La Tête (extrait)

Roman d’aventures encéphaliques

ou

Cinq Chapelles de Conscience

ou

Impitoyable Conquête

du « Vide »

Journal de voyage d’un explorateur

au Pays de la Pensée,

au Pays de l’Images,

au Pays du Temps,

au Pays de Rien,

au Pays du Tout,

au Pays de TT

et

en d’autres terres inconnues et incultes

Accompagné

de chants transcendantaux,

de 60 dessins évocatoires

et de 3 concepts fulgurants

A présent, juste après avoir terminé le livre « La Tête », je me sens très maladroit pour en parler, et ce n’est qu’avec beaucoup d’hésitation que je m’accepte comme son auteur.

Néanmoins, je suis conscient du fait que, si ces pages étaient un jour lues, cela supposerait qu’elles soient tombées dans les mains d’un lecteur. Or, elles ne lui sont pas destinées. Tel est actuellement mon avis.

LECTEUR :

A qui, alors, ce texte s’adresse-t-il ?

AUTEUR :

J’adore ce genre de discours ! C’est cela qui rend la vie supportable. Bien sûr, comme toute tête, elle ne s’adresse qu’à elle-même.

LECTEUR :

Alors comment se fait-il que « La Tête » soit là, devant nous ? C’est absurde !

AUTEUR :

Je suis parfaitement d’accord avec vous, cependant je vous fais remarquer que je déteste les compliments.

LECTEUR :

?

AUTEUR :

La « Tête » est là, totalement indépendante de nous, et je vous assure qu’elle ne se défend pas.

LECTEUR :

Je déteste qu’on me traite de lecteur !

AUTEUR :

?

Un jour, et j’entends par là, à un moment et en un lieu indéterminés, un individu doté d’organes des sens et d’un système autonome d’interprétation des données captées par ces organes, donc un individu déterminé, ouvre un livre.

De ce fait, pour cet individu pur et innocent qui aime et déteste, donc pour un individu essentiellement émotif – et appelons-le pour simplifier les choses, lecteur – débute le temps spécifique lié à la lecture de ce livre.

Le lecteur est, en effet, au temps zéro d’une réalité inconnue. Or, le temps relatif nul signifie la virginité totale, la pureté absolue, l’absence parfaite d’un jugement quelconque sur le passé qui, pourtant, en avançant dans la lecture, se crée.

C’est à ce moment, et seulement à ce moment, que le lecteur – et pour simplifier appelons-le : vous – que vous donc, avez tout pouvoir, un pouvoir redoutable, sur ce livre que vous venez d’ouvrir. Car c’est maintenant, en vérité, que vous pouvez encore le fermer, annihiler l’énergie d’une réalité menaçante qui se cache en son intérieur et simplement, continuer l’autre réalité, celle que vous connaissiez avant le point zéro.

Par contre, si vous continuez la lecture, et le fait que vous êtes déjà à ce paragraphe-ci indique que vous continuez, vous serez de plus en plus impliqué dans une réalité qui, en toute objectivité, est fort subjective : vous allez perdre le fabuleux pouvoir de fermer le livre et, en toute subjectivité, le livre, agissant sur votre sphère émotive, prendra sur vous un pouvoir redoutable.

TT

Des études rigoureuses et quantitatives explorant l’impact de la lecture sur l’intelligence naturelle montrent que la distinction entre la conscience du lecteur et celle du livre semble aujourd’hui dépassée. En effet, le lecteur en état d’union avec le livre, un lecteur en captivité, répond-il aux stimulations extérieures comme un individu libre ? Non Aujourd’hui il est prouvé – que non.

Afin de répondre à cette nouvelle situation, le modèle d’un livre stipulant l’existence d’une niche d’individus-lecteurs partiellement libres fut conçu. Dans ce modèle, appelé « Tête », les vecteurs conceptuels proches de l’esprit d’un tel individu sont employés : ils véhiculent de gros agrégats d’énergie. En plus, une stratégie de communication transconsciente avec le lecteur hypothétique, fondée sur la connaissance de la conscience en général, fut développée et un langage d’un nouveau type créé.

Cependant, les maintenant et ici – et disons plutôt vos maintenant et ici – évoluent, changent de place et de moment, et c’est justement là que gît l’énorme avantage de ce livre : il suit votre temps-espace ! Vous pouvez le lire n’importe où et n’importe quand, il le supporte ; ce livre a une conscience adaptative. Même en pleine lecture, l’arrêt est possible : une qualité très rare. En effet, la fermeture du livre ne le dérange pas. Cet épisode de son existence met simplement sa conscience en état d’absence du lecteur. La durée de cet état de paix est illimitée, alors que la réapparition du lecteur crée de nouveau l’union des consciences, de la vôtre et de celle du livre.

Peut-on, en conséquence, prédire que les réactions des lecteurs captés ressembleront à des réactions typiquement humaines ? Je – et, pour simplifier encore plus les choses, posons que « je » est la voix du livre – pense que non.

Andrzej Swietochowski © La LdT, août 2006.

En illustration : Andrzej Swietochowski, Veris ou le visage du Temps.