Le 14 janvier 2005, je n’étais pas très concentré sur mon travail. Vous me direz que c’était un vendredi, que le week-end approchait,… sans doute. Mais c’était surtout parce que derrière les fenêtres de mon ordinateur, il y en avait une dont le titre était « Cassini Huygens », qui était en connection continue sur le site de l’Agence Spatiale Européenne et que je la surveillais dès que j’avais quelques secondes de répit. En effet, ce jour là, près de Titan, satellite de Saturne, à l’autre bout du système solaire, si loin que la lumière met une heure pour nous parvenir, un concentré de haute technologie gros comme une petite voiture commençait sa descente terminale dans l’atmosphère d’un monde que l’on pense être semblable à la terre à ses lointains débuts.
Vers onze heures du matin, un radio téléscope en Australie captait un signal prouvant que la sonde Huygens était en train d’émettre des données vers Cassini, restée en orbite. Ainsi, après sept ans de voyage, des mois de mise en orbite autour de Saturne se terminant par 22 jours de chute libre au dessus de Titan, à quelques minutes de l’heure prévue, la sonde Huygens se réveillait de son sommeil pour scruter ce monde inconnu qui l’entourait, renifler le gaz dans lequl elle s’enfonçait, écouter les bruits autour d’elle, regarder ce paysage qui l’entourait, et renvoyer ses impressions vers Cassini qui allait nous les relayer quelques heures plus tard. Puis, ayant vidé sa batterie, elle resterait là pour l’éternité ou jusqu’à ce que nous (ou quelqu’un d’autre ?) allions la rechercher.
Vers cinq heures de l’après-midi, la nouvelle que tout le monde espérait nous parvenait enfin : dépassant les prévisions les plus optimistes, la sonde avait parfaitement bien effectué sa descente, s’était posé sur un sol solide, et avait envoyé pendant bien plus longtemps que prévu, des données sur la surface de ce monde étrange et inconnu.
Il fallut attendre quelques heures pour que les premières images et les premiers sons soient analysés et publiés sur Internet et que nous puissions enfin poser nos yeux sur ce paysage si semblable aux nôtres et à la fois si différent, confronter nos impressions (« Ca a l’air bien brumeux »), nos soupçons (« C’est une rivière tu crois ? »), nos délires (« Si, si, c’est une calanque comme chez nous ! »)…
Au delà de l’exploit technique, je voudrais signaler qu’en cette periode où l’anti-américanisme, souvent primaire, est la règle (« ils sont cons ces américains, … » est un début de phrase devenu courant), où l’anti-européanisme gagne du terrain (« ils veulent nous interdire notre camembert ! »), c’est grâce à une collaboration américano-européenne que nous avons avons ces images et ces sons sur nos écrans. Cela prouve bien que quand les meilleurs d’entre « nous » et les meilleurs d’entre « eux » donnent vingt ans de leur vie pour concevoir, monter, peaufiner, améliorer un projet puis sept ans à surveiller et piloter un engin tel que Cassini-Huygens, ils ont beau être cons, ces américains, et ne pas aimer notre camembert, ces européens, ils prouvent qu’ils peuvent aussi faire des choses qui font avancer l’humanité. Et surtout, on ne peut que les remercier de nous offrir ça :
Pierrre-François Besson – Thot Graphos & Arcadia
Photos du paysage de Titan et des anneaux de Saturne & Dione © NASA et ESA
Les images de Cassini Huygens sont disponibles en libre accès sur les pages spéciales du site de l’ESA et de la NASA.