UNE SI BELLE TERRE – GAIA LA VERTE
« Dans le monde d’après, des ombres assagies croisaient en silence, à la volée, de drôles de personnages mutiques aux regards luisants et pénétrants – pour quelles raisons ces lumières sombres à l’horizon déclinaient-elles maintenant avec tant d’incidence ? » écrivait Mia dans son journal de bord le dix-huit mai 2058, au cours de la phase ultime de terraformation de la planète Mars.
Le 31 mars 2050, ma petite fille Mia, âgée de trente-sept ans, vient de rentrer de la station spatiale « Mars 12 » à l’issued’un séjour de douze mois. Mia est en effet la cosmonaute de la famille. De ce long voyage elle a rapporté des multitudes de photos et vidéos de notre planète.
Surprise !! Gaïa, notre terre, apparait en bleu mais aussi en vert.
Jamais je n’aurais cru cela possible. Quand je pense qu’en 2020, la déforestation était la règle, les incendies ravageurs et les espaces boisés de plus en plus restreints. Heureusement, les esprits ont su se réveiller notamment grâce aux enfants. En effet, ce sont eux qui ont dit aux adultes : « arrêtez de produire toujours plus. On n’a pas besoin de tout ça. Et vous, vous n’avez pas besoin de gagner toujours plus d’argent. A quoi ça vous sert ? Etes-vous heureux ? ». Et les adultes ont commencé à réfléchir. Le bonheur ? Mais bien sûr qu’ils étaient heureux puisqu’ils avaient tout ce qu’ils voulaient ! Cependant, une petite voix insidieuse commençait à se faire entendre. « Es-tu certain que tu es heureux ? Quand as-tu ri pour la dernière fois ? Quand as-tu embrassé tes parents ? Quand as-tu pris le temps de regarder pousser les herbes et s’épanouir les fleurs ? » Et les réponses sont arrivées, brutales. Les adultes ne riaient plus, ne savaient plus jouer, ne savaient plus écouter ni regarder. La seule chose qu’ils savaient faire, c’était de mettre la planète en danger, avec toutes leurs entreprises polluantes et tous les besoins inutiles qu’ils créaient pour les hommes. Besoins dont ils se moquaient éperdument, leur seul objectif étant remplir leur portefeuille qui débordait. C’est alors qu’ils ont commencé à comprendre ce que leur disaient leurs enfants. Il fallait que ça change. Ils étaient en train de détruire le sol qu’ils devaient transmettre à leurs enfants à cause de leur amour viscéral pour l’argent. Mais eux, comment s’aimaient-ils ? Mal, très certainement !
Cependant, les adultes avaient beaucoup de mal à mettre en pratique leurs nouvelles idées (car ils s’étaient appropriés les idées de leurs enfants). Aussi eurent-ils la sagesse (enfin !) de déléguer les changements à venir à leur jeunesse, beaucoup plus apte à les réaliser. C’est ainsi que des arbres, par millions, ont pu être replantés, que les façades des immeubles ont pu être végétalisées ainsi que tous les murs des villes. D’ailleurs, ces murs, véritables chefs d’œuvre de végétaux et d’art de la rue, embellissaient visuellement et artistiquement les cités. La couleur verte se déclinait également sur les toitures, transformées en potagers ou en jardins. Finies les villes grises et horribles !
Fort heureusement, Flora, mon arrière-petite-fille, n’avait pas connu les années 2020. Née en 2043, nos modes de vie avaient drastiquement changé.
« Raconte encore, Maminette, raconte comment maman est devenue cosmonaute » me réclamait sans cesse la petite fille.
« Ta maman a exprimé le souhait de devenir cosmonaute lorsqu’elle n’avait que deux ans et demi. C’était en 2020 lorsqu’elle avait visité la cité de l’espace à Toulouse. Bien qu’extrêmement surpris par ces mots, nous l’avions encouragée. Elle n’était encore qu’une toute petite fille. Elle aurait bien le temps de choisir son futur métier. Mais Mia n’avait jamais changé d’avis. La tête dans les étoiles, son héros se nommait Thomas Pesquet, le cosmonaute français de l’époque. En grandissant, elle avait lu tous ses livres, assisté à toutes ses conférences, le suivant même parfois pour voir décoller la fusée qui l’emporterait vers le cosmos. Nous avions aussi participé, à notre petite échelle, à développer son appétit insatiable pour l’astronomie, lui offrant livres, téléscopes…Sa maman lui avait même confectionné une tenue de cosmonaute pour ses cinq ans. » Flora restait toujours songeuse quand je lui racontais l’histoire de sa maman. Elle rêvait à son tour. De quoi ? Peut- être d’étoiles, peut-être pas.
A sept ans, Flora, l’enfant de 2050 ne ressemblait en rien à celle de 2020, sa maman. Vêtue de son T-shirt aux couleurs changeantes en fonction de la luminosité et de son pantalon qui s’auto-nettoyait, elle s’étonnait toujours lorsqu’elle observait la manière dont j’étais habillée. J’avais conservé une quantité de vêtements « d’avant », ceux qui ne se lavaient pas tout seuls (j’avais conservé ma vieille machine à laver, antiquité que les jeunes d’aujourd’hui ne connaissent pas). Ils ne changeaient pas non plus de couleur et leurs matières ne ressemblaient en rien à celles de maintenant. Il fallait les repasser car les tissus se froissaient. Mon fer à repasser était également devenu une antiquité. Ma maison, quant à elle, ne ressemblait pas aux logements d’aujourd’hui. Je vivais toujours au même endroit et rien n’avait changé dans mon intérieur. Bientôt un musée des années 2020 ?
Flora, quant à elle, vivait dans un appartement à Lilypad One. C’était une ville sur l’eau, une sorte d’île artificielle, au large de Monaco. Beaucoup de ces Lilypad (nénuphar en anglais) avaient poussé comme des champignons dans les années 2035 pour loger les habitants les plus nantis lorsque le niveau des mers avait augmenté et menacé les côtes. Ces petites villes végétalisées disposaient de tout : travail, écoles, loisirs. Aucune insécurité n’y régnait. Lorsque ma petite-fille Mia m’y avait emmenée pour la première fois, tout m’était apparu tout simplement sublime. Et les appartements ? Il suffisait de marcher sur le plancher cinétique pour produire l’énergie nécessaire au logement. Les vitres étaient auto-nettoyantes. Le miroir de la salle de bains affichait votre taille et votre poids ainsi que les médicaments que vous deviez prendre. Les écrans souples de la télévision projetaient sur tous les murs. Et le frigo ? Il tenait à jour la liste des courses et les quantités en stock. Dès qu’il manquait quelque chose, il l’affichait et vous demandait si vous vouliez le commander. Si oui, vingt minutes plus tard, un drone vous le livrait. Plus besoin de se casser la tête ! Mia et Flora détenaient même un sac à main indiquant ce qu’elles avaient oublié d’y mettre.
« Mama mia, et la mémoire, à quoi elle nous sert ? »
Quant à ma fille Clara, elle vivait sur la côte Atlantique, dans un de ces « amphibious », maisons qui s’élevaient lorsque le niveau de l’eau augmentait. Par contre, l’intérieur de sa maison ressemblait trait pour trait à celui de l’appartement de Mia. Ce que Clara avait de plus ? Une large bande de terre en Bretagne qui lui permettait d’assouvir sa passion pour la nouvelle agriculture. Plaisir de cultiver, de récolter et d’en cuisiner amoureusement les produits. D’autre part, elle avait mis au point une pâtisserie extrêmement savoureuse, à base d’algues et de farine de criquets : la « MAMAMIA » qui attirait des centaines de touristes dans sa petite ferme chaque année.
« Faut vivre avec son temps, maman » me disait-elle. « On n’est plus en 2020. Je ne comprends pas que tu refuses le modernisme pour ta vie quotidienne et les transports. C’est vraiment pratique et on gagne tellement de temps. »
« Tu sais Clara, moi j’ai déjà vécu la révolution informatique, et bien d’autres révolutions encore. Lorsque toutes ces nouvelles choses sont arrivées, j’étais déjà bien vieille pour changer encore mon mode de vie. Je préfère continuer avec ce que je connais. Mais je comprends bien qu’il fallait modifier nos modes de vie pour que notre planète puisse perdurer pour l’humanité. Mia m’a montré les photos prises depuis la station spatiale. On y voit une terre bleue et verte. C’est un miracle que votre génération ait réussi une telle transformation, rendant à notre planète une nature que nous avions saccagée, la développant même davantage et permettant ainsi à l’homme de continuer à y vivre. Même si d’autres planètes sont en cours de colonisation, en partie grâce au travail de Mia (qu’est-ce que je suis fière d’elle !), je ne suis pas sûre que beaucoup d’êtres humains souhaiteront s’y installer. »
« Moi, je pense que si car l’homme a toujours été épris de nouveautés, de nouvelles connaissances. On verra bien combien seront prêts à tenter l’aventure. Mais, je suis d’accord avec toi, ce ne sera plus parce que la terre sera devenue inhabitable mais parce qu’ils voudront vivre autre chose ».
Ce que je ne disais pas, c’est que je le leur laissais, moi, leur Hyperloop, ce train qui pouvait relier Marseille à Paris en cinquante minutes. Je leur laissais aussi leurs robots cuisiniers, leurs drones livreurs…
Ce que je ne leur disais pas, c’est qu’avant 2020, on ne sortait pas dans la rue avec cette bulle transparente autour du visage, cette bulle qui vous protégeait des virus.
Mais ce qu’ils savaient tous, c’était que mon neveu Nathanaël était le concepteur de cette bulle de vie. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que ce qui leur permettait de respirer au travers de cette bulle, c’était cette particule azurée conçue par Opale, la compagne de Nathanaël.
Ce qu’ils ne savaient pas, c’était que, sans cette bulle, aucun être humain n’aurait survécu sur Gaïa la verte !
En 2062, la terraformation de Mars terminée, Mia s’y est installée, emmenant Flora avec elle. Elle voulait que sa fille, alors âgée de dix-neuf ans, puisse enfin vivre sans bulle autour du visage, librement et qu’elle puisse entrer en contact avec ces êtres mutiques, ces êtres venus de l’ombre dans un vaisseau de lumière. Une nouvelle dimension !
Exaltée, Flora ambitionnait d’établir le contact avec ces habitants de planètes inconnues. Dans ce but, elle avait participé aux formations au langage des signes, appris la gestuelle des non-voyants, des malentendants. Elle lisait et écrivait la plupart des langues anciennes, toutes celles retrouvées en des cavernes profondes lorsque des hommes, pour fuir la chaleur devenue étouffante en surface, avaient creusé des villes souterraines. Les signes qu’ils avaient alors découverts ne pouvaient être compris par personne à cette époque. Ce ne fut que bien plus tard que des experts réussirent à les décoder pour enfin les comprendre. Ce qu’ils en apprirent les laissèrent stupéfaits. Ce n’étaient pas des terriens qui avaient écrit cela ! Comment était-ce possible ?
Ce possible, la jeune fille souhaitait ardemment arriver à l’élucider, après être entrée en contact avec « les autres », ceux qui peuplaient notre univers.
Planète Mars, le 31 mars 2083
Plus de vingt ans ont passé. A l’aube de ses quarante ans, Flora, en compagnie de Mia qui vient de fêter ses soixante-dix ans, attend l’arrivée de Ria et Galatéa, deux habitants de planètes lointaines avec lesquels, par l’intermédiaire de Flora et de son équipe de linguistes, les humains de Mars, ont pu établir le contact. Tous les dix ans, Ria et Galatéa viennent leur rendre visite et leur parler de leur mode de vie, si différent du leur.
« Maminette, mamie Clara, ce que j’aimerais que vous puissiez être avec nous » pensait Flora, de temps en temps.
Si, d’habitude, son souhait restait sans réponse, ce ne fut pas le cas ce jour-là. En effet, une voix silencieuse, empreinte de douceur lui parvint :
« Flora, nous sommes avec vous. Ne venons-nous pas vous rendre visite tous les dix ans ? Nous, les êtres silencieux, dans nos vaisseaux de lumière, nous sommes ici et là-bas, aujourd’hui et demain. Nous sommes en visite sur Mars mais aussi sur Gaïa la verte, inscrivant nos messages dans la roche pour vous indiquer le chemin jusqu’à nous, guidant vos ombres enfin assagies vers la lumière sombre d’une autre vie »
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