« NIMAGA HASTA RA’S NI I N, ALA »

 

C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar. En l’absence du Maître il avait pu poursuivre grâce à une faille dans la matrice ses recherches anthropogénétiques en continuant de mener à bien ses expérimentations sur les Dioscures : Castor et Pollux.

L’étude était simple : déterminer comment le manque d’aptitude permettait de s’adapter face à une situation dangereuse. Les deux sujets devaient simplement lutter l’un contre l’autre et trouver comment vaincre son adversaire. L’un était fort et sportif, l’autre plutôt frêle mais à l’esprit vif.

Tandis que Castor et Pollux luttaient l’un contre l’autre, le disciple griffonnait avec frénésie des notes sur son parchemin sans détacher ses yeux de la scène afin d’en saisir chaque instant. Pollux marqua une pause dans son attaque et recula pour prendre une énorme inspiration. Castor profita de l’instant pour reprendre son souffle ; bien que jumeaux, Pollux avait un énorme avantage sur lui. Il devait trouver une faille chez son frère car ni la force, ni l’endurance ne permettrait de le battre.

« Castor ! » cria Pollux « Ceci est mon dernier avertissement ! Renonce maintenant, et tu t’en sortiras sans douleur, ou bien tu sombreras dans une folie éternelle ! »

Castor éclata de rire. « Tu as toujours su faire de belles tirades, mais garde-les pour le champ de bataille s’il te plait. Tes menaces ne me font absolument pas peur ».

A ces mots, Castor se campa sur sa position et se mit en garde, prêt à subir l’attaque de son frère.

Pollux s’élança alors tel un lion fondant sur sa proie. Dans sa course fulgurante, il ouvrit grand la mâchoire et poussa un cri de rage.

Castor ancra ses pieds dans le sol prêt à encaisser la charge mais se mit à trembler d’un coup face à ce qu’il voyait.  Cette fois, tout était différent.

La poussière du sol se souleva et se mit à tourbillonner autour de Pollux qui ouvrait de plus en plus grand la bouche.

Plus il approchait, plus elle devenait immense.

Castor ne comprenait pas ce qu’il voyait. Il était à la fois saisi de peur et de fascination.

Était-ce réel ce qui se passait devant lui ? Il regarda autour de lui, et vit que le temps s’écoulait au ralenti : à sa gauche, le disciple continuait à noter machinalement sur son parchemin le combat, tandis qu’un rouge-gorge curieux le regardait du haut d’une branche. Au loin les épis de blés battus par les faux des paysans volaient en silence et retombaient doucement tels des plumes sur le sol.

Sur sa droite, des jeunes femmes étaient à l’ouvrage, et Castor pouvait même discerner l’aiguille aller et venir dans les toiles qu’elles reprisaient.

Il fixa de nouveau son attention sur son frère. Il n’était plus qu’à une enjambée. C’était trop tard, il ne pouvait plus fuir face à cette gueule immonde et immense qui fondait sur lui. Quel était ce monstre ? Comment avait-il pu se métamorphoser comme cela ?

Trop de questions sans réponses fusaient dans le crâne de Castor. Une seule certitude, il allait mourir là maintenant.

A cette dernière pensée, Pollux l’engloutit d’un trait.

Paul se réveilla d’un bond en sueur. Il se frotta le visage pour se réveiller et chasser ce cauchemar. Il tapota des doigts sur la table de chevet à la recherche de l’interrupteur et alluma la veilleuse.

Un coup d’œil rapide au réveil matin lui indiqua l’heure : 2h07.

Il souffla un bon coup, et se secoua la tête comme pour mieux chasser les images figées du monstre avalant son frère.

Il s’assit au bord du lit et souffla à nouveau. Puis bondit d’un pas décidé en direction de la salle de bain afin se rafraichir.

Face à son reflet, il fit le point. Ce cauchemar avait-il un sens, un message à y voir ? Était-ce lié à la fabuleuse découverte qu’il avait fait plus tôt dans la journée ?

« Probablement…Comment ne pas être perturbé après une telle découverte ? » se dit-il.

Après des années d’études et de recherches sur les cellules cancéreuses, et notamment sur les télomères, il avait enfin réussi !

Il avait enfin réussi à ce qu’une cellule mère,en se divisant, donne naissance à deux cellules identiques, mais dont une immortelle.Sans hésitation, il avait baptisé ces deux cellules Castor et Pollux.

Cela ouvrait une nouvelle voie immense à la génétique, et ne savait pas encore comment il allait annoncer la chose. Personne n’était au courant. Il était surexcité de devoir annoncer la nouvelle, mais devait aussi rester prudent. Il lui fallait d’abord réussir à renouveler son expérience, et faire que Pollux puisse donner naissance à d’autres cellules. Le soir,il l’avait mise en incubation avant de quitter le laboratoire.

Maintenant, à quelques heures d’y retourner, il n’avait qu’une hâte : c’était de voir le résultat.

Il but un grand verre d’eau, et retourna se coucher en espérant ne plus refaire ce cauchemar.

Du plus profond de l’espace noir intergalactique et bien au-delà encore, une voix guttural sombre et profonde se propage :« Nat komok lé toun `NimagaHastara’S ni i n,ala ! »

La créature ouvrit les paupières, révélant deux globes immenses de couleur or fendu d’un ovale noir.  Sous l’effet de la lumière qu’elles n’avaient pas vu depuis des siècles, les iris se rétractèrent et prirent la forme d’un trait fin parsemé d’épines.

« NIMAGA HASTA RA’S NI I N,ALA ! »  hurla de nouveau la créature avant de se précipiter dans l’obscurité infinie de l’espace.

5H58.

Finalement Paul n’avait pas réussi se rendormir.  A chaque fois qu’il fermait les yeux les images du monstre dévorant son frère revenaient s’imposer.

Il décida de se lever bien avant que le réveil sonne. Il était tellement impatient et excité de se rendre au laboratoire qu’il n’en pouvait plus de rester dans son lit.

Il descendit d’une traite un café brulant avant de se rendre sous la douche. L’eau chaude l’aida à se détendre un peu, et se surpris même à siffloter un air inventé.

Cet air ne le quitta d’ailleurs plus. Il continua de siffler en se coiffant, s’habillant, et pendant tout le trajet pour se rendre à l’Université où se situé son laboratoire.

Arrivé sur le parking, il fut surpris de le voir aussi désert. Paul était bien trop en avance. Plus d’une heure et demi avant l’horaire habituel. C’était bien la première fois qu’il venait aussitôt. Il eut d’ailleurs l’embarras du choix pour garer sa voiture. Avant de sortir de la voiture, il jeta un œil dans le rétroviseur pour en profiter pour se recoiffer, puis sorti de la voiture en reprenant sa chanson.

Il se dirigea vers le quartier des sciences, là où se situer son laboratoire.

Une fois à l’intérieur du bâtiment des recherches génétiques, la réverbération et l’écho naturel du couloir vide offrait au sifflement une amplification divine. Le bruit des pas lourds et déterminés, qui martelaient le sol en rythme, vint s’ajouter à la chansonnette.

Au croisement de deux couloirs, Paul vira à droite et sorti par réflexe ses clefs. Il commença à jouer avec, en les faisant tinter entre elles au gré et au rythme de son sifflement.

Son laboratoire était au fond de ce second couloir. Paul accéléré le pas et son excitation grandissait au fur et à mesure des carreaux de carrelage noir et blanc franchis. La cadence de ses pas donna le rythme à sa chanson qui prit un tempo deux fois plus rapide. Le cliquetis des clefs faisait maintenant penser à une charleston jazzy.

Le couloir lui parut interminable. Lui qui l’avait traversé des milliers de fois, voilà qu’aujourd’hui il n’envoyait pas le bout. Il se mit au pas de course et en eut le souffle haché.

Sa chanson virevoltait dans sa tête telle une tornade de notes musicales. Ses tempes commençaient à tambouriner au rythme effréné des pas.Ses clefs se mirent à raisonner tel un carillon strident et répétitif, et lui déclencha une migraine atroce.

Paul serra les dents pour résister à la douleur, et se précipita vers le laboratoire en hurlant. Dans sa prise d’élan soudaine et trop brusque, il eut du mal à freiner et buta de plein fouet sur la porte.

Un sifflement aigu prit naissance au sein de son cerveau entre ses deux hémisphères.  Il se multiplia rapidement, s’amplifiant intensément et commença à proliférer en de nombreuses ramifications pour s’infiltrer entre chaque cellule cervicale. Paul eu l’impression qu’un millier de locomotives à vapeur sirènes hurlantes se lançaient à toute vitesse dans sa tête.

Au fur et à mesure de la progression, le sifflement attaquait les cellules saines par des décharges électriques. Paul se sentit tétaniser par la douleur. Les mains moites, la bouche sèche, et le souffle coupé, son corps tremblait de toute part. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait.

Une nouvelle décharge lui fit se prendre la tête entre ses deux mains comme pour tenter de se l’arracher pour mettre fin à cette douleur, mais cela ne fit qu’intensifier encore plus ce mal.

Paul hurla de rage, et eut l’impression que son cerveau éclata en mille morceaux tel un verre de cristal.

Silence et noir absolu.

” Nigui mana latkon y paka ? Niguii lot n’iinnouch’ra ?”

“Na game y s’ti ,*poul’epi tan nagéra ! »

« Nigui ni nichichiazek’éonoun té pala ! »

D’un coup de griffe la créature trancha la tête de son interlocuteur. Elle lécha sa griffe souillée du sang encore chaud, ce qui l’a mis en furieux appétit, puis dévora d’un bloc le corps de la pauvre entité morte.

Paul se réveilla hors d’haleine et en sueur. Il était allongé en chien de fusil au pied de la porte de son laboratoire. L’odeur du vomi à proximité de son nez le força à changer de position. Il se redressa pour s’agripper à la poignée de la porte du laboratoire afin de s’aider à se relever.

Mais une fois la station debout atteinte,il fut pris de vertiges : sa vision se flouta et son corps vacilla légèrement en avant. Il se retenu de tomber en s’appuyant des deux mains sur la porte. Une goutte de sang perla de son nez et vint s’éclater sur le carrelage blanc au sol.

Par réflexe, Paul se frotta les narines avec le dos de sa main. La vision de sa main immaculée de sang lui fit prendre peur. Son cœur commença à tambouriner dans sa poitrine, et le sifflement naquit de nouveau du fond des entrailles de son cerveau, tel un phœnix renaissant de ses cendres.

« Non, non non ! ça ne va pas recommencer ! » hurla Paul. Il tata avec hâte les poches de son pantalon dans l’espoir de retrouver son trousseau de clefs, mais sans succès. Un rapide coup d’œil autour de lui les lui indiqua à proximité à même le sol. En se baissant pour les ramasser, un éclair violent lui vrilla le crâne.

Paul se vit flotter dans un espace sombre et infini. Que faisait-il là ? Comment y était-il arrivé ? Il regarda dans toutes les directions. Rien. Seul le noir absolu était présent.

Il hurla à l’aide de toute ses forces, mais aucun son ne sortit de sa gorge.

Il sentit des picotements au bout de ses doigts, et prit peur en voyant ses mains se muer en d’innombrables petites bulles vertes. Il les rapprocha de ses yeux pour mieux voir. Ce n’était pas des bulles, mais des cellules. Son corps était en train de se décomposer en un milliard de cellules organiques. Il se frotta les mains, les bras, le torse pour les chasser, mais cela ne changeait rien. Dans quelques secondes il serait dissout.

Paul dans un élan de survie, ferma les yeux comme pour y échapper, et poussa un cri de rage qui se perdit dans l’immensité abyssal de l’espace

« Na maka’la si nounképokina ? » demanda de nouveau la Créature.

Son interlocuteur acquiesça de la tête.

 « Ni ichi ni ! »

 Paul rouvrit doucement les yeux. Il était assis devant son bureau. Il resta hébété un instant. Quand et comment s’était-il retrouvé ainsi ? Quel était encore ce rêve qu’il venait de faire.

Une sonnette retentit soudain lui rappelant la tâche qu’il s’apprêtait à faire.

Il se leva, et alla récupérer dans l’incubateur, qui venait de finir son travail une éprouvette.

La viscosité du produit opaque et verdâtre à l’intérieur le ragouta légèrement. Il versa le contenu sur une lamelle de verre, et la glissa sous l’objectif du microscope.

Il inséra son œil dans le viseur, et alluma le microscope.

« Quelle beauté ! » s’exclama Paul. Pollux avait évolué. La cellule ne s’était pas divisée en d’autres cellules comme habituellement. Non Pollux avait pris une forme de prisme octaèdre.

Paul se saisit de la lamelle et appliqua une solution afin de laver les impuretés. Il en déduisit que l’aspect de l’éprouvette n’était que le résultat de la mutation de Pollux. Comme un serpent abandonnant sa vieille peau, Pollux avait évolué.

Une fois lavée, Paul changea le grossissement du microscope pour mieux admirer Pollux. Le Prisme, une fois nettoyé, présentait maintenant une pureté transparente.

Paul n’en revenait pas. Il se saisit alors d’une aiguille, et tata les parois du prisme : souple et résistante. Il réitéra son expérience afin de jauger de la résistance de la peau. Ou bien était-ce une paroi. Paul ne savait pas encore comment nommer cela.

Il piqua de nouveau Pollux pour essayer de la transpercer. Une fois, deux fois… au troisième essai, des yeux s’ouvrirent et un tentacule agrippa la pointe de l’aiguille.

Paul failli en tomber à la renverse ! Il se réajusta sur sa chaise, et reprit son observation.

Il n’avait pas rêvé. Pollux avait ouvert les yeux, et il fixait Paul à travers l’objectif.

« Peux-tu me voir ? » demanda à tout hasard Paul.

Pollux cligna des yeux.

Paul n’en revenait pas. Était-ce un hasard, ou le Prisme était-il en train de lui répondre ?

Paul demanda à nouveau « si tu peux m’entendre, cligne deux fois des yeux »

Le Prisme s’exécuta aussitôt.

« PUTAIN DE MERDE ! » hurla Paul d’excitation. « JE VAIS DEVENIR CÉLÉBRE ! »

« NIA GI NASH DA’NARALA ! »

Une douleur foudroyante traversa le crâne de Paul au même moment. La douleur fut si vive qu’il se retrouva au sol. Il se prit la tête entre les mains tel un étau pour faire céder la douleur, mais elle s’intensifia en même temps que gronda la voix

« NIA GI NASH DA’NARALA ! NIA GI NASH DA’NARALA !

Koumétaka li soun kan ni shiala ! Nakitokonomé ka li si pa ka ! »

Paul hurla encore plus fort. Chaque mot lui martelait son crâne.

« D’où vient cette voix ? Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Que vous ai-je fait…? »

« NIA GI NASH DA’NARALA ! »

« Je ne comprends rien à ce que vous dites ! S’il vous plait ! Arrêtez ! »

Paul, malgré la douleur, tenta de se relever en s’agrippant du bout de ses doigts au bord de son bureau. Il se hissa tant bien que mal.

Dans un ultime effort pour se mettre debout, il s’agrippa au microscope pour l’aider à se relever mais ne fit que l’emporter avec lui.

Il tomba lourdement parterre, et le microscope éclata sur le sol dans un fracs métallique.

« NOUN M’ITI CHA LA NA KAL’A !! » hurla Pollux.

Sous le coup de la colère, Pollux mua d’un coup. Le Prisme emplissait maintenant la pièce du sol au plafond.

Deux tentacules jaillirent pour s’emparer de Paul. Elles le soulevèrent bien au-dessus du sol, et le ramenèrent au plus près possible de Pollux

Une voix gutturale résonna dans tout le corps de Paul.

« Me comprends tu maintenant ? » demanda Pollux

Paul acquiesça de la tête.

« Je dois tout d’abord te remercier car ton travail, tes études m’ont permis d’exister. Sans toi, je ne serais pas là. Alors merci.

Maintenant, je vais te donner ce que tu recherches. Tu as soif de savoir et d’immortalité, n’est-ce pas ?

Paul le savait. Quelque serait la réponse, il savait la suite. Il l’avait vu en rêve. Résigné, il acquiesça de nouveau de la tête sans dire un mot.

« Ainsi soit-il »

Pollux décapita d’un coup de griffe son créateur, et l’absorba dans la foulée.

Vide immaculé.

Tout n’était que blancheur et pureté.

Paul ne savait pas où il se trouvait, mais il s’y sentait bien. Il flottait dans cet espace infini.

Il comprit. Il ferma les yeux et laissa la connaissance affluer en lui.

Il était à la fois tout et un, infini et unité.

Pollux lui avait offert l’immortalité. Mais coincé dans cet endroit pour toujours.

D’ailleurs était-il à l’intérieur de Pollux ? Ou dans un autre espace ?

N’était-ce pas encore un de ses rêves ? Ou bien une hallucination provoquée par cette énième crise ?

Paul se concentra. Il tendit la main droite devant lui. Il focalisa son attention, et un mur invisible trembla sous l’effet de sa concentration. L’oscillation des vibrations laissait entrapercevoir une matrice ressemblant à un entremêlement de lignes droites horizontales, et verticales, toutes perpendiculaires entre elles.

« NIMAGA HASTA RA’S NI I N,ALA ! » hurla Pollux.

Un sourire naquit sur les lèvres de Paul. Il comprit que cette matrice n’était que la structure interne des parois de Pollux.

Paul savait maintenant ce qui lui restait à faire.

 

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