien de temps cela sera efficace. Alors fais au plus vite.

Je hoche la tête. Elle attrape ma main.

— Je suis désolée de ce qu’il t’a fait. L’amour est un pur et noble sentiment et personne ne devrait jamais jouer avec.

Je baisse les yeux. Oui, il m’a blessée comme personne, c’est vrai. Mais il m’a en contrepartie donné la force d’accepter ce que je suis et de faire ce que je m’apprête à faire.

— Tu es forte, dit-elle en serrant ma main un peu plus fort. Je suis fière de toi, Néfahari, ajoute-t-elle avec un clin d’oeil. Maintenant, vas-y !

De nouveau, concentration. Cette fois sur l’objet en question. Nouveau choc, nouvel endroit.  Je n’y suis jamais venue. On dirait une grotte. Je fais rapidement le tour de la pièce et repère immédiatement la pierre derrière laquelle se trouve ce que je cherche. Je la déplace.

Le vieux parchemin révèle des symboles identiques à ceux que j’ai l’habitude d’écrire sur les miroirs. À une exception près : les deux derniers sont différents. Je dois retourner dans mon monde. Vite.

Quand je me retrouve de nouveau dans les toilettes pour femmes, Occi m’attend déjà.

— Tu en as mis du temps.

Je ne réponds rien. Avant que je ne puisse réagir, Occi est déjà près de moi et m’a lié les mains avec une corde. Je déteste cette faculté qu’il a d’accélérer ou de ralentir le temps comme bon lui semble : il en devient difficilement prévisible. Il colle son corps au mien et me plante un bisou bien sonore sur la joue pendant qu’il fouille ma veste.

— Merci, me dit-il après quelques secondes.

Il se décolle de moi pour observer sa trouvaille puis émet un rire d’outre-tombe. Il passe derrière moi et me taillade toute la paume d’une main. Je retiens un cri de douleur. Il récupère mon sang dans une fiole en verre et se met à reproduire les symboles du parchemin sur l’un des miroirs. Quand il finit, il prononce une formule courte que je m’applique à retenir. Au bout de plusieurs minutes, il se tourne vers moi.

— Qu’as-tu fais ?, me demande-t-il, l’air mauvais.

— Rien du tout.

Je vois à son regard qu’il n’en croit pas un mot. Il observe à nouveau le parchemin puis moi puis le miroir mais ne comprend toujours pas pourquoi rien ne se passe. Il refait mentalement chaque geste effectué plus tôt puis hoche la tête.

— C’est toi qui va l’écrire. Directement. Avec ta main.

En une fraction de seconde, il passe derrière moi et me libère. Dans le même temps, il pose la lame du couteau sur ma gorge et agrémente son geste d’un « Ne fais pas l’idiote… ». Je me rapproche d’un miroir et méthodiquement, commence à reproduire chaque symbole, sauf le dernier que j’ai ajouté moi-même. Puis je récite d’un trait la formule. Avant que Occi ne comprenne ce que je venais de faire, un tourbillon se forme dans le miroir peint de mon sang et grandit jusqu’à envelopper toute la pièce dans laquelle nous nous trouvons.

— Mais qu’as-tu fais ?!, hurle Occi pour couvrir le vacarme produit par le phénomène.

— Ce que tu voulais ! Détruire le monde !

Je ferme les yeux. C’est ma mère qui m’apparait instantanément. Elle est à côté de ma grand-mère. Je suis heureuse de les voir enfin réunies, elles qui ont passé toute leur existence à se faire la guerre à cause de moi. Je sens la lame du couteau s’enfoncer dans ma peau puis c’est le néant…

Dans le village de Maromandia, les cris de la petite fille s’entendent sur plusieurs mètres. Sa mère, inquiète, nettoie rapidement et avec minutie la blessure et finit par s’apercevoir qu’elle n’est pas aussi profonde qu’elle n’y parait. Elle la désinfecte, ferme la plaie à l’aide de pansements autocollants puis y appose un bandage avant de bercer son unique enfant autant qu’elle le peut. La fillette est incapable d’expliquer comment elle s’est entaillée le bras avec les morceaux brisés du miroir ; la vue du sang l’a paralysée. Le choc a épuisé l’enfant, qui s’endort à peine une heure après.

En fin d’après-midi, le mari rentre de sa journée de travail en compagnie de la grand-mère de l’enfant, venue de la Grande Terre par bateau pour passer quelques jours en leur compagnie. Le soir venu, la mère leur raconte la mésaventure de l’après-midi et la frayeur qu’elle a ressentie. La grand-mère demande à voir l’enfant.

— Elle dort, proteste la mère.

— Je ne la réveillerai pas, promis.

— Fais attention alors, elle a eu beaucoup d’émotions aujourd’hui…

La dame d’un certain âge entre dans la chambre sombre. La petite fille dort profondément. Elle s’approche, appose ses deux mains sur le front de l’enfant et récite une sorte de prière. Puis elle se penche vers l’enfant et murmure :

— Tu as réussi, Kira.

 

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