« Le symbole se présente comme un support à travers lequel l’absolu pénètre le relatif, l’infini le fini, l’éternité le temps. Grâce à lui un dialogue s’engage, une transfiguration s’opère : le transcendant s’impose. » Marie-Madeleine Davy
« Le nombre existe avant les valeurs qu’il décrit. La variété des objets rappelle seulement à l’âme la notion du nombre. » Hopper
Mundum regunt numeri… Les nombres régissent le monde affirmait la sagesse populaire romaine. Le jeu d’Échecs en fournit la preuve. Combat entre pièces blanches et pièces noires, lutte acharnée qui oppose l’armée du jour à l’armée de la nuit, celle des purs à celle des impurs, mais aussi patient exercice d’un mythe très ancien et pourtant grandiose, le mythe de l’homme-maître du monde. Un mythe dont le mystère se joue à travers une raison assurée par des lois implacables marquées de nombres et de couleurs. C’est le conflit aigu qui avait mis à l’épreuve, chez les anciens Chinois, le roi Wou-Yé, l’opposant au Ciel-des-Dieux.
Jouer aux Échecs c’est faire supplanter toujours le calcul par l’idée, dominer la matière par l’esprit, éliminer en fait le hasard, car les parties aux prises peuvent envisager l’ensemble de leur jeu, c’est rejouer, en somme, la pièce de tradition épanouie dans le conte hindou qui avait mis face à face le Hibou et le Faisan.
Éliminer le hasard tout en développant le goût et l’exercice de la précision, ne serait-ce pas aussi discipliner l’action, stimuler la volonté tout en améliorant la façon même de penser ? Voilà quelques-uns des apports du jeu d’Échecs à l’épanouissement de la personnalité humaine et qui déterminèrent un philosophe comme Franklin à écrire dans ses Mémoires que le jeu d’Échecs constitue un haut moyen de culture. Allant bien plus loin que Leibniz qui en faisait une science et que Voltaire pour qui jouer aux Échecs signifiait honorer son esprit, Goethe fit de la façon dont on joue un critère d’excellence de ce que l’on appelle de nos jours le Q.I. De Leibniz à Einstein, tous les grands penseurs du domaine des mathématiques cultivèrent ce jeu, et bien souvent ils l’éclairèrent de leurs travaux et études. Ainsi Leibniz s’occupa particulièrement de la marche aller et retour du Cavalier, et Einstein en fit matière d’exemple dans la démonstration de la quatrième dimension.
Jouer aux Échecs pour affûter l’esprit, certes. Néanmoins, jouer aux Échecs signifie aussi évoquer, faire revivre, même sans le vouloir, une kyrielle d’actions magiques dérivées du symbolisme primordial de ce jeu « vieux comme le monde ».
Maintes traditions font dériver le jeu d’Échecs du combat mythique qui en Inde classique opposa les titans Açuras aux dieux Dévas, dans un conflit sans fin, dont l’art dérivé du principe même de l’intelligence cosmique (viraj) fut surnommé Vart royal.
L’art royal du jeu des rois… Fallait-il encore s’étonner que dans la nature même de ce jeu on découvre, dès la première approche, trois choses bien différentes. Le jeu en soi, avec les actions qu’il suppose et impose ; l’Échiquier qui fournit l’arène de la démarche ; et le monde affolant des traditions qui s’y rattachent et qui s’expriment à travers les pièces du jeu et leurs symboles. Ce monde est régi pour l’essentiel par la suprématie du Nombre et des nombres exercée à travers la dualité de la couleur ; la réalité sous-jacente du jeu demeure celle d’un certain acheminement.
A l’instar de la quête alchimique ou de l’interrogation astrologique, ce chemin difficile constitue une autre voie de perfection envisagée par la Tradition. C’est un long, très long chemin qui conduit de l’action et de son arène vers un autre enjeu, celui d’un véritable combat mystique, débouchant sur une sorte de Terre des Promesses intérieure, sol de l’éternelle jouvence de l’esprit en état de se surpasser lui-même. Jouer aux échecs signifie vouloir atteindre en fin de compte le savoir.
Lorsque Montaigne se penchant sur le jeu d’Échecs écrivait : « Le jeu des Échecs n’est pas assez jeu ; il divertit trop sérieusement », il pensait sans doute aux difficultés et même peut-être déjà à l’ennui de la raison combattant sur l’échiquier pour le blanc ou pour le noir. C’était néanmoins, encore trop peu…
Poussant plus loin encore la réflexion, et cela après une approche bien plus ferme des coulisses de ce théâtre de figures et de nombres qu’est le jeu d’Échecs, on découvre les quatre autres vérités de ce jeu à la fois rationnel, initiatique, symbolique et sacré.
L’art royal du jeu des rois cesse d’être celui des élus, celui des apparences, du caduque, de l’accidentel, pour redevenir le jeu des vrais sages. (à suivre)
Pierre Carnac – La Symbolique des échecs – Henri Veyrier ed. 1985.
Histoire du Jeu d’Échecs
Le jeu d’échecs est apparu pour la première fois en Inde vers 455 de notre ère.
Le Précepteur du Raja Shek Rama, appelé Sissa, s’est inspiré d’un jeu indien Shaturanga (jeu avec 64 cases) pour mettre en place le jeu représentant le monde matériel et sa dualité. Pour ce faire il utilisa : un Tableau de 8 cases sur 8 alternativement noires et blanches. Des Pièces symbolisant les lois de la nature telles que Le Roi représente l’homme le plus important, qui se voit confronté aux épreuves de la vie qui peuvent lui faire obstacle. Le Cavalier peut sauter les obstacles…
Les armées Arabes du Calife Omar furent prisent de passion pour ce jeu quelques décennies plus tard en Perse. Elles l’ont tellement apprécié qu’elles y portèrent quelques modifications et séparèrent les 64 cases en 32 cases blanches et autant de noires.
Le mot Échecs vient de l’arabe « Sheiks » qui signifie chefs ou sage.
Ellles diffusèrent ce jeu dans tout le bassin méditerranéen.
Sur : http://www.mokrane.com/chess/histoire.html
Nous ne sommes que des pions du jeu d’échecs,
avides d’actions,
Aux ordres du grand joueur;
Il nous mène de çà, de là, sur l’échiquier de la vie
Et pour finir, nous emprisonne dans la case de la mort.
Sur un mode plus léger,
Quelle tristesse!
Brutalement déchu du rang de cavalier à celui de pion,
Et puis, lassé du jeu du roi et de ses fous,
Je mets tour contre tour … et c’est l’échec et mat.
Omar Khayyam