MICHEL MOUTET (1949-2020)

 

« Y aurait-il un rapport entre le monde extérieur et le monde intérieur ? La qualité de notre environnement terrestre extérieur serait-elle en relation avec la qualité de notre vie intérieure, instinctive, que les alchimistes appelaient «notre terre intérieure», dont l’autre nom encore est l’inconscient ? – Notre terre extérieure serait-elle malade parce que notre terre intérieure serait maltraitée ? » Michel Moutet

 

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Serge Madie-Bamzaris, un ami de jeunesse de Michel Moutet lui rend hommage dans un article qui pourrait s’intituler « Moune, nous pourrions repartir… ? »

Les Chroniques de Mars

 


 

Hommage à Michel MOUTET – « Les années de jeunesse »

 

 

C’est un « numéro spatial » qui m’a appris le départ de Michel : en effet, j’avais décidé de reprendre contact avec lui, et, internet m’a fait découvrir cette douloureuse circonstance.

Après un premier contact avec Thierry Emmanuel Garnier que je ne remercierai jamais assez pour la disponibilité et la courtoisie qu’il a déployées à mon égard – mon souhait d’apporter à mon tour un témoignage/hommage à propos de Michel a été accepté et je crois même encouragé.

Je souhaite évoquer le Michel que j’ai connu, que j’ai vu se transformer au fil du temps et surtout cet ami rare, élégant, avec lequel j’ai partagé tant de moments, de « vadrouilles » et de passions diverses, aussi, me semble-t-il nécessaire de préciser que ce témoignage et cet hommage seront différents de ce que plusieurs spécialistes ont évoqué dans le numéro spatial.

 

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Il faut tout d’abord se replonger dans le contexte toulonnais de la fin des années soixante et de la première moitié du début des années soixante dix ; Michel est fils d’un géomètre et réside dans une rue qui « plonge » sur la place de la Liberté, j’habite au quatrième étage d’un vieil immeuble du boulevard de Tessé et je suis le fils d’un agent des PTT travaillant à ce qui s’appelle alors le télégraphe.

Michel n’a pas encore déménagé pour La Valette où, de mémoire, les bureaux et la salle technique de son père seront au rez de chaussée et les appartements privés au premier étage.

Assez souvent, le matin, nous nous arrêtons chez notre camarade Yves dont le père est le directeur d’un important magasin de vêtement, pour partir ensuite à pied jusqu’au lycée Dumont d’Urville situé au quartier dit de la Rode et finalement assez proche du début d’un autre quartier toulonnais plutôt résidentiel à savoir le Mourillon.

Nous entamons notre vie de potaches adolescents passionnés de tout et de rien et nous dévorons une impressionnante quantité de livres et revues : Yves se passionne pour les courses automobiles, Michel aime plutôt les coupés sportifs et la moto et je débute dans une relation passionnée pour la moto, passion qui ne m’a pas quitté puisque à 70 ans je roule encore en moto avec toujours le même plaisir…

La passion des livres et des récits fantastiques fait que, « au sortir des événements de mai 1968 » je me vois offrir par la mère d’un flirt un livre de P. Maurois ; « Le peseur d’âmes ».

Je prête ce livre à Michel qui me le rend quelques temps plus tard… joliment relié car il avait estimé que « ça valait réellement le coup d’améliorer l’apparence et la longévité » de cet ouvrage. J’ai toujours ce livre dont on trouvera une photo avec ce récit.

Déjà, je constate qu’il aime ce qui tourne autour des livres en tant qu’objet et qu’il a manifestement perçu que l’esthétique (au sens le plus varié et variable du terme) – est porteuse de beaucoup de possibilités : c’est ainsi qu’il fera réaliser de fort belles cartes et plaques pour renforcer et illustrer le rapprochement entre l’Automobile Club du Var et le Moto Club Toulonnais, donnant à ce « mariage de mécaniques sportives et touristiques » une note cérémonieuse lors de la rencontre officielle entre ces deux clubs.

Avant de passer à la moto, nous investissons dans des « cyclos » qui des années après nous ont toujours fait beaucoup rire : son Tarbot (marque disparue) ne fonctionnait pas très bien en montée, tandis que mon Malaguti (marque disparue également) peinait sur le plat ! Ces « courses » sur la corniche du Faron en étant partis de La Valette où il résidait alors, illustrent parfaitement le plaisir que nous avions à rouler ensemble et à partager des sensations qui pour l’époque, nous semblait « fortes » !

Après Mai 68, le journal local (La République devenant Var Matin plus tard) offre aux jeunes de quinze à vingt ans un supplément hebdomadaire « 15-20 ». J’intègre assez rapidement cette jeune équipe menée par LEA (Laurence Edwige Andréani) qui deviendra ultérieurement une journaliste importante et reconnue dans la profession.

A ce moment là, plusieurs choses interviennent : nous nous préparons à passer le bac et à « aller en fac », Michel étudie énormément tout ce qui concerne les Templiers et cela se retrouvera dans des Chroniques comme, par exemple celle que j’avais créée (« Les sentiers du Diable »). Michel m’avait rejoint dans cette aventure et cela lui a beaucoup plu.

Nous écrivons des nouvelles courtes, plus ou moins fantastiques, et, il arrive que Michel et moi nous nous mettions d’accord pour « mélanger » réalité et fiction en parlant d’un mystérieux motard coiffé d’un casque portant une croix templière et se présentant comme … S. de M., rencontré sur une route du haut Var non loin des vestiges d’une commanderie…

Il y a même eu des universitaires qui ont brisé quelques lances avec lui par chroniques interposées à propos des Templiers : Michel répondait avec une érudition d’historien déjà très confirmé, et, en ces temps où la hiérarchie ancestrale des « magister ex cathedra » écoutés et obéis par des disciples à l’obséquiosité structurelle était fortement secouée par le célèbre « il est interdit d’interdire », on imaginera le côté succulent de ces affrontements épistolaires !

Après le Bac et l’entrée en Fac, à Nice, Michel abandonnera rapidement l’étude des mathématiques pour rejoindre la fac de Lettres en vue d’y étudier l’histoire. Le jeu malicieux des attributions de logements universitaires fait qu’il se retrouvera dans une chambre à côté de la mienne et qu’il nous arrivera fréquemment de déguster l’excellent café (je vous parle d’un temps où les machines expresso n’existaient pas…!) qu’il parvenait à confectionner, tout cela en grillant quelques cigarettes de tabac brun (il ira plus tard vers les tabacs blonds).

Il lui arrive, lors de vacances ou de moments libres de venir me « récupérer » et nous partons à bord de son petit coupé sport pour des virées en Camargue ou dans le Var. Parfois, des amis nous rejoignent, d’une certaine manière ce sont les derniers fragments d’une période heureuse et insouciante avant les inévitables turbulences qui nous guettent patiemment sur les routes de l’existence…

Michel va alors rencontrer Anne-Marie (avec laquelle j’avais été dans les petites classes à Toulon, entre la « onzième et la septième »), de leur mariage naîtront Estelle et Philippe-Emmanuel . Cette période sera riche en recherches diverses principalement axées sur les Templiers et l’Ufologie ; Jimmy Gieu aura par la suite l’occasion de séjourner chez Michel et Anne-Marie à quelques reprises.

Avec Jean-Pierre, un ami disparu bien avant Michel, nous aurons l’occasion de les revoir dans une maison à Six Fours, je crois que cela sera la dernière fois. Michel m’enverra une lettre suite au décès de son père et nous échangerons beaucoup plus tard quelques communications téléphoniques au cours desquelles j’apprendrai la naissance de Roxane.

Évidemment, quasiment un demi siècle plus tard, la chronologie et la précision s’agissant des dates ne sauraient être garanties : je me souviens qu’il m’avait montré une machine qu’il appelait « la bête » et qui devait lui permettre de se lancer dans la confection et l’édition d’ouvrages, mais, honnêtement, je ne réussis plus à situer exactement où et quand ! Jean-Pierre, que les circonstances de la destinée avaient poussé de Toulon à Marseille, avait rencontré Michel à Marseille et j’avais eu des nouvelles de la sorte.

Les hasards des concours, des mutations professionnelles et des nombreux déménagements ont sans aucun doute été à l’origine de cette si longue « absence » de part et d’autre ; mais cela n’est pas si grave au fond puisqu’il n’a jamais quitté mes pensées et mon cœur.

En dehors de ses passions et de ses implications, il y avait chez lui une grande lucidité : il devinait bien ce qui risquait de se passer en fonction des circonstances, sa perception des personnes qu’il était appelé à rencontrer était le plus souvent juste, et, il savait trouver des objets utiles auprès de fournisseurs auxquels on ne pensait pas immédiatement : bien avant tout le monde, à Nice, chez un vendeur spécialisé dans le matériel d’origine russe, il avait déniché un matériel photographique complet et abordable financièrement, qui, à l’époque de l’argentique permettait d’avoir des résultats satisfaisants.

Il me faut être précis : pour un ensemble de raisons, je n’adhérais pas à ses passions ufologiques et templières, mais, je le voyais si heureux, si impliqué qu’il me semblait qu’il avait trouvé sa voie et un sens de vie et c’est au bout du compte/conte – ce qui importe.

Je n’ai pas revu cet ami si cher et ma peine n’est absolument pas quantifiable. Il me semble « Moune » (je t’appelais souvent comme ça) que tu n’es pas si loin et que ton sourire est là. Allez, en tournant la clef et en lançant le moteur de la 850 italienne (qui te plairait beaucoup !) je sais que tu ne seras pas très loin, devant ou derrière, qu’importe puisque nous serons à nouveau ensemble pour une ballade en Camargue ou dans le haut Var….

Serge Madie-Bamzaris © pour les Chroniques de Mars – Septembre 2021.