« Le PÈLERIN des ABÎMES » – Chapitre V (Extrait)

17 janvier 1964

[Only for your eyes –

CONFIDENTIEL FILE,

archives U-boat 209,

122-W – Langley, Virginie]

Organism 46-b.

Nunavut, arctique canadien – Rapport de J. B.

« La passation de pouvoir entre Auguste Franck et Richard E. Byrd de l’U.S. Navy avait eue lieu l’année dernière, dans un bureau entièrement sécurisé à Washington, dans le cadre d’une mission ultrasecrète baptisée « Overworld », mission entièrement pilotée par un collège invisible d’oligarques à la solde du N.W.O. Aucun responsable des services de renseignements de l’Etat profond, de la cryptanalyse mondiale et des services des armées concernés n’ayant voulu accorder caution à une pareille entreprise si périlleuse et si controversée, il fallut donc trier sur le volet les membres d’un commando de choc, des mercenaires prêts à tout, des chiens de guerre non répertoriés par les armées conventionnelles et surtout rompus à toutes les habiletés de la guerre occulte pour accomplir cette mission impossible dont nul ne voulait entendre parler. Le commando fut également constitué d’archéologues de premier plan, de scientifiques de haut vol et, donc, d’une troupe d’élite de paramilitaires aguerrie à l’infiltration en territoire ennemi ainsi que d’un conseiller spécial tout terrain. Un supérieur inconnu de haut grade, initié à toutes les confréries historiques répertoriées et surtout affilié à une mystérieuse société secrète dont le quartier général se trouvait semble-t-il à Lung Chen, au Bhoutan. »

J. B.

 

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« Mission Overworld »

21 juin 1965

[C. F. – 307 B]

Adelie Land – Checkpoint, 65° 00′ Sud, 138° 00′ Est.

UTC+17 – Commando Blackstars – (Pathfinders, 205th) –

Cdt  W. P. Thompson.

 

« // Nous quittons ce jour le tracé conventionnel des cartes géodésiques fournies par l’amirauté et entrons définitivement dans la matrice // Nous arpentons un territoire inconnu des hommes avec la totalité de notre matériel et armement comme cela a été programmé par le haut commandement // Notre mission est bien définie et nous l’accomplirons jusqu’à son but final // Nous nous engageons définitivement dans la mission Overworld avec sérénité et confiance // In god we trust // 0 1 1 1 »

[Asgard – Dernier message archivé de la mission Overworld]

Nous avions quittés le froid polaire avec une certaine confiance, mais nous retrouver de la sorte sur ce territoire inhospitalier provoquait chez nous une forme de défiance à l’égard des autorités invisibles qui nous avaient tous regroupés pour cette mission périlleuse. Le contrat de vingt-cinq millions de dollars U. S. que nous avions tous signé était bien sûr fort lucratif, mais le jeu en valait-il vraiment la chandelle si nous devions tous périr dans cette aventure ?

Des frondaisons luxuriantes de la forêt jurassique que nous explorions avec tant de difficultés depuis douze jours maintenant, la pluie drue et noire ne cessant de tomber sans interruption sur nos battle-dress en lourdes gouttes opaques, faiblement éclairés que nous étions grâce à une luminosité tamisée provenant d’une sorte de lune d’en bas. Notre avancée incertaine, sans cesse ralentie par la perte de notre seul magnétomètre et par les animaux hostiles de cette jungle inextricable, nous laissait à penser que notre expédition ne pouvait être vouée qu’à un échec certain, mais, pourquoi ne pas le reconnaître, la foi des mystiques ou la déraison des aventuriers fous nous accompagnaient sans retenue à la recherche de la cité interdite, au centre de la Terre. À l’égal d’un Guillaume de Rubroeck ou d’un Christophe Colomb explorant le Nouveau Monde, nous aimions croire que la croix pattée de gueules cousue avec précipitation sur nos vareuses kaki nous servirait définitivement de sauf-conduit. Illusion ou vérité ? Notre avancée morbide dans ces ténèbres hostiles fut si terrible que le seul souvenir de cette quête me hanta jusqu’à la fin de mes jours. Le halètement de nos âmes perdues à tout jamais dans le souffle du vent octroyait à nos destinées un compte-à-rebours que nous sentions proche de la fin. Avions-nous offensé d’une quelconque façon les dieux des abysses réunis ici en assemblée extraordinaire pour qu’autant de malédictions s’abattent à présent sur nos têtes avec un tel paroxysme ?

Je peux l’avouer aujourd’hui, c’est bien sur les recommandations d’un émissaire du Vatican, fort au fait de nombreux secrets inavouables et grâce à la carte énigmatique de l’amiral Byrd retrouvée l’année de sa naissance, en 1888, par trente mètres de fond, dans une mine abandonnée à l’exact opposé magnétique de notre situation, au nord-ouest d’Anchorage, que nous avions finalement réussi à découvrir au cours de notre pénible avancée au sein de ce territoire impénétrable de nombreuses reliques plurimillénaires marquant à l’évidence une présence humaine ayant appartenue à une civilisation inconnue des hommes jusqu’alors. L’incertitude dominait encore et les pièces du puzzle tardaient à se faire jour au point que certains d’entre nous doutaient réellement de la véracité des hypothèses énoncées lors de notre briefing matinal. La seule piste de référence tangible citée par le commandant W. P. Thompson lors de cette réunion secrète concernait l’ouvrage d’un écrivain explorateur, un initié totalement anonyme et disparu dans les méandres de l’Histoire des hommes. Le livre en question dont notre commandant possédait une édition originale, annotée par l’aventurier fou, avait été publié en 1723, à Paris, place de la Sorbonne, avec approbation & privilège du Roy. Son titre, Relation d’un voyage du pôle arctique au pôle antarctique par le centre du monde. On ne savait, en réalité, ce qui nous paraissait le plus extraordinaire dans cette preuve tangible, le total anonymat de l’initié en question, la date d’édition, ou bien son titre. Notre commando, le regard suspendu, marchait comme un seul homme. Il faisait corps et avait maintenant repris de brèche en brèche sa marche silencieuse au milieu d’une végétation hostile qui se faisait de plus en plus impénétrable. Seul le cliquetis des armes s’entrechoquant contre nos vareuses formait une sorte de tintinabuli métallique qui devançait aux avant-postes notre marche. L’un des membres du commando, le petit-fils adultérin de Richard Francis Burton, un opiophage bodybuildé de cent soixante-dix kilos qui aurait fait passé grâce à son érudition sans limite et son ardeur au combat son illustrissime  grand-père pour un minable fonctionnaire pantouflard et sans talent, ne cachait plus du haut de ses deux mètres, caparaçonné et luisant qu’il était d’armes de tous types, sa méfiance ou peut-être même sa peur de voir tout notre groupe quitter subitement le monde des frontières connues – et ce sans plus aucune attache avec notre quartier général. Avions-nous à vrai dire bien pénétré en ce haut lieu énigmatique par la bonne anfractuosité minérale suggérée par le rayon vert qui nous avait conduits lors du solstice d’été à la découverte, en surface, de cette porte secrète et invisible sur cette vaste étendue de neige ? Une fois psalmodiés, sur deux octaves distinctes, par le supérieur inconnu qui nous accompagnait, les mots forces et les mantras oubliés, mots forces traduits et consignés en son temps par l’amiral Byrd, le porche minéral à flanc de falaise s’était bien ouvert, en silence, devant nous, comme par enchantement. Il y a bien longtemps, au cours d’une expédition hasardeuse, j’avais tenté pareille aventure dans le sud de la France, dans le Haut-Verdon plus exactement, à proximité d’un camp militaire et d’un lac souterrain quasi inconnu de tous, dans une base stratégique maintenant devenue inaccessible aux yeux des profanes. Mais cela était bien peu de choses par rapport à ce que nous découvrîmes dans le plus grand secret ce jour là. L’aventure s’annonçait palpitante, mais apprendre à rêver n’était-il pas le premier degré de la Sagesse ? Le dérèglement des sens comme expérimentation occulte. Pourtant, nous nous interrogions tous avec une certaine crainte bien peu dissimulée afin de savoir quelle entité démente des abîmes était ici le gardien du seuil, enchaîné irrémédiablement à ce continent perdu ? Une autre question sans réponse taraudait également notre petite équipe et ce depuis notre départ – que venait faire-là ce sceau médiéval orné d’une croix de Saint André et de quatre roses rouge qui paraphait le bas de la carte parcheminée de l’amiral Byrd, situant avec exactitude la cité introuvable ?

 

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La nuit du treizième jour, alors que nous envisagions un retour anticipé, un cri d’épouvante, venu du ciel comme un présage mortel, préoccupa notre petite troupe. Un gigantesque oiseau antédiluvien aux ailes déployées, en quête de pitance, survola notre petit groupe laissant planer au dessus de nos têtes une ombre noire monstrueuse. À l’effroi succéda la terreur de la perte de nos esprits, engloutis que nous étions en ces catacombes végétales. Huit heures plus tard, environ, après une marche épuisante au cœur de la Terre creuse, sans halte, au milieu de marécages fétides peuplés de nuées d’insectes inconnus de nous, de serpents venimeux et de bêtes sauvages tapies dans l’ombre, une « montagne hantée » – c’est ce qu’avait consigné l’amiral Byrd sur sa carte – nous apparut au lointain, dans la brume laiteuse, comme dans un songe extatique. Le but ultime de notre quête graalique apparut enfin à nos yeux ébahis. La pleine lune inversée, à son apogée, éclairait de son aura blanchâtre le paysage nébuleux d’une puissance si onirique que nous furent tous stupéfaits de ce spectacle surnaturel.

L’escalade à pic de la sierra, sans mousquetons et sans assurages, nous prit encore trois jours pleins et fut rendue encore plus pénible que la traversée récente des marécages à cause de l’emprise sur nos esprits terrifiés de la peur qui nous assaillait d’heures en heures, comme un venin ardent coulant progressivement dans nos veines. Chaque soir, au moment du bivouac, je consignai minutieusement, pour (…)

Thierry E. Garnier © – Chroniques de Mars No 105 – Solstice d’Hiver 2022 – Extrait du Livre « Le Pèlerin des Abîmes ».


 


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