Selon le légendaire castelrennais le tableau de Nicolas Poussin, « les Bergers d’Arcadie » reste au cœur du problème de l’Affaire de Rennes et ce depuis son origine ; à l’occasion de la réédition du livre de Christian Doumergue « L’Affaire de Rennes-le-Château », les « Chroniques » proposent un extrait de son ouvrage, publié en 2004, ouvrage qui dénote chez cet auteur une véritable constance dans son argumentaire, un travail très fortement documenté susceptible de revisiter en profondeur ce que d’aucuns considère comme un « mythe » et qui est sans aucune doute le plus grand mystère d’une époque qui en compte tant…
Les Chroniques de Mars, No 8// avril 2012.
Une structure initiatique.
La rapide histoire de la création du « mythe » de Rennes-le-Château montre à quel point l’empreinte de Pierre Plantard et de Philippe de Chérisey, est déterminante dans la façon dont, à partir des années 1960, l’histoire de l’abbé Saunière a peu à peu été réécrite. Surtout, elle met en valeur un fait. C’est que loin d’être gratuite, ou mégalomaniaque, comme on le dit systématiquement, cette reconstruction, qui est organisée, suit une logique indéfectible et adopte un mode de fonctionnement bien défini…
Du milieu des années 1960 au début des années 1980, les « publications » successives de Pierre Plantard suivent un schéma que l’on pourrait qualifier d’initiatique. Chaque ouvrage postérieur développe ce qui était à peine suggéré dans l’ouvrage antérieur, et ne pouvait être lu, et compris, qu’à la lecture de la nouvelle publication. Ainsi, pour reprendre le dernier exemple donné, le fait que Jésus ait pu être à l’origine de la dynastie mérovingienne, est bien implicitement présent dans La Race fabuleuse, mais insoupçonnable ― ou presque ― si l’on ne connaît les conclusions qui sont celles de L’Enigme Sacrée. Et l’on trouve déjà cette idée, mais très discrètement exprimée, à travers une note de bas de page sur la Salette dans L’Or de Rennes.
Ce principe est le principe régisseur de l’ensemble des « productions » du Prieuré de Sion, lorsqu’on les analyse l’une par rapport à l’autre, selon la chronologie de parution. L’ensemble est conçu comme un tableau, auquel chaque nouvelle touche vient apporter un nouvel éclairage. C’est très probablement pour cette raison que Gérard de Sède a placé en exergue de La Race fabuleuse cette citation de Claude Lewis Strauss : « Chaque histoire s’accompagne d’un nombre indéterminé d’anti-histoire dont chacune est complémentaire des autres ».
De fait, si La Race fabuleuse n’a, au premier abord, aucun lien formel avec l’Affaire de Rennes-le-Château, il s’agit en réalité d’un élément clé dans la série de « révélations » entamées par Pierre Plantard.
Non seulement, La Race Fabuleuse développe la trame dynastique placée au centre du mystère Saunière par Plantard, mais surtout, elle apporte à l’énigme de Rennes ― jamais nommée ― une nouvelle pierre, déjà évoquée précédemment, mais non mise en exposition, Les Bergers d’Arcadie de Nicolas Poussin, et une pierre entièrement neuve : celle du Tombeau d’Arques.
La façon dont le « Prieuré de Sion » va immiscer la toile de Nicolas Poussin dans l’Affaire de Rennes est un exemple particulièrement prégnant de sa conception d’une révélation progressive de son « savoir ».
La première mention en est faite dans le texte signé Madeleine Blancasall, lorsqu’il est précisé que Saunière avait acquis, lors de son séjour à Paris, une réplique d’une toile de Poussin.
Le nom de cette toile ― Les Bergers d’Arcadie ― sera donné deux ans plus tard d’abord dans un nouvel apocryphe déposé à la Bibliothèque nationale le 27 avril 1967, Les dossiers secrets d’Henri Lobineau, puis par Gérard de Sède dans L’Or de Rennes.
L’opuscule signale que Nicolas Poussin avait connaissance d’un secret qu’il a codé dans deux de ses tableaux : Les Bergers d’Arcadie et Le Roi Midas. L’Or de Rennes est beaucoup plus silencieux. Pourquoi Saunière a-t-il acquis cette toile ? Quel est son rôle et sa place dans l’Affaire ? De Sède n’évoque aucune de ces questions. Ce n’est en effet que dans La Race fabuleuse que les interrogations que pose l’achat d’une copie du tableau seront pour la première fois développées au cours d’un chapitre intitulé « Le secret de Poussin » !
L’auteur présente la toile comme une de ces œuvres d’où émane une impression de mystère « dans la mesure où leur signification nous échappe ». Cette impression est mise en rapport avec une lettre de Louis Fouquet à son frère Nicolas à propos de son entretien avec Nicolas Poussin. La missive est citée dans son intégralité, et un passage en est plus particulièrement souligné :
« Luy et moi nous avons projeté certaines choses dont je pourrai vous entretenir à fond dans peu, qui vous donneront par monsieur Poussin des avantages que les roys auraient grand peine à tirer de lui, et qu’après lui peut-être personne au monde ne recouvrera jamais dans les siècles advenir ; et, ce qui plus est, cela serait sans beaucoup de dépenses et pourrait même tourner à profit, et ce sont choses si fort à rechercher que quoi que ce soit sur la Terre maintenant ne peut avoir une meilleure fortune ni peut être égale. »
Afin que le secret ne disparaisse pas avec lui, Nicolas Poussin l’aurait dissimulé dans un de ses tableaux, Les Bergers d’Arcadie, dont De Sède suggère qu’il renvoie à un paysage réel. « Il n’est guère facile de découvrir où cette scène se situe ni à quoi elle se rapporte. Pourtant, l’un des biographes du peintre souligne : “ le soin minutieux qu’a Poussin de reprendre des paysages réels dans ses tableaux”. »
La clef de cette allusion est donnée dans les deux derniers paragraphes du « Secret de Poussin » :
« Aujourd’hui, Les Bergers d’Arcadie sont à Paris, au musée du Louvre, mais le public ne peut les voir : ils sont à l’abri dans une réserve. Si pourtant l’envie vous tenaille de contempler l’immortel chef d’œuvre de Poussin, quittez Paris et dirigez-vous vers la haute vallée de l’Aude, jusqu’à Alet. A quelques kilomètres de là, engagez-vous sur la R. N. 613, jusqu’au point précis où cette route coupe le méridien de Paris. Vous êtes à la côte d’altitude 297, sur un petit pont, sur le territoire de la commune d’Arques. De là part, à droite, un petit sentier long à peine d’une vingtaine de mètres. Prenez-le car au bout, voici, entourée de ses arbustes, la tombe des Bergers d’Arcadie… »
Gérard de Sède se contente alors de souligner que si la tombe d’Arques est strictement identique à celle du tableau de Poussin, la même similitude rapproche le paysage que l’on observe depuis la sépulture, et celui dépeint par Poussin dans le fond de sa toile…
Christian Doumergue – L’Affaire de Rennes-le-Château (extrait) – Les Chroniques de Mars No 8, avril 2012.