Une véritable mystique a entouré les images fractales lors de leur apparition, née essentiellement de la notion « d’auto-similarité », qui invite le spectateur à une plongée vers l’infini. La notion d’infini a toujours fasciné, et voir une invitation à l’infini se matérialiser sur une figure est autrement plus suggestif qu’une réflexion philosophique abstraite.
En peu de mots, il y a des « structures » dans les figures fractales qui se répètent ici et là, à toutes les tailles. Dans l’image classique ci-contre de l’ensemble de Mandelbrot, on voit un haricot central (une cardioïde, si vous préférez) qui porte toute une kyrielle de disques de toutes tailles sur sa périphérie, et on voit, ou on devine, que ces disques portent eux-même des disques plus petits, qui eux-mêmes… Et on sait que si on agrandit une portion de la frontière, on va retrouver de petites répliques de tout l’ensemble, haricot central compris. Et on peut agrandir encore et encore, cela n’a pas de fin…
Bien plus prosaïquement, les petits français pouvaient se heurter à la même idée troublante avec l’étiquette du bon fromage « La vache qui rit », avec sa tête de vache qui porte des boucles d’oreilles dans lesquelles on voit la même tête de vache, avec les boucles d’oreille sur lesquelles on voit la même tête de vache…etc.
Ci-dessus : détails de l’affiche originale de Benjamin Rabier.
En principe, cette chaîne d’agrandissements où on retrouve toujours les mêmes formes peut continuer indéfiniment. Voilà, le premier mot clé est lâché, l’infini. Jusque là, de l’infiniment petit seulement, mais avec un peu d’imagination – et ce n’est pas ça qui manque dans le domaine artistique -, marche arrière toute, et nous voilà en route pour l’infiniment grand, du côté des dieux, de Dieu peut-être ? L’infini a toujours fait partie du vocabulaire associé à Dieu. Mais on peut choisir une autre vision, et découvrir que l’ensemble de départ est tout entier répété dans ces fameux agrandissements, et hop, tout est dans tout, on retrouve une autre grande formule mystique orientale.
Restons raisonnables. Les structures fractales, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, sont des abstractions mathématiques, au même titre que la ligne droite idéale, avec son épaisseur nulle. Il se trouve que certains objets de la vie réelle peuvent être représentés approximativement par des lignes droites, sur une certaine longueur, à condition de négliger leur épaisseur. L’acte de négliger ceci ou cela (et réciproquement de prendre en compte ceci ou cela) est fondamental quand on veut représenter le monde. Il se trouve que d’autres objets de la vie réelle, dans une certaine mesure, peuvent être représentés commodément par des fractales. Dans son livre fameux (Les objets fractals, Flammarion, 1975-1989), Benoît Mandelbrot cite l’exemple de la côte bretonne, qui a la même allure à l’échelle de la France entière ou sur une carte détaillée au 1/50000. Mais pas à l’échelle d’une plage ou d’un galet! L’approximation par une fractale n’est valable que sur un espace limité et à des échelles ni trop grandes, ni trop petites. Depuis Mandelbrot, on a proposé des représentations fractales pour d’autres systèmes physiques, comme les gaz en cours de condensation ou des agrégats polymérisés, ou, plus simplement, pour certains végétaux comme la fougère ci-contre.
Quand on visualise une fractale par un dessin, comme dans l’image ci-contre, on obtient un objet matériel qui n’est pas cette fractale idéale, tout comme un trait de crayon n’est pas la ligne droite des mathématiciens. Si le dessin est finement imprimé, on pourra voir ces fameux détails auto-similaires avec une loupe. Mais si on utilise un microscope, on ne verra que les fibres du papier – ou les pixels de l’écran. On conviendra néammoins d’y voir cette fractale, et si on y tient, on complètera par l’esprit ce qu’on ne peut pas imprimer dans le papier. En fait, on y est véritablement invité. Quand on voit à l’oeil nu plusieurs générations de ces détails, des gros, des petits et d’autres qu’on voit à peine, on devine qu’il y en a qu’on ne peut pas voir, mais qui doivent être là. Et il n’y a plus de raison de s’arrêter.
En conclusion, on n’est pas obligé de céder au délire mystique, mais la tentation du vertige est indéniable.
Charles Vassallo © et Droits réservés, publié pour la Lettre de Thot, avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Voir le formidable site que Charles Vassallo a consacré aux fractales sur :
Art et fractales http://perso.wanadoo.fr/charles.vassallo/
Premiers pas…
Pour le grand public, l’aventure des images fractales commence avec les images de l’ensemble de Mandelbrot. Ces images particulières sont apparues comme des objets magnifiques dès qu’on a pu disposer d’ordinateurs avec des sorties graphiques dignes de ce nom. Une première exposition en 1984 eut un énorme succés, que ses auteurs prolongèrent dans un ouvrage au titre explicite, The Beauty of Fractals, de H.O. Peitgen et P.H. Richter (éd. Springer-Verlag, Berlin, 1986). Quelques années après (86-90), les progrès des micro-ordinateurs popularisaient l’accès à ces images.
Il se cache des mathématiques très ardues derrière cet ensemble de Mandelbrot, mais qu’on peut tout à fait ignorer quand on ne s’intéresse qu’à la beauté des images. Il existe maintenant de nombreux logiciels faciles d’accès et qui permettent d’obtenir des résultats comparables à la figure ci-dessus. Si vous n’en n’avez jamais manié, cliquez ici pour faire une première visite guidée dans l’ensemble de Mandelbrot. Ne vous inquiétez pas, il n’y aura vraiment aucun calcul ! Incidemment, vous aurez aussi un premier contact avec une propriété fondamentale des figures fractales, l’autosimilarité, sur laquelle nous reviendrons à plusieurs reprises.
On peut faire le même genre de promenade dans les figures de Markus-Lyapounov si on dispose d’un programme explorateur pour ce type de fractales.