Les Chroniques de Mars // Il y a un élément de controverse qui me tient particulièrement à cœur de traiter ici à propos de la Théosophie, et que tu abordes d’ailleurs avec grand intérêt dans ton livre, c’est ce que j’appellerai avec malice « l’ensablement intellectuel » de René Guénon, dans le cadre de son incompréhension évidente quant à ce que fut le mouvement théosophique de Blavatsky, de l’importance qu’il eut à l’époque – et qu’il a toujours d’ailleurs, (avec ou sans les commentaires déviants de Guénon). Un chercheur de ta trempe remet enfin les pendules à l’heure, notamment en s’appuyant sur les travaux remarquables de l’anthropologue Evans-Wentz qui met à mal les propos de René Guénon concernant principalement le « bouddhisme ésotérique » et sa validité historique, maintenant reconnue – selon la Tradition orale notamment. Visiblement Guénon en ignorait absolument tout et ses propos inanes en la matière sont également peu qualifiables au regard de la Tradition.

D’ailleurs les sources de Guénon, sont des sources non recoupées, dénuées de perspectives ontologiques au plan de la connaissance Théosophique, connaissance qu’il dénature avec aveuglement, mais malheureusement tout cela est passé à la postérité sans discernement. Aujourd’hui, on sait très bien que Guénon n’avait qu’une visibilité très limitée sur la Tradition Hindoue et que son ignorance dans bien des domaines de la Tradition orientale ne l’autorisait, en rien, à avoir des avis aussi tranchés, et pour tout dire totalement erronés, sur la Théosophie de Blavatsky ! Heureusement, tu fais le point ici, dans ton livre, de fort belle manière, sur les égarements coupables de Guénon – Que peux-tu dire sur le sujet, et ne peut-on pas croire que chez Guénon, il existerait une insincérité plutôt qu’à une défaillance intellectuelle ?

Jean IOZIA // L’ouvrage de René Guénon, Le Théosophisme, Histoire d’une Pseudo-Religion, sera édité en 1921 à La Nouvelle Librairie Nationale au sein de la Collection Bibliothèque Française de Philosophie dirigée par Jacques Maritain. C’est un certain Père Peillaube qui l’avait engagé à utiliser la documentation considérable qu’il avait accumulé pour composer ses articles de La France Antimaçonnique, afin de confondre la Société Théosophique considérée par lui comme un ramassis de toutes les contrefaçons spirituelles. Guénon identifie Madame Blavatsky comme la source même du mal… On peut y voir là, très certainement l’influence de l’Abbé Gourbault, traditionnaliste catholique qui dès le début du XIXème siècle affirme cette unité du mal que l’on retrouve sous des formes de multiples hérésies, notamment dans la Franc-Maçonnerie. N’oublions pas que la Société comprenait beaucoup de membres Francs-Maçons. On sait que la Société Théosophique à la même époque sera mise à l’index par la congrégation de la foi de l’Église catholique, qui interdira à ses fidèles d’en être membres, lire ses livres ou assister à des conférences. On le voit, il s’agit bien d’un combat d’influence qui se joue. A cette époque les enseignements de la Société qui est à son apogée ont un fort retentissement sur l’opinion. Nous sommes en pleine époque de l’Orientalisme. Il convient donc de la combattre. De plus, Guénon vient d’écrire des ouvrages sur les doctrines hindoues. Il se trouve donc aussi en concurrence avec les enseignements orientalistes de la Société… ! Je pense que René Guénon a eu pour son ouvrage, non une défaillance intellectuelle mais bien une commande de son éditeur proche des milieux catholiques traditionalistes et qu’il il y a répondu.

Guénon reproche également à la Société son syncrétisme religieux. C’est sur le ton de la parodie qu’il critique les principaux enseignements de la Société, particulièrement les fameux Mahatmas avec lesquels était en contact Madame Blavatsky. C’est lui qui va construire le néologisme de « Théosophisme ».

René Guenon se targue d’ajouter que son livre repose sur une solide argumentation historique mais en fait ne repose pas sur des documents de première main. Il n’a certainement pas vérifié les sources des articles publiés dans La France Antimaçonnique. Pour René Guénon, la Société Théosophique a proposé une sorte de bouddhisme ésotérique à partir de notions empruntées, qu’il juge purement livresque. Pour lui, Madame Blavatsky n’a connu du Bouddhisme et du Brahmanisme que ce que tout le monde peut en connaître, et pense qu’elle n’y a pas compris grand-chose. Il considère que les textes tibétains et les fameuses stances de Dzyan dont parle Blavatsky sont manifestement inventés de toutes pièces.

Si l’on se tourne à présent vers les érudits et les spécialistes du Bouddhisme, il en est tout autrement. Par exemple, si l’on regarde le point de vue du Lama Kasi Dawa Samdup de l’Ecole Kargyutpa du bouddhisme du Nord. C’est ce Lama qui dicta notamment en grande partie les explications et les notes données en introduction de la première publication du Bardo Töodol : Le livre des Morts Tibétains. Le Dr W.Y Evans-Wentz (1878-1965) éditeur et co-traducteur reconnait ce qu’il doit au Lama Samdup (1868-1923), son aide précieuse pour une plus grande compréhension de la doctrine. EVANS-WENTZ est un anthropologue et écrivain américain. Il lira très tôt les ouvrages d’Héléna Blavatsky et souhaitera enseigner la Théosophie. Il obtient son MA à l’Université de Santford, puis voyage en Amérique Centrale, en Europe et au Moyen Orient. Il se rend en Inde à Darjeeling après la 1er Guerre Mondiale et s’intéresse aux textes bouddhistes anciens. Evans-Wentz est surtout connu pour avoir effectué la traduction du Livre des Morts Tibétains avec l’aide du Lama Kazi Dawa Samdup. Il devient par la suite bouddhiste et passera ses dernières années à San Diego où il aidera financièrement La Maha Bodhi Society et la Société Théosophique.

Dans l’introduction de l’ouvrage, à propos de Madame Blavatsky, un commentaire de Evans-Wentz indique que Le Lama Kazi Dawa Samdup considérait en dépit des critiques dirigées contre ses ouvrages, que H.P. Blavatsky devait incontestablement avoir reçu un enseignement lamaïque élevé, ainsi qu’elle le prétendait. Il apporte aussi une explication au fait que H. P. Blavatsky prétend avoir eu accès à une doctrine ésotérique inconnue à cette époque des orientalistes. Il faut savoir que le Bouddhisme du Nord, dont le symbolisme est si vivant, a été condamné par le Bouddhisme du Sud pour avoir prétendu être le gardien de la doctrine ésotérique transmise oralement de génération en génération par des initiés depuis Bouddha. Pour les adeptes du Bouddhisme du Nord, les textes ne contiennent pas toutes les paroles et qu’il y manque beaucoup des enseignements yoguiques du Bouddha. Ils ajoutent que les enseignements transmis ésotériquement jusqu’à aujourd’hui ou « Bouddhisme Esotérique », semble avoir été transmis principalement de bouche à oreille, selon une règle orale et établie de Guru à disciple. Cette affirmation de l’anthropologue Evans-Wentz, qui bat en brèche les propos de René Guénon, affirme que le Bouddhisme fut essentiellement à ses origines une doctrine populaire servant d’appui théorique à un mouvement social à tendance égalitaire. L’idée de l’existence d’un bouddhisme ésotérique se retrouve aussi dans d’autres sources…

Les Chroniques de Mars // Voilà qui est dit et bien dit – ce qui permet de revoir fondamentalement les écrits volontairement biaisés sur le sujet par René Guénon – d’autres aspects sont encore traités dans ton livre… Il y a bien sûr un élément majeur que nous ne voulons pas oublier, il concerne les fameux « Maîtres de Sagesse », qui étaient-ils vraiment, ont-ils existé, et comment les comparer à ceux de la Tradition occidentale ?

@ suivre…

 

Entretien avec Jean IOZIA # 3 // Les Chroniques de Mars » © – janvier 2022.


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