Le manuscrit Voynich est un de ces mystères que nous laisse l’histoire et dont il semble, même après un siècle d’étude, qu’il restera scellé à tout jamais.
Ce célèbre manuscrit fit son apparition sous les feux de l’actualité en 1912 quand Wilfrid M. Voynich, antiquaire spécialisé en livres anciens fit l’acquisition en Europe d’un lot de manuscrits médiévaux. Dans ce lot, il remarque un codex (1) illustré de 234 pages dont l’écriture ne ressemble à rien de ce qu’il connaît. Il le ramène aux États-Unis et tente d’en déchiffrer le texte, puis devant son incapacité à le faire, il fait appel à ce que son époque compte de plus érudits historiens, cryptographes et autres paléographes, mais sans succès.
Aujourd’hui, près d’un siècle plus tard, malgré les centaines de personnes qui se sont acharnées à décoder ce texte, malgré le matériel sophistiqué qui a été consacré à ce déchiffrement, malgré les milliers d’heures passées à l’étudier, nous en sommes toujours au même point : pas un seul mot de ce manuscrit du XVe siècle n’a été formellement identifié et encore moins compris.
Il faut dire que le problème est ardu : l’origine de ce livre est des plus vagues ; on a trouvé à l’intérieur une lettre datant de 1666 de Johannes Markus Marci de Kronland, recteur de l’Université de Prague à destination du célèbre jésuite Athanasius Kircher, lui offrant le manuscrit en lui demandant de le déchiffrer et précisant qu’il avait été acheté par l’empereur Rudolf II de Bohême pour la somme astronomique à l’époque de 600 ducats soit trois kilos et demi d’or et environ 50000 euros d’aujourd’hui. Le manuscrit lui aurait été vendu par Edward Kelly (2), mercenaire, alchimiste et mystique que l’empereur côtoyait souvent à la cour. Des études approfondies ont permis de reconstituer de manière à peu près sûre la chaîne des possesseurs depuis Rudolf II jusqu’à Voynich mais elle ne nous donne aucun éclaircissement ni sur le scribe, ni sur les signes ni sur la langue qui les sous-tend.
Comme habituellement dans ce genre de cas, on ne se trouve pas devant un manque d’explications, mais, au vu du nombre important de personnes qui se sont penchées sur le problème, plutôt devant un amoncellement de théories la plupart du temps contradictoires entre elles. Certaines personnes, dont Voynich lui-même, pensaient qu’il s’agissait d’un livre du XIIIe siècle écrit par Roger Bacon, ce qui en aurait fait un témoignage inestimable sur ce moine, mais aurait également contenu une somme colossale d’anachronismes.
Malheureusement, aucune preuve ne pu jamais être apportée en ce sens et cette hypothèse est aujourd’hui abandonnée.
Avec le temps et l’amélioration des analyses linguistiques, les théories se sont faites de plus en plus nombreuses et parfois également de plus en plus alambiquées. En voici quelques unes en vrac : il se serait agit d’un livre de prière d’un culte d’Isis issu des Cathares (mais cela n’aide pas à comprendre le texte plus avant et les quelques éléments concrets ont été démentis par les spécialistes des Cathares), ou bien il s’agirait d’un livre écrit par des rebelles ukrainiens en proto-slave mais sans les voyelles (pourquoi sans les voyelles ? Le texte ainsi « traduit » semble de toute façon une suite de mots sans queue ni tête, toute aussi incompréhensible que le texte original). D’autres experts ont reconnu dans une illustration une vue de dessus de notre galaxie (on peut se demander comment ils ont une idée de ce à quoi ressemble notre galaxie vue de dessus…) Bien entendu, la plupart de ces théories, bâties dans notre monde moderne, supposent que le ou les scribes ont eu accès à des techniques très sophistiquées et des sources d’information très en avance sur leur époque, voir sur la nôtre.
L’utilisation du décryptage informatique n’a pas eu plus de succès. Tout au plus sait-on de façon à peu près sûre que la répartition des lettres ressemble réellement à celle d’un langage en général, mais à aucun langage connu en particulier. Certaines particularités distinguent le texte de tout ce à quoi les analystes sont habitués : certaines lettres ou syllabes assez fréquentes par endroit « disparaissent » totalement pendant de longs passages, ce qui a fait conclure à certains qu’il s’agissait en fait de plusieurs langages écrits avec le même alphabet. On observe également un grand nombre de mots répétés deux voir même trois fois à la suite, ce qui ne s’est jamais vu dans aucun langage connu, sur Terre en tout cas. Certaines lettres ou syllabes n’apparaissent que sur la première ligne des paragraphes, d’autres uniquement en début de ligne et d’autres uniquement en fin de ligne, ce qui a fait dire à certains qu’il s’agissait de prières ou de poèmes. Il faut également compter avec le fait que tous les experts ne sont pas d’accord sur la façon de découper les mots en syllabes ou en lettres, ce qui fait que l’écriture utilisée compterait entre vingt lettres, ce qui la qualifie pour être un alphabet, et cinquante lettres, ce qui ferait plutôt pencher la balance en faveur d’un syllabaire, quoique assez réduit.
Enfin la dernière théorie est que le manuscrit soit un faux, écrit afin de pouvoir être vendu pour une somme fabuleuse à Rodolphe II, dont l’intérêt pour le mystère et l’inexpliqué était connu à l’époque. On buttait sur le problème de la vraisemblance du langage qui devait pouvoir être produit avec les moyens et les connaissances du XVe siècle, sans ordinateurs ni lois de la linguistique. Mais un professeur d’université, Gordon Rugg, vient de publier un article qui apporte quelques pierres à l’édifice de la théorie de la fraude.
Gordon Rugg, sa plume d’oie et sa grille de Cardan
Plutôt que d’essayer de comprendre le contenu du manuscrit, il s’est mis à la place de quelqu’un ayant à l’écrire. Il a donc compulsé les traités de cryptographie du XVe siècle et a trouvé dans un ouvrage de l’époque la description de la « grille de Cardan », un dispositif très simple (3) qui permet de produire un texte tout à fait semblable à celui du manuscrit Voynich et qui reproduit même les répétitions de mots et les disparitions de lettres, phénomènes qui étaient restés jusque là totalement inexpliqués dans le texte original. Le professeur Rugg, qui a dû pour cela apprendre à écrire à la plume d’oie, affirme qu’avec un peu d’habitude, on peut arriver à écrire un manuscrit de cette longueur en trois mois. Cependant, à ce jour, il n’a pas pu reconstruire la ou les grilles de Cardan ni les règles qui auraient pu arriver à produire le texte exact du manuscrit original.
Le manuscrit Voynich est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Beinecke des Livres Rares de l’université de Yale, qui ne diffuse malheureusement que de mauvaises reproductions de quelques pages. Ce manuscrit garde donc son mystère et peut, pour un temps encore, nous faire rêver à une époque où un monarque, certes richissime, pouvait donner une somme astronomique pour un livre qu’il n’arrivait pas à lire mais qui devait représenter pour lui le mystère de la connaissance inaccessible. Mais il ne faut pas que la recherche de la signification hypothétique du texte nous cache la formidable beauté de cet ouvrage. Le texte (voir les liens en fin d’article) est écrit dans une calligraphie magnifique dont le scribe semble avoir une parfaite maîtrise, et les illustrations sont d’une profonde originalité de thème et de réalisation, toutes à la fois précises et naïves, où tout un chacun peut voir des fleurs, des motifs géométriques abstraits ou …notre galaxie vue par le dessus ?
La galaxie vue de dessus ?
« Un mystère révélé ne sert plus à rien. » Cubito
Pierre-François Besson © – article inédit pour la LdThot – novembre 2004
Illustrations © Université de Yale & Wired Magazine
Les site en français sur le manuscrit Voynich sont peu nombreux,
http://www.almaleh.com/voynichf.htm semble le plus fourni et vous trouverez des liens sur http://www.geocities.com/ctesibos/francais/voynich/sites.htm.
Pour les sites en anglais, http://www.voynich.nu/
est un site très complet.
L’article paru dans Wired est à
http://www.wired.com/wired/archive/12.09/rugg.html.
Et surtout un site de liens incontournables :
http://www.dcc.unicamp.br/~stolfi/voynich/.
(1) Codex : manuscrit sous forme de pages, relié à la façon de nos livres modernes, par opposition aux manuscrits sous forme de « rouleaux » (volumen ou rotuli).
(2) Sur Edward Kelly, comparse en occultisme et alchimie du célèbre mage élisabéthain John Dee, voir les différentes biographies de ce dernier et notamment, John Dee le sorcier de la Reine Elisabeth par Arnold Waldstein – CAL ed. 1974. (coll. les Maîtres du secret) et son portrait dans la rubrique // Galerie de ce site.
(3) Grille de Cardan : une grille de groupes de lettres avec un cache percé que l’on déplace d’une ligne ou colonne à la fois
Mode d’utilisation de la grille de Cardan :
– remplir une grille de syllabes ou lettres séparées
– découper dans un cache une série d’ouverture de la taille des cases
– placer le cache en position de départ (en haut à gauche, par exemple)
– écrire le mot ainsi composé par les syllabes dans les trous du cache (varier les longueurs !)
– déplacer le cache et recommencer
– de temps en temps, retourner ou changer de cache ou refaire une nouvelle grille