« DIBOUL A MAINTENANT »
C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar. En l’absence du Maître il avait pu poursuivre grâce à une faille dans la matrice ses recherches anthropogénétiques en continuant de mener à bien ses expérimentations sur les dioscures… tout à coup, la sonnerie du réveil l’arracha une fois de plus à ce rêve mystérieux.
Diboul, jeune étudiant du Sud Cameroun était à Tunis depuis 6 mois dans le cadre de la recherche pour son PhD en Anthropologie. Lauréat de la bourse Hamilcar, concours organisé par l’Etat tunisien afin de permettre aux étudiants du monde entier de mener des investigations sur les vestiges des sites archéologiques de l’ancienne Carthage, il vivait cette expérience onirique depuis sa première nuit dans ce pays du Maghreb.
Bantou de la forêt équatoriale, il avait subi avec brio toutes les épreuves initiatiques de la plus rigoureuse des sociétés secrètes de sa communauté. A 18 ans, il fut sacré Ngi, gardien de la tradition de sa communauté et en portait d’ailleurs ses marques tatouées à son épaule gauche : une étoile incrustée dans un croissant de lune. Mengue était le nom qu’il reçut à sa naissance et par lequel tous les siens l’appelaient. Diboul était son pseudonyme d’initié dont seuls les membres de la fratrie connaissent l’existence. Ne connaissant pas sa signification, il était quand même fier de porter cette appellation qui lui fut révélée par son âme alors qu’il était en transe lors d’une cérémonie sacrée de clôture de son initiation.
A 27 ans, Mengue, marié à la belle Ada avec laquelle il avait 2 fils, était déjà PhD en génie robotique. Cette branche des sciences modernes l’avait captivé lors d’une excursion dans une usine de fabrique de produits cosmétiques. Alors qu’il était en classe de 3ème au lycée, leur professeur de technologie les y avait amenés pour qu’ils découvrent l’ingéniosité du cerveau humain quant à sa faculté de repousser les limites de l’imagination. Sa fascination était sans égale quand il y vit que 75% de la main d’œuvre était faite de robots programmés. C’est à cet instant que sa décision fut prise : faire de la robotique sa vie. Il étudia consciencieusement et parvint à ses fins : il était parmi les pionniers de cette branche dans tout le pays et gagnait très bien sa vie.
Cependant, du fait de son appartenance à la société secrète Ngi de son clan, il y a des interrogations qui ne cessaient de tarauder son esprit : quelle était la conception de la technologie des civilisations antiques ? Quelles sont les fondements de la robotique dans le temps ? Quelles connaissances utilisaient ses ancêtres pour pallier aux difficultés quotidiennes ? Que pouvait-il faire pour que ses connaissances acquises de manières académiques et culturelles, soient au service de l’humanité ? Comment fusionner le traditionnel et le moderne dans un présent en perpétuel mouvement ?
C’est dans ce sens qu’il établit un plan d’action qui consistait à étudier les anciennes civilisations par le biais de l’anthropologie. Dans cette démarche, il se résolut de débuter par les plus récentes et terminer par les plus anciennes. Il choisit de ce fait d’entamer par les Zulu, puis les Kongo, ensuite les Carthaginois et enfin les Egyptiens. Suite aux civilisations africaines, il projetait de continuer sur les autres continents. Apres les deux premiers empires, il se consacra entièrement à l’histoire de Carthage jusqu’à l’obtention de la bourse qui l’y amena.
Logé au Palais Bayram à 15 km de Carthage, Diboul allait chaque matin sur les différents sites archéologiques afin d’y mener ses investigations. Toutefois, intérieurement, il était attiré par les vestiges du domaine d’Hamilcar par une force inconnue. Comme un appel qui lui était destiné, cette sensation se faisait pressante de jour en jour. Dans sa méthode, il avait prévu de boucler ses sondages sur ce saint des saints archéologiques, mais il ne pouvait plus attendre, il s’était résolu à répondre à cet appel par l’affirmative.
A son réveil, après avoir imploré les ancêtres de le protéger, il prit la route pour ce qui semblait être sa destination de prédilection. Le bus des anthropologues le laissa juste devant les ruines du palais d’Hamilcar. A sa montre, il avait 09h 06 et à peine avait-il traversé l’enceinte qu’il fut comme aspiré par un portail spatio-temporel. En une fraction de seconde, il se trouvait devant la demeure légendaire du fondateur de la dynastie des Barcides dans son état le meilleur. S’interrogeant encore à quel honneur était dû cette décoration des grands jours, il eut un tilt qui le fit réellement se rendre compte de la situation dont il était au centre.
En un laps de temps, il était revenu à lui-même avec l’identique sensation que lors d’un réveil matinal. Face à ce qui se présentait devant lui, il conclut à l’instant qu’il rêvait. Il dut se pincer pour se persuader du contraire. Devant lui, était le palais d’Hamilcar Barca dans ses plus belles parures. S’étant ressaisi, l’initié ayant pris le pas sur le profane, il se décida de parcourir ces lieux et avoir le cœur net. Il ne fit que quelques mètres qu’il butta contre quelque chose d’invisible. Il voulut se détourner, mais ne le pût, comme si tout d’un coup, il était dans un cachot invisible. Tous ses mouvements limités, retenu par une puissance subtile, il réalisa que toutes ses connaissances académiques et culturelles étaient loin d’être exhaustives. Transporté par cette même force inconnue, il reconnut du moins les autres compartiments de la résidence du père des Barcides, ainsi que les différentes résidences y afférentes. Une centaine de mètres plus loin, il sentit qu’il faisait une halte ; à cet instant, il sentit un point chaud à sa tempe droite, ses yeux purent “s’ouvrir” et subitement, il réalisa qu’il était entouré par une équipe de cinq personnes dont quatre étaient à proximité et la dernière en retrait. Après que ces individus se fussent découverts en ôtant leurs cagoules, celui en retrait, qui semblait être le plus âgé et leur chef, du nom de Goul, prit la parole en ces termes : Bidoul, nous t’attendions.
Sans cacher son étonnement, ses questions étaient légions : pourquoi des inconnus l’attendaient-ils ? Qu’espéraient-ils de lui ? Où se trouvait-il ? Qui étaient ces gens ? Même s’il se trompait de prononciation, par quel stratagème cet étranger pouvait-il connaitre son nom d’initié du Ngi ? Comme si le vieillard avait perçu ses préoccupations, il lui répondit que chaque chose avait son temps et que le moment venu, il aura des réponses à ses interrogations. Bien plus, l’anthropologue nota que ses interlocuteurs étaient humains de forme, mais avaient certaines parties de leurs corps en fer tels des robots. Bien plus, il remarqua que cette Carthage était une fusion entre les vestiges et une technologie hautement avancée qu’il se demandait si elle relevait de l’ingéniosité de l’esprit humain. Apres le bref tour d’horizon qu’il fit, il avait la conviction que le plan sur lequel reposait la cité était le même que celui qui le fascinait depuis des années et qui l’avait amené jusque-là. Il fouilla dans ses connaissances à quelle époque historique ce cliché pouvait faire référence du fait de la fusion des éléments du passé très ancien et ceux d’un futur très lointain. Il nomma donc cette réalité “Maintenant”. “Puisque l’évidence voudrait que je sois en ce lieu, se demanda-t-il, que suis-je venu faire ici à Maintenant ?” Cette interrogation n’échappa pas au vieillard qui ne s’empêcha de sourire.
Goul l’invita à le suivre tandis que les autres, restés en arrière, faisaient le guet. A peine une dizaine de mettre, ils étaient devant une porte avec l’insigne fluorescent d’une étoile incrustée dans un croissant de lune sur le montant. Diboul n’en revenait pas de trouver les identifiants de la société secrète de sa communauté sur Maintenant. Il se résolut à aller de l’avant car il n’y avait plus d’alternative de retour. Une fois à l’intérieur de cette demeure, il distingua tout de suite 11 autres personnes en dehors de Boul, disposées en cercle. Son guide le prit par la main et le plaça au milieu de la ronde avec la marque de l’étoile insérée dans un croissant de lune sous ses pieds alors que lui-même allait compléter le cercle.
Goul, après avoir salué les autres membres de l’assemblée qui avaient presque le même âge que lui, prit la parole :
« … que la lumière soit toujours avec nous mes frères, les prophéties ne nous ont pas trompé ! Le Bidoul est bien parmi nous !!! Les tablettes de nos ancêtres les Sumériens sur la venue du Neutre, sont d’une précision chirurgicale ! La stèle de la connaissance en notre possession est véritablement divine !
En fait, tout le monde possède une âme que nous appelons le Doul qui lui confère des pouvoirs. Chaque individu est enclin à faire le bien ou le mal avec son Doul. Ceux pratiquant le bien, ont la capacité d’annihiler les mauvais actes posés par des Doul négatifs. Toutefois, il y a celui qui possède les deux Doul : le Bidoul ou le Neutre. Il surgit toujours à des moments bien spécifiques afin de contrer les funestes entreprises engagées par les Doul négatifs. S’il est perverti par le mal, ce sera la fin du monde. La raison d’être de notre fraternité est de guider le Neutre sur le sentier du bien afin de pérenniser notre Espèce. Ses origines remontent à l’apparition même des premières civilisations sur terre. Que ce soit à l’Age de la pierre, à celui du bronze ou à celui des drones, la science a toujours été au service du bien pour améliorer les conditions de vie de la communauté. De ce fait, par l’ingéniosité de l’esprit humain, les premiers outils, ancêtres des robots, ont vu le jour notamment pour les besoins de nutrition, de logement et d’habillement. Ensuite ces connaissances ont été détournées par ceux désirant les conquêtes et les soumissions des autres communautés. Ainsi, chaque société a développé des structures qui règlementent la vie entre ses différents membres et les autres groupes sociaux. C’est ainsi que tu es le gardien ultime non seulement de ta communauté et ton univers, mais également de tous les autres mondes.
En effet, nous te suivons depuis ta naissance, influençons tes choix pour ce qui est de tes apprentissages culturels et académiques. La marque sur ton épaule gauche, ta formation en robotique et ton amour pour l’anthropologie, relèvent de notre responsabilité. Rien n’arrive au hasard parce que tout a sa raison d’être. Tu devais d’abord maîtriser la technologie et ensuite tes pouvoirs afin que tu accomplisses ton devoir de Bidoul de la meilleure des manières. Aussi, nous ne sommes pas les seuls à t’attendre, le souverain de ces lieux, Hamilcar Barca, espère aussi utiliser tes capacités pour créer les ultimes combattants et ainsi envahir le monde. Si tu tombes entre ses mains avant que tu ne maitrises tes aptitudes, tu nous feras plus de mal que de bien et rien ni personne ne pourra te stopper. Bien plus, Diboul n’est qu’une anagramme de Bidoul car toi seul possèdes les deux essences gardiennes du monde. Tu tires tes pouvoirs des 4 éléments ; étant le cinquième, tu es la quintessence incarnée. Enfin, toutes tes connaissances amassées l’ont été pour le seul but de cet instant et c’est cela qui justifie l’appel que tu ressentais ainsi que tes rêves. Depuis notre réalité à laquelle tu as donné le nom de Maintenant, c’est nous qui t’avions invoqué. »
En faisant une introspection, Diboul put vérifier la véracité des propos de Goul pace qu’ils avaient les réponses aux différentes questions qu’il se posait sur lui-même. Il fit ainsi la requête aux frères de la lumière de l’aider à développer ses aptitudes. Aussitôt dit, aussitôt fait. L’entrainement physique commença avec des combats au corps à corps. Ensuite, ce fut le tour de l’entrainement scientifique par la mise en pratique de ses connaissances robotiques pour le montage des spécimens doués de volonté. Toutefois, ceux-ci n’étaient pas activés après leur conception. Enfin venait la méditation avec l’éveil et la canalisation des pouvoir du Bidoul. Il ne s’arrêtait que pour se restaurer et dormir. Ce train de vie dura jusqu’au jour où, en plein exercice de méditation, les portes du refuge des frères de la lumière s’ouvrirent en laissant Goul entrer. Il était suivi des autres onze frères du cercle. Sans attendre, ils formèrent un cercle autour de Diboul et lui annoncèrent par la voix habituelle, qu’il était temps qu’il évolue ! Tout encore étonné de cette annonce, Diboul vit entrer un homme d’une stature élégante et d’une fière allure. N’en croyant pas ses yeux, il reconnut tout de suite Hamilcar Barca qui vint directement devant lui. « Tu es celui qui me feras conquérir l’univers tout entier » lui dit-il. A ces mots, le Neutre voulant l’attraper, se rendit compte que les 12 frères de la lumière l’avait isolé dans un bouclier magique. Ils récitèrent ensuite des incantations qui lui firent perdre connaissance ; la dernière chose dont il se rappela fut la phrase de Goul : « esclave amnésique tu seras pour la gloire de notre empire et de son souverain ».
A son réveil, Diboul n’ayant plus de souvenirs, obéissait au doigt et à la lettre du conseiller militaire du souverain : Goul. La chaine de fabrication de l’armée des robots humanoïdes fut installée à Mégara dans les jardins d’Hamilcar. Après cette première étape, la phase suivante fut d’inculquer une volonté autonome à ces machines de guerre et les programmer de sorte que seul Hamilcar puisse leur donner des ordres. Alors qu’il travaillait sur le dernier robot, Goul vint le voir et lui avoua son sombre projet. En effet, il devait déchainer l’apocalypse et se venger ainsi des humains parce qu’ils étaient responsables des maux de la planète. Il lui raconta le sacrifice de son fils unique pour les caprices de la conquête du monde par Hamilcar. Ayant lui-même perdu certaines parties de son corps, il était plus machine qu’humain comme la majorité des habitants de cette Carthage. Il devait d’abord contrôler le Neutre pour éliminer le souverain, enfin déchainer le chaos par l’avènement de l’ère de la technologie. Il termina avec ces propos : « les hommes ont longtemps été au sommet de la chaine alimentaire, au lieu qu’ils s’unissent, ils se sont adonnés aux guerres, à l’esclavage, aux conquêtes, aux exterminations, au terrorisme et à la pollution. Etant devenus faibles, leur place n’existe plus sur cette planète, la révolution est arrivée. »
Dès qu’il sortit de la pièce où travaillait Diboul, Hamilcar apparut à son tour. Caché, il avait suivi tout l’entretien des précédents protagonistes. Il avoua au Neutre qu’il ne s’attendait pas à une telle trahison de son conseiller le plus fidèle, mais le soupçonnait depuis peu. Heureusement qu’il avait encore un secret qu’il ne lui avait pas livré et, à cet état de choses, il devait l’utiliser. Il avait une deuxième tablette sumérienne sur laquelle tous les contre-sorts étaient inscrits. Il prononça une brève incantation et une fois de plus, Diboul eut la sensation de se réveiller. Hamilcar le mit tout de suite au parfum de la situation réelle dans laquelle ils se trouvaient tout en lui avouant leur trahison commune par Goul. « Toutefois, lui dit-il, nous avons l’avantage de la surprise par ce que Goul ne sait pas que tu es déjà libre. Il viendra à toi pour t’ordonner d’insuffler la volonté aux Dioscures et après cela, il nous amènera à la place publique pour nous sacrifier traduisant ainsi la victoire des robots humanoïdes sur les humains. Je te conseille de ce fait, par des pouvoirs, de créer une dimension parallèle dans la matrice par un portail spatio-temporel. Tu pourras y passer et ainsi retourner à ta vie normale et tout ceci ne sera qu’un mauvais rêve. Ou bien, tu y développeras par duplication instantanée une armée dix fois plus nombreuse que celle ici présente et le moment venu, tu ouvriras la faille pour que ces deux groupes s’affrontent. Le destin de l’humanité repose entre tes mains. » A sa suite, Diboul lui demanda où Goul tirait ses pouvoirs et son interlocuteur lui répondit qu’ils venaient de la tablette sumérienne en sa possession.
Après le départ d’Hamilcar, en l’absence du nouveau maître des lieux, Goul, il poursuivit grâce à la faille dans la matrice, des modifications à apporter soit aux humains, soit aux Dioscures afin de gagner cette guerre. Ce fut à cet instant qu’il se rappela de la hantise de cette vision dans ses rêves et prit par conséquent sa décision.
Goul, accompagné par ses frères, après avoir arrêté et ligoté Hamilcar, vinrent le chercher pour la place publique. Sur la tribune de la cité capitale, après le discours d’appel à l’extermination des humains, Goul ordonna à Diboul d’insuffler la volonté aux Dioscures. Chose faite, ce fut autour du bourreau de les décapiter et sceller leur victoire par ce sacrifice. Alors que l’exécuteur s’approchait, par la télépathie ultime, Diboul sonda l’esprit de Goul et découvrit que la fameuse stèle, source de son pouvoir, était dissimulée dans son bras gauche en fer. Alors qu’Hamilcar s’attendait à voir débarquer d’autres Dioscures d’une autre dimension afin de les protéger, par une onde subtile, le Neutre désactiva la tablette de pouvoir de Goul. Tout ce qu’elle alimentait arrêta avec elle comme si Diboul avait appuyé sur pose. De Goul aux Dioscures ainsi que toutes les autres machines, rien ne bougeait. Hamilcar, libre, demanda à Diboul de tout faire disparaitre parce qu’il craignait une révolte future. A cela, il lui répondit que : « la technologie en elle-même, n’est pas mauvaise, son orientation dépend de son concepteur. » Par une autre onde subtile, il modifia l’algorithme de la stèle afin que celle-ci alimente des créatures sociables dont l’objectif ultime est l’unité dans la diversité par le partage et la communion. Par cette démonstration d’altruisme, Hamilcar Barca renonça à ses idées de conquête et se consacra au bien-être de ses sujets. Les Dioscures furent recyclés en robots domestiques et sociaux aidant les personnes âgées et les handicapés moteurs.
L’ordre de la lumière dissout, la paix revenue, Diboul fit ses adieux à cette Carthage du passé et du futur, traversa à nouveau un portail spatio-temporel qu’il avait lui-même créé. De nouveau devant le site archéologique, en regardant sa montre, il avait 09h 09. Il réalisa que les 3 minutes passées à Maintenant allaient bien au-delà de 3 jours.
De retour à Tunis, il fit ses bagages pour retourner chez lui car sa famille et sa communauté l’attendaient et, lui, avait une histoire à leur raconter…
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