« Le curé reçut des sommes considérables, si bien qu’un beau jour, on vit arriver dans le village toute une équipe de maçons et d’ouvriers. Ceux-ci, au lieu de consolider la vénérable église, entamèrent la construction d’une villa en style rococo, flanquée d’un immense donjon d’où l’on peut découvrir les plus beaux paysages de la région. Et le brave curé continua à ripailler et à faire la fête dans sa nouvelle résidence. Il avait d’ailleurs eu soin de faire graver à l’entrée, cette inscription qui est tout un programme : la maison du pasteur est la maison de tous… »
Gérard de Sède
Le Sanctuaire Oublié ou l’étrange secret de l’abbé Trithème
Et in Arcadia Ego… Qui, s’intéressant à l’affaire des deux Rennes, ignore la devise latine qui évoque avec mélancolie l’Âge d’Or chanté par la mythologie antique ? Cette devise, associée à un sépulcre, devient la figure centrale du célèbre tableau de Nicolas Poussin Les bergers d’Arcadie. Pourquoi a-t-on décidé de l’introduire dans le montage de l’affaire ? C’est à la résolution de cette question fondamentale que s’attelle, pour la satisfaction du lecteur, François Lange.
Dans cette recherche, l’auteur nous entraîne tout d’abord dans la Rome du tout début du dix-septième siècle. Si Nicolas Poussin a bien peint la deuxième version de son tableau à Rome sur commande, semble-t-il du cardinal Giulio Rospigliosi qui devint pape entre 1667 et 1669 sous le nom de Clément IX, c’est Giovanni Francesco Barbieri dit Le Guerchin qui introduit pour la première fois ce thème dans l’art pictural. Erwin Panofsky, éminent historien de l’art lui a consacré une partie de ses travaux. Panofsky était proche de l’Institut Warburg, d’où son approche originale ; il était un représentant de l’iconologie, cette méthode d’histoire de l’art qui s’intéresse en priorité à la forme symbolique en opposition avec les tenants de l’approche formelle. Selon lui, il est fort probable que Le Guerchin ait obéi à une commande et, dans ce cas, le commanditaire serait proche du siège apostolique. Cette commande aurait été effectuée vers 1620.
Dans la recherche des sources, François Lange propose de lier cette commande à un épisode fort étrange de la guerre de Trente Ans qui déchire alors le centre de l’Europe. Ce conflit traduit les conséquences politiques des guerres de religions entre catholiques et réformés. Quel est cet épisode, la plupart du temps occulté par les rivalités de pouvoir entre souverains ? L’électeur palatin qui a épousé la Réforme est élu roi de Bohême en lieu et place de l’Empereur. Chassé de ce royaume par la Ligue des souverains catholiques, son fief du Palatinat est envahi. La capitale Heidelberg abrite la Bibliothèque Palatine, réputée pour la richesse de ses fonds. C’est à ce moment que le pape Grégoire V, assisté de son neveu le cardinal Ludovico Ludivisi, met en place un savant montage diplomatique pour sauver la Bibliothèque Palatine et en rapatrier l’essentiel à la Bibliothèque Vaticane. C’est un convoi de cinquante chariots qui arrive à Rome à l’été 1623.
Entre temps, Grégoire V est mort et c’est son successeur Urbain VIII de l’illustre famille romaine des Barberini qui réceptionne les quinze mille ouvrages ou plus exactement son neveu le cardinal Francesco Barberini qui, parmi ses attributions, assume la direction de la Bibliothèque Vaticane. On remarque également un autre proche collaborateur du pape Urbain VIII, il s’agit du cardinal Giulio Rospigliosi que j’ai déjà mentionné. Celui que les historiens de l’art associent au tableau de Poussin, deviendra pape sous le nom de Clément IX. En cette période de conflit aux enjeux considérables pour l’Europe catholique, l’équipe dirigeante du Siège Apostolique avait d’étranges priorités. Tout ceci attire à juste titre l’attention de l’auteur. Si on y joint les noms de ceux que le pape a missionné dans l’affaire d’Heidelberg, le « dispositif romain » prend alors tout son sens et il devient possible de cerner la source du Guerchin. A bon droit, François Lange peut parler du « Cercle de Rome ».
Je laisse le soin au lecteur de découvrir avec intérêt la piste sur laquelle l’auteur veut l’entraîner. Je ne soulignerai qu’une chose ; Une partie notable de la Bibliothèque Palatine, objet de l’intérêt et des convoitises du « Cercle de Rome », provient en fait de la collection constituée auparavant par Jean Trithème. Le nom est d’importance ! Jean Trithème (1642-1516), abbé de Spanheim évoque immédiatement à l’esprit un courant mystérieux qui se manifestera un siècle plus tard par un ouvrage anonyme Fama Fraternitatis Rosae Crucis publié en 1614 à Kassel. On remarquera la coïncidence des dates. Dans la suite de Jean Trithème, il faut mentionner ses disciples Henri Corneille Agrippa et le grand Paracelse. D’autres personnages étranges jalonnent cette piste comme Robert Fludd ou John Dee. A ce sujet, on ne peut que renvoyer aux travaux remarquables de Frances Yates, historienne anglaise proche de l’Institut Warburg.
Tout ceci peut dérouter nos contemporains. Pourtant, il faut se rappeler que la Renaissance, par l’humanisme et certains aspects de la Réforme, voit la redécouverte et l’irruption de l’antiquité (et de sa mythologie) dans le monde chrétien. Les frontières entre ces divers aspects deviennent floues. Tout ceci conduit à une vision de la civilisation vue comme un tout d’où ses manifestations dans l’art et les idées. A cet égard, la période que l’auteur considère, c’est-à-dire le début du dix-septième siècle, peut être vue comme la fin de la Renaissance. Il suffit de un regard attentif et averti sur le château de Versailles tel qu’il est livré à l’issue de la première campagne des grands travaux du Roi Soleil pour s’apercevoir que le symbolisme est plus proche de la Renaissance que de la seconde moitié du règne de Louis XIV.
C’est alors qu’une question prégnante se pose . Quel message occulte dissimule cet ensemble symbolique ? L’auteur nous suggère, à juste titre, la piste de (…)
Gino SANDRI – Chroniques de Mars – « Affaires Classées » – Tome 2 – (extrait du livre) – F. Lange – juillet 2021.