Pour moi, le voyage chamanique n’est pas un but, une fin en soi.
C’est un moyen d’accéder à une connaissance, non pas intellectuelle, mais au contraire empirique, à un savoir d’une grande sagesse que détient l’humanité depuis la nuit des temps. C’est le moyen d’entrer en contact avec celui qui sait en nous, qui connaît la vie parce qu’il est la vie, l’indifférencié, l’unifié.
Ce savoir universel peut nous aider ou aider les autres dans notre vie multidimensionnelle à commencer par notre vie sur Terre. Il nous permet si nous acceptons d’entendre et d’utiliser ses messages, à la fois de communiquer avec la Terre et le Ciel, avec le passé et le futur, de nous ancrer dans le moment présent et de nous amener vers un niveau de conscience plus élevé, en apprenant à fonctionner avec notre cœur.
Il s’agit d’être capable de changer son système de croyances, d’ouvrir son cœur et son esprit à des façons différentes et nouvelles de percevoir la réalité.
Nous avons accès à une ou même plusieurs portes de connaissance nous renseignant sur l’être humain bien sûr, mais aussi sur tous les règnes vivants, sur la Terre, l’Univers… Il n’y a pas de limites si ce n’est celles que nous nous fixons nous-mêmes.
De nombreuses fois, au cours des voyages chamaniques que j’ai pu vivre, j’ai été très émue de pouvoir entrer en contact avec cette source de connaissance.
Tout d’abord, le dialogue avec mon animal totem, m’apprenant énormément de choses sur moi, me conseillant, me secouant même quand il le fallait ! Et puis des voyages à deux, avec des révélations très précises , incompréhensibles pour moi, me faisant douter de ma raison et se révélant finalement tout à fait exactes en en parlant avec la personne.
En conclusion, pour illustrer ces propos et clore cette tentative de vous faire sentir ce qu’est le voyage chamanique, je voudrais vous citer un passage d’un magnifique livre d’Olga Kharitidi « La chamane blanche », situé au début du prologue. Un exemple de voyage « spontané » dans un autre espace et un autre temps, même si tous les gens faisant des voyages chamaniques ne les expérimentent pas de façon aussi spectaculaire, chacun ayant son propre niveau de conscience.
« La pluie finit par cesser et les nuages se dissipèrent rapidement, poussés par de forts vents d’est. Dehors, ce fut le silence et une obscurité quasi-totale. Par la porte-fenêtre ouverte du balcon, la brise fraîche apportait dans l’appartement la senteur de feuilles mouillées et d’asphalte humide de la nuit.
J’éteignis la lumière et allai sur le bacon jeter un dernier coup d’œil sur le ciel vespéral. Sous mes yeux s’étendait la ville entière, paquebot géant aux hublots allumés. Et pourtant, cette ville lumineuse et d’immense apparence ne représentait en réalité qu’un infime fragment de la Terre, et ses lumières étaient insignifiantes sous les milliers d’étoiles qui scintillaient dans la nuit claire et paisible.
Appuyée sur la balustrade de mon étroit balcon, je regardais le ciel étoilé et aspirais l’air odoriférant et doux. Soudain, sans que j’en eusse été avertie, l’une des lumières se mit à grossir et à briller plus vivement que les autres. Puis le ciel sembla se déchirer et être saisi de violents tourbillons, comme si la trompe d’une gigantesque tornade se rapprochait de plus en plus, au point que je ne vis plus qu’elle.
Je sens une énorme puissance inconnue qui s’approche, et je sais que je suis une fois de plus appelée ailleurs, dans un autre temps. Il est trop tard pour fuir, ou même pour avoir peur, bien que je sois désormais si habituée à l’« inhabituel » que je n’aurais peut-être pas peur si j’en avais le loisir.
En un clin d’œil, la scène change du tout au tout. Là où, un instant auparavant, il n’y avait que le clair ciel nocturne, tout mon champ de vision est inondé de lumière. Je flotte loin au-dessus du sol, en un lieu où je ne suis jamais allée. Mon esprit fonctionne différemment maintenant, comme si j’étais quelqu’un d’autre, sans souvenir du passé. Je n’ai pas peur, je suis simplement consciente et docile. Je sais que j’ai été amenée ici dans un but. J’ai confiance et attends de découvrir ce que j’aurai à faire.
M’étant rapprochée du sol, je vois en bas, l’herbe verte du printemps. Elle est haute et regorge de vie nouvelle, ondulant sous la brise. Son parfum vient jusqu’à moi, et cette sensation purement physique m’aide à me débarrasser d’autres pensées, me centre sur ce lieu. Soudain, sur ma droite, de forts roulements de tambour s’imposent à mon attention. Mon odorat m’a déjà attirée vers ce nouvel endroit, et voilà que mon ouïe renforce ce qui m’y attache. Mon corps se meut aisément dans l’espace, et je me tourne sur la droite, vers les roulements de tambour. La scène qui se déroule sous mes yeux, je n’aurais jamais pu l’imaginer.
Dix hommes de vingt-cinq à quarante ans, les cheveux ramassés en longues queues de cheval, dansent en rond sous moi. Ils portent des vêtements souples aux tons atténués, couleur de terre, ornés aux motifs géométriques qui ne ressemblent à rien de ce que j’ai jamais vu. Le roulement de tambour ne cesse pas et, bien que les mouvements des hommes soient gracieux, on sent une insistance manifeste dans leur danse. Tandis que je descends encore pour mieux voir, j’aperçois une femme allongée au centre du cercle. Les hommes tournent autour d’elles avec une expression d’une grande intensité sur leur visage. On n’entend rien d’autre que le tambour qui bat de façon pressante. D’abord, je ne comprends pas ce qui donne à ces hommes un air si insolite mais, à mesure que je distingue davantage de détails, je constate sur leur visage un degré de conscience et de concentration sur leur cérémonie que les modernes ont perdu. Je me rends compte que ce sont des hommes d’autrefois, et que ce que je vis remonte à des millénaires.
Je flotte toujours au-dessus du cercle des danseurs, descendant lentement vers ce qui est le but de ma présence ici. Le point central de la danse et des battements de tambour apparaît plus distinctement à mesure que je perds de l’altitude. Au milieu, la silhouette inerte d’une femme d’une beauté incroyable est couchée dans l’herbe. La modestie de sa robe simple d’un jaune gris fait ressortir les bijoux raffinés qui ornent son cou et son corsage. Si les colliers sont de facture rustique, les joyaux qui y scintillent sont magnifiques. Je sais qu’elle vient de mourir.
Je regarde autour de moi pour essayer de comprendre, à partir de ces éléments épars, ce qui se passe et ce qu’il m’appartient de faire ici. Une vieille femme attire mon regard. Elle est assise sur un petit coffre de bois près d’une sorte de yourte au toit d’herbe pointu. Elle fume la pipe et ses yeux vont sans cesse du cercle des danseurs au ciel, partout immédiatement présente. Physiquement, elle doit être quasi centenaire, mais on ne lui donne pas d’âge. Elle a la peau sombre et ridée comme un parchemin teint qui aurait été exposé au soleil pendant plusieurs vies. Ses yeux sont bridés, comme ceux de bien des Mongols contemporains que j’ai vus. Ils se rétrécissent encore quand elle louche en aspirant la fumée de sa pipe.
Elle n’a pas, dans la cérémonie, à se déplacer physiquement comme les autres. Le rythme de son être est bien plus lent que celui des danseurs. Sa danse est intérieure. Elle respire calmement et parfois lève la tête vers le ciel, comme dans l’attente de quelque chose. Au moment où cette pensée me vient, elle tourne les yeux droit sur moi, et je sais qu’elle m’a vue. C’est recevoir un pouvoir que d’être reconnue par cette femme, et je sens au tréfonds de moi un bizarre mélange de joie et de crainte.
Je continue de flotter un peu au-dessus du sol. « Qui suis-je, et que suis-je venue faire ici ? » Tandis que la question se formule dans mon esprit, je sens le regard de la femme se concentrer sur moi. Puis le tambour se tait brusquement et les danseurs s’arrêtent. Comme un seul homme, ils lèvent les yeux sur moi et entonnent une mélopée. J’ignore leur langue mais, dans leurs acclamations, je reconnais cependant les mots « La déesse blanche ! La Déesse blanche est venue ! » Si je comprends ces paroles, ce n’est pas parce qu’elles sont comme insufflées en mon être, avec le regard pénétrant de la vieille femme, dont les ondes, je le sens, me traversent continuellement.
Soudain, c’est vers ces hommes que revient mon attention ; ils ont suffisamment élargi leur cercle autour de la jolie fille pour que je puisse me poser sans mal à son côté. La tête levée vers moi, ils me regardent et je sens qu’ils attendent ce qui va se passer. Rien ne me surprend. Si la surprise doit venir, ce sera plus tard, quand je me retrouverai sur mon balcon.
Le corps dans lequel je flotte est un énorme corps de femme, qui fait dix fois ma taille normale. Blanche et sans poids, je suis comme un nuage. Je sais au plus intime de moi-même que l’on m’a amenée ici pour rendre cette morte à la vie.
Je me pose sur le sol. Je touche son corps et les épaisses tresses brunes le long de son doux visage hâlé. Je sens que, dans son corps, elle flotte à la frontière de la vie et de la mort, et je sais qu’il est en mon pouvoir de la faire basculer vers la vie. Je soulève son corps inerte par les épaules et l’assieds. D’une certaine façon, je sais qu’il faut la maintenir dans cette position pour que le flux de la vie revienne dans son corps. Quand elle pourra rester assise toute seule, ce sera le signe qu’elle est pleinement revenue à elle. Je commence à faire des passes autour de sa tête et de sa poitrine. Mes mains se déplacent d’elles-mêmes, au rythme d’un rite antique, et je n’ignore pas que ces gestes, d’autres les ont faits il y a des milliers d’années. Les mouvements restaurent et rééquilibrent son énergie et, quand tout paraît accompli, je la lâche. Et la voici qui, toute seule, revient lentement à elle, traversant petit à petit des couches d’inconscience et de conscience, son corps parvenant à la guérison sur une voie qu’une force inconnue a dégagée par mon intermédiaire.
Ma tâche accomplie, je suis soulevée par une énergie invisible et flotte à nouveau au-dessus de la scène. Je monte toujours plus haut. Sur le point de perdre de vue tout ce qui est en bas, je retrouve les yeux de la vieille femme. Elle me regarde toujours, et fume toujours la pipe, pleinement consciente de ma présence et sachant qui je suis. Son visage exprime la gratitude. Au moment où tout va disparaître, je reconnais en cette vieille femme mon vieil ami et maître Oumaï, dans une nouvelle manifestation.
Je me retrouve sur mon balcon et, sous mes yeux, le ciel nocturne continue de briller. Le passage de mon voyage à la « réalité », à supposer que celle-ci soit plus réelle que celui-là, s’est fait d’un coup. Bien que femme moderne du XXe siècle, j’ai désormais appris à accepter ces expériences qui autrefois m’étaient si étrangères. »
J’espère que ces propos vous donneront le désir d’expérimenter ce qui, finalement est un voyage au cœur de soi-même.
« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux. » Socrate
Marie-Noëlle Marmet © La lettre de Thot – août 2004.
En illustration : Marie-Noëlle Marmet – Photo Arcadia ©