« Les victoires romaines ont appris ce qui était inconnu auparavant. Et ceux-là sont maintenant condamnés à l’esclavage qui, nés pour la liberté, ignoraient même chez eux ce qu’était le servage… »
Hegesippe
De la religion celtique, il ne reste plus rien. Ovates, bardes, druides sont morts. Un jour, dans les Gaules ensoleillées, les Barbares sont apparus. D’au delà des Alpes d’abord. Avec César, le débauché sans scrupules, les mercenaires crétois, carthaginois, germains, se sont répandus d’un bout à l’autre du territoire, Portant avec eux le viol, le pillage, le massacre, la torche de l’incendie, ils ont d’abord enrichi Rome !
Par longues files, les convois ont acheminé vers l’Italie mercantile et décadente, les éléments de la richesse gauloise. A peine relevée de ses ruines, une province était aussitôt remise en coupe. Et la fumée des incendies était à peine dissipée, que déjà les corbeaux d’outre-monts revenaient à la curée. Loin des risques des batailles, le négociant romain confiait le soin de l’enrichir à des guerriers venus du Danube ou du Rhin. Noyant tous les sursauts successifs de l’indépendance gauloise dans d’affreux massacres, César envoyait vers les lupanars du Latium ou de la Campanie, les jeunes femmes et les jeunes filles raziées dans les cités vaincues. Et au long des routes, de la contrée des Carnutes au pays des Sequanes, de la Narbonaise à l’Armorique, en passant par l’Arvernie, les guerriers gaulois s’en allaient au long, des routes, crevant de misère et de souffrances, tendre vers leurs dieux les poings coupés par la clémence du vainqueur (1) !
Et pourtant…
Un géographe ancien l’a dit : « II semble qu’une Providence tutélaire ait destiné les Gaules à devenir le lieu le plus florissant du monde ». Et il faut toute l’inconscience de certains historiens matérialistes pour parler de la « civilisation » romaine, effaçant la « barbarie » gauloise ! Civilisées, les foules hystériques du Colisée ? Civilisés, les peuples qui admettaient qu’un de leurs empereurs épousât un cheval ? Civilisés, ces monstres qui ont nom Tibère, Néron, Calligula, Héliogobale, et choisis par des « élites » militaires ou commerciales pour assurer les fastes de l’Empire ?… Si on donne le nom de civilisation au simple confort matériel, qu’on nous permette alors de dire que le matelas gaulois valait bien le lit de sangle du romain, que le vin de ses vignes, conservé dans des tonneaux, valait bien celui que le romain abritait dans des jarres ! Et que la fortification gauloise s’est avérée aussi sûre que la fortification romaine ! Mais là encore, la Gaule a payé de son indépendance ses divisions intestines, et son individualisme déjà latent.
Au peuple qui avait vu Sigovène et Bellovèse, mener leurs enseignes sur les bords du Danube et du Pô, six siècles avant l’ère chrétienne, un peuple de marchands réussit à mettre le bâillon et le joug. Et les descendants des guerriers de Brennus, qui firent trembler Rome, s’en allèrent mourir dans les jeux du Cirque… Mais la fin de la nation gauloise est encore effacée par celle de ce qui inspirait ses élites religieuses. En place de la haute théocidée celtique, et de l’incontestable élan métaphysique qu’elle suscitait, Rome substitua son panthéon de divinités décadentes. Avec les enseignes romaines, arriva la confusion religieuse, puis l’indifférence. Et c’est vers l’Ouest, dans les forêts d’Armorique, que les Druides emportèrent leurs traditions. Avec les enseignes gauloises, avec l’Alouette, le Sanglier impétueux, et le Cheval Blanc, symbole de Victoire.
Mais tout était fini. Et ce que l’acharnement de Rome n’avait pu réaliser tout à fait, une religion nouvelle, venue des déserts de Palestine, avec les espoirs et les rêves d’esclaves ou de plébéiens fanatisés l’allait accomplit. Sans répit, Christianisme et Druidisme vont s’affronter. Et avec l’appui séculier de rois barbares mais convertis, avec l’assurance que donnent les lances et les framées, les hangons et les glaives, les missionnaires chrétiens vont effacer toute trace de la pensée celtique. Seules, transcrites par on ne sait quel miracle, les Triades subsisteront, débris de la Pensée morte (2). Et, chose étonnante, c’est au sein de ce peuple qui fut le dernier refuge du Celtisme, que la religion nouvelle jettera ses plus profondes assises, et puisera ses disciples les plus fervents.
Faut-il le déplorer ?
Non.
Tout a sa raison d’être, et Dieu sait tirer le Bien du Mal, nous disent les Triades.
Peut-être, menacée d’abâtardissement ou de déformation, la pure religion du début avait-elle fait place à un compromis malheureux ? Et sa disparition depuis dix-huit siècles, doit-elle permettre une prochaine résurrection ? La Race est là, forte de la mémoire héréditaire et collective. Et si la religion rivale perd, avec les lustres, de son emprise sur les individus, la pure pensée celtique pourra enfin renaître, comme le Phénix de la légende.
Sur ces tisons noircis, nous avons osé rechercher un peu de rouge ! Et nous avons formulé intérieurement le vœu du poète :
Sur ces tisons noircis, nous avons osé rechercher un peu de rouge ! Et nous avons formulé intérieurement le vœu du poète :
Nous ceindrons à midi l’armure aux mailles d’or
Que le soleil margelle au ras des flots celtiques…
Peut-être ces pages éveilleront-elles, dans l’âme du lecteur l’écho lointain d’une Vérité déjà entrevue.
Si ce souhait se réalise, puisse notre effort n’avoir pas été vain. Qu’elle renaisse la vieille croyance de nos aïeux !
Que la connaissance scientifique lui apporte l’appui de ses acquisitions !
Car en Occident, la Tradition Celtique est la seule métaphysique susceptible, dans l’Avenir, de satisfaire au cœur des hommes leur soif éternelle de l’Absolu.
Alors, quand nous aurons enfin compris tout le mystère qu’elles dissimulaient, les vieilles divinités de nos pères nous apparaîtront plus vivantes encore. La Nature nous semblera plus proche, tout le pourquoi des êtres et des choses se discernera mieux, et la Mort elle-même nous semblera moins effrayante. Car notre vie, la Vie, aura désormais un But. Nous saurons qu’elle n’est qu’un voyage, voyage menant vers l’Immortalité quoi qu’il arrive. Et c’est dans ce fameux linceul de pourpre, où dorment les Dieux morts, que nous pourrons, sans crainte, tailler nos Voiles ! …
Robert Ambelain – Au pied des menhirs – Niclaus ed. 1945.
Ce livre conservé à la bibliothèque Arcadia est dédicacé par Robert Ambelain le 20/9/1945, à Jean Chaboseau.
(l) Un million et demi de Gaulois et de Gauloises furent vendus comme esclaves dans les villes d’Italie, sans considération de parenté, d’âge, ou de sexe.
(2) Robert Ambelain dans ce commentaire fait état ici des différentes règles ou lois communément appelés Triades celtiques ou bardiques qui ont pour dénominateur commun le nombre 3 et sont développées par groupes de trois aphorismes. Elles peuvent être de type historique, philosophique, juridique, métaphysique, théologique, morale, politique etc..
Ainsi la première triade énonce :
Il est trois unités primitives. Et il ne peut y en avoir davantage. Ces points sont ; un Dieu. Une vérité. Une Liberté, point où se font équilibre toutes les oppositions.
Le triskell celtique (triskelês en grec), mot qui signifie «les trois sources» pouvant être considéré à la fois comme le fondement et la quintessence de cette série de règles énoncées, à travers un graphisme primitif issu du fond des âges et évoquant la triple unité en action, autrement dit le mouvement perpétuel. Ce triple mouvement est construit autour d’un point central et divise le cercle en trois parties égales. Ajoutons quand même pour l’occasion, que la perception dogmatique qui découle aujourd’hui de cette analyse, voulant faire accroire une opposition de principe entre le triskell celtique et un dualisme de type manichéen nous parait au demeurant particulièrement erronée.
(Note de la rédaction. La LdT.)