Dernière partie de l´Interview que Christian Doumergue a bien voulu accorder à La Lettre de Thot. Elle concerne plusieurs faits traités dans son ouvrage et totalement inconnus des chercheurs, il s´agit notamment de l´implication de l´Eglise Gnostique de Jules Stanislas Doinel à Rennes-le-Château même et qui est finalement et au bout du compte, la seule Société Initiatique en relation directe avec l´Affaire de Rennes-le-Château.
Autre fait singulier, le Lazare Veni Foras soi-disant écrit par l’abbé Boudet et dont Christian Doumergue a retrouvé la trace. Pour conclure Christian Doumergue nous parle savamment du Serpent Rouge, ce curieux document déposé à la BN de France le 15 février 1967 et conservé sous sa forme originale en un in quarto de 13 feuillets sous la cote 4L7K 50490.
Arcadia – La LdT.
Arcadia – En ce qui concerne L’Eglise Gnostique de Jules Doinel, qui est la seule Société Initiatique en relation avec Rennes-le-Château, vous avez pu démontrer chose tout à fait extraordinaire quand même, que Prosper Estieu en faisait partie peu avant 1900 semble-t-il… et que des documents concernant l´Eglise Gnostique étaient publiés à Rennes-le-Château du temps de l´abbé Saunière ! Ça laisse pantois ! Pouvez-vous nous expliquer cela ? Et cela a-t-il pu avoir une certaine influence sur l’abbé Saunière ?
Christian Doumergue – Effectivement… l’Eglise Gnostique était présente à Rennes-le-Château du temps de l’abbé Saunière à travers la personne de Prosper Estieu.
Et bien sûr, cela amena à Rennes d’autres membres de l’Eglise Gnostique, très implantée dans la région. C’est par exemple au sommet de la « colline inspirée » que Déodat Roché, un autre représentant éminent de l’Eglise Gnostique (et, on le sait, un des plus actifs concernant les diverses campagnes de recrutement du groupe !), rencontra Estieu pour la première fois.
Cette première rencontre entre ces deux figures majeures du néo-catharisme eut lieu le jeudi 2 août 1900. Dans une lettre écrite l’avant-veille, donnée dans mon livre, Roché se félicitait de l’imminence de cette rencontre avec celui qu’il nomme « Mon cher frère en albigéisme ».
Point de rencontre important, Rennes était alors un pôle de rayonnement tout aussi capital. En 1896, quelques années avant son arrivée à Rennes, Estieu avait fondé la revue Mont-Segur. C’était l’organe officiel de l’« Escolo de Mount-Segur », un groupe félibréen très ancré dans le Catharisme, qu’il avait créé avec son ami le banquier Arthur Caussou. Estieu y dénonçait en Occitan les horreurs de la Croisade contre les Albigeois et, bien évidemment, glorifiait ces derniers… Momentanément interrompue en 1899, c’est à Rennes-le-Château que la revue avait refait son apparition en 1900…
Cette très forte présence de l’Eglise Gnostique à Rennes à l’aube du XXe siècle n’est pas sans poser questions concernant l’abbé Saunière et ses constructions. On sait que l’Eglise Gnostique cherchait à recruter parmi les prêtres qui avaient à pâtir de leur hiérarchie. Dans une missive adressée au docteur Fugairon le 28 décembre 1899, Déodat Roché s’enquit auprès de son correspondant établi à Ax les Termes : « Connaissez-vous les prêtres de l’Ariège qui passent pour ne pas être bien soumis à l’Eglise Romaine ? »
Saunière qui devait publiquement s’allouer le titre de « prêtre libre » quelques années plus tard constituait le candidat idéal ! Il était en outre très proche de la famille Roché…
Pourtant, il est peu probable qu’il ait jamais adhéré à l’Eglise Gnostique. Si tout dans son comportement signale un catholicisme resté intègre y compris lors de la grande crise avec l’Evêché de Mgr de Beauséjour, d’autres indices nous permettent d’être très affirmatifs à ce sujet. Lors de sa retraite religieuse à Prouille, on voit en effet l’abbé Saunière, dans les très intimes lettres à Marie, saluer le souvenir « précieux » (tel est le mot qu’il emploie) de Saint Dominique. A Rennes, il est en conflit ouvert avec Estieu, dont il parvient à obtenir le départ en 1903, après une crise qui demanda plusieurs interventions extérieures…
Cela laisse penser que l’Eglise Gnostique n’a pas influencé l’abbé Saunière… Il est par contre plus que certain que les archives que ses activités dans la région ont laissées ont directement alimenté le discours que devait plus tard tenir Pierre Plantard… Non seulement on retrouve chez ce dernier l’idée que la tombe du Christ est à Rennes-les-Bains (or, dés 1897, le Docteur Fugairon avait postulé de la présence de la tombe du Christ dans le Sud de la France, et lui, Roché et Doinel conduisaient des recherches dans la région de Rennes !) mais certains détails dans la réapparition de l’Affaire de Rennes dans les années 1950 font sens. Par exemple, Noël Corbu (qui a très certainement hérité de documents importants : les recherches de Michel Vallet et Franck Daffos le confirment !) prétend que le trésor qui fit la fortune de l’abbé Saunière était celui de Blanche de Castille… quand un des plus importants travaux de recherche de Doinel portait, précisément, sur celle-ci !
Arcadia – Vous avez retrouvé la trace du Lazare Veni Foras, l´ouvrage mythique attribué à l’abbé Boudet qu’en est-il au juste ? Vrai ou Faux ?
Christian Doumergue – Faux ! Mais, comme tous les faux générés dans l’Affaire de Rennes à un certain moment et par certaines personnes, un faux qui pose questions…
C’est en 1965, dans Les descendants mérovingiens ou l’énigme du Razès wisigoth (un des opuscules apocryphes déposés de manière anonyme à la Bibliothèque Nationale de France) qu’est mentionné pour la première fois ce soi disant livre maudit de l’abbé Boudet dont l’Evêché de Carcassonne aurait commandé la destruction systématique à cause de l’hérésie qu’il contenait.
Par la suite, Gérard de Sède sous l’impulsion de Pierre Plantard, fera de multiples allusions, plus ou moins discrètes, à cet ouvrage.
Celui-ci, jamais fourni par ceux qui le mentionnèrent pour la première fois, fit son apparition en 1978 par l’intermédiaire d’une petite annonce parue dans le numéro d’octobre de la revue L’Autre Monde… Il va sans dire que la reproduction fournie aux intéressés sous formes de photocopies (une abondante vie de Marie-Madeleine) n’a sans doute rien à voir avec l’abbé Boudet.
Ce qui importe de noter à ce sujet, c’est, une fois de plus, ce qui se cache derrière la mystification. La lettre accompagnant l’envoi est à ce sujet particulièrement importante : comme dans les apocryphes de la BNF ou la prose de Gérard de Séde, est à nouveau sous-entendu que se trouve à Rennes-les-Bains une sépulture importante, où reposerait, cette fois… Lazare, le ressuscité de Béthanie, qui aurait terminé ses jours dans la petite station thermale romaine… « Pas plus que La Vraie langue celtique, ce livre n’apporte, de prime abord, des indications évidentes sur l’emplacement de la tombe de Lazare ou sur un des dépôts précieux de Rennes. Cependant, quelques lieux des environs de Rennes où Lazare vint en cure thermale, et pour d’autres raisons, y sont décrits de manière allusive mais précise dans un style particulier à l’Abbé Henri Boudet. » y lit-on !
On ne sait rien de l’auteur de cette mystification, un certain Nacim Djama, sinon qu’il résidait alors à Toulouse. Ce qui est tout de même troublant lorsque l’on connaît quelle importance avait Toulouse fin XIXe / début XXe pour l’Eglise Gnostique ! Déodat Roché y séjourne et c’est là qu’est établi, au 48 rue de la République, le siège de « La Gnose Moderne » le journal « officiel » de l’Eglise Gnostique édité par Roché et Fugairon !
Quant au livre dont j’ai pu me procurer une copie, un ouvrage assez gros dont je n’ai pu identifier le modèle, il s’agit d’une vie de Marie-Madeleine tout à fait conventionnelle… qui aurait put être rédigée, au vue des références qui y figurent, fin XIXe / début XXe. Les illustrations qu’il comporte, très Art Nouveau, et dont quelques unes sont reproduites dans mon livre, vont également dans le sens de cette datation.
Arcadia – Une grande partie de votre travail tend à démontrer que le document connu sous le nom de Serpent Rouge, que l’on retrouvera in extenso dans votre livre avec une introduction de votre main, est en réalité un document d´une extrême importance, a bien replacer dans un contexte favorable, racontez-nous cela s´il vous plait ?
Christian Doumergue – Serpent Rouge est en effet un texte essentiel. Il fait parti de ces écrits que l’on appelle apocryphes et qui ont été déposés de manière anonyme à la BNF sous l’impulsion de Pierre Plantard. Pour cette raison, le texte a été entouré d’une très forte suspicion, et beaucoup le considèrent encore comme un faux de plus créé par Plantard pour servir sa mythomanie…
Dernièrement, lors d’une conférence qui s’est tenue à Paris le 8 avril, Franck Daffos et Michel Vallet ont révélé publiquement le nom de l’auteur du Serpent Rouge et donné une date de composition du texte, que Plantard après en avoir hérité par Noël Corbu, se contenta de remettre en forme… Il s’agit d’un prêtre dont le nom n’avait été jusque là jamais abordé dans l’Affaire de Rennes. Ces révélations, et la prochaine publication dont elles feront l’objet, devraient mettre fin une fois pour toutes au discrédit dont on a trop longtemps entouré ce recueil de treize sentences…
Ceci étant, en apprécier la complexité suffit à cela ! C’est cette complexité, qui, bien avant les dernières découvertes sur Serpent Rouge m’avait convaincu de son « authenticité »…
Serpent Rouge est en effet un texte d’une construction particulièrement élaborée, trop élaborée pour être le fruit d’une quelconque manipulation à visée égocentrique !
Je donne dans mon ouvrage la façon dont il faut lire cet ensemble de treize maximes en démontrant comment systématiquement plusieurs niveaux de lecture se superposent et comment, chaque mot, est susceptible de renvoyer simultanément à trois sens différents.
Ces trois niveaux de lecture sont d’ordre historique (l’auteur évoque l’origine de la cache de Rennes-les-Bains et ce qu’elle contient) ; toponymique (il situe la cache, qui est décrite : c’est un tombeau…) ; enfin, alchimique…
Mais permettez moi de donner un exemple, pour être parfaitement clair dans mon propos.
L’auteur de Serpent Rouge désigne la morte dont il prétend avoir retrouvé la sépulture à Rennes-les-Bains sous le nom de « REINE du Castel ».
Une première lecture du terme – que l’on qualifiera d’historique – permet d’identifier la défunte à Marie-Madeleine, identification confirmée par bien d’autres éléments du texte. D’après les hagiographies médiévales Marie-Madeleine est en effet une princesse de sang royal. Voilà qui justifie son titre de Reine. En outre, St Jérôme, donne pour origine au mot « Magdala » le mot hébreux migdal qui signifie « tour ». Odon, à sa suite, y verra un sens historique. Tour étant au moyen-âge synonyme de château, il en conclut que Madeleine possédait un château et donc, selon le modèle féodal, était issue de la haute noblesse… Cette lecture allait prédominer durant tout le moyen-âge et l’époque moderne et explique que dans de nombreuses hagiographies de Marie-Madeleine, il est noté qu’elle fut surnommée Magdeleine par rapport au château de Magdalon, dont elle avait hérité et qu’elle habitait… D’où son titre de « REINE du Castel » dans Serpent Rouge !
A cette lecture, s’ajoute une seconde, qui la complète. C’est une lecture toponymique. « REINE du Castel » désigne dans cet autre niveau de compréhension du texte… Rennes-le-Château, qui est à envisager ici comme un point de repère à observer depuis un point bien précis des environs de Rennes-les-Bains…
Pour certains termes – à commencer par le titre même du recueil, qui est un terme alchimique et désigne, dans le même temps, une certaine portion de la Salz ! – se superpose à ces deux lectures une lecture alchimique dont la portée est difficile à déterminer… mais qui est partie intégrante d’un texte dont quiconque s’y intéressera avec application ne cessera de découvrir l’incroyable richesse…
Arcadia © La lettre de THOT, mai 2006 (3) DR.
Interview de Christian Doumergue pour la LdT.
L’Affaire de Rennes-le-Château est paru aux éditions Arqa.
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