Les Cathares ne furent pas, en France, la seule communauté religieuse à être taxée d’hérésie au point de faire l’objet d’un massacre organisé. Évoquons le sort étrangement semblable d’une autre communauté, moins connue, les Vaudois, installée principalement dans le Luberon, en Provence.
PREMIERS PAS…
Vers 1170 un riche marchand lyonnais, Pierre de Vaux dit Petrus Valdo, créa la « confrérie des pauvres de Lyon. » Il prêchait pour la pureté de la religion, et voulait l’apurer et la simplifier pour la rendre accessible et compréhensible par les plus démunis. Une telle doctrine trouva très vite de nombreux adeptes, qui prirent le nom de « Vaudois. »
Les Vaudois priaient en langue commune et non en latin, ils possédaient leur propre Bible traduite en franco-provençal, langue parlée communément à Lyon à cette époque. Ils réduisirent les sacrements au minimum : le baptême des adultes et la communion. L’Eglise ne tarda pas à réagir, craignant de voir les Vaudois propager l’hérésie du catharisme. En 1184 elle excommunia Petrus Valdo et chassa ses disciples qui furent dispersés, trouvant refuge principalement en Italie dans le Piémont.
150 ans plus tard, il y eut dans le Luberon, en Provence, un grand mouvement de populations. Les seigneurs qui voulaient défricher la montagne pour la rendre cultivable, principalement afin de produire du vin dont ils étaient friands, firent appel à ce que nous nommerions aujourd’hui de la « main d’œuvre immigrée », à savoir des montagnards du Piémont. Il y avait parmi eux de nombreux Vaudois. Leur religion s’établit donc solidement dans le Luberon, ce qui évidemment ne fut pas du goût des papes, qui venaient de s’établir en Avignon, à deux pas de là. Déclarés hérétiques et pourchassés, les Vaudois vinrent surpeupler les prisons pontificales, et les premiers bûchers s’allumèrent… Mais les Vaudois résistaient, fidèles à leur devise « mordicus. » La croisade contre les Cathares et les Albigeois était terminée, la croisade contre les Vaudois allait commencer et durer plus de deux siècles, marqués par la terreur, le feu et la mort…
…ET APOTHEOSE
Entre 1528 et 1545 une apothéose sanglante marqua la fin de l’hérésie vaudoise. Deux noms allaient illustrer de sinistre façon le bain de sang final : Jean de Roma, Dominicain inquisiteur, et Jean Meynier, seigneur d’Oppède et bras armé en Provence du bon roi François Ier.
Pendant cinq ans, de 1528 à 1532, Jean de Roma fut synonyme d’épouvante pour les habitants du Luberon. Inventeur de nouvelles formes de torture, prétendant pour se justifier auprès du roi que la torture par le feu « est plus facile à guérir que la torture commune », Jean de Roma fit même dresser des bûchers pour les Vaudois morts « prématurément. »
François Ier, un moment inquiété par la situation, céda lui aussi à la cruauté, peut-être sous l’influence de la très sainte Eglise catholique, et décida de punir les hérétiques. Il faut dire aussi que le roi avait été très affecté par l’affaire dite « des placards. » En 1534, des affichettes dénonçant les abus de la messe papale avaient été placardées partout, jusque sur la porte de la chambre du roi. Ces manifestes imprimés clandestinement par Pierre de Vingle, imprimeur lyonnais exilé en Suisse, étaient l’œuvre d’un pasteur de Neuchâtel, originaire de Lyon lu aussi, Antoine de Marcourt. François Ier avait dès lors considérablement durci sa position à l’encontre des protestants et de toute apparence de réforme de la religion.
Le village d’Oppède-le-Vieux
Le 1er janvier 1545 le roi permit l’application d’un décret pris par le parlement d’Aix, ordonnant la répression, connu dans l’histoire sous le nom « d’arrêt de Mérindol. » Jean Meynier entra alors en scène en prenant la tête d’une troupe de 4000 hommes, composée des armées royales et pontificales, appuyée par l’artillerie.
Le 16 avril 1545 commença la « pacification » du Luberon. Les membres du parlement d’Aix s’étaient installés au sommet des tours d’Oppède pour jouir du spectacle, poussant des cris d’allégresse chaque fois qu’un village s’embrasait. Le 21 avril tout était fini : le seigneur d’Oppède et ses troupes avaient détruit 22 villages et 900 fermes, tué près de 3000 Vaudois, en livrant les femmes à l’armée au préalable, et déporté les survivants aux galères. Aujourd’hui encore, certains des lieux où furent parqués ces prisonniers se nomment toujours « la Galère. » Durant plusieurs jours la Durance, coulant sur le flanc sud du Luberon, devint rouge du sang des victimes. Les évêques de Cavaillon et de Carpentras se réjouirent de « l’heureuse issue de l’expédition. »
Le blason de Jean Meynier
Certains villages disparurent pour toujours. Ainsi le village de La Tour de Sabran, apparaissant sur les cartes anciennes, se réduit-il aujourd’hui à un simple lieu-dit, avec une seule maison, entre les communes de Lagnes et Robion. Sur le côté sud du Luberon le village de Mérindol, particulièrement martyrisé, a conservé ses stigmates. Un sentier d’interprétation, parsemé de panneaux didactiques rappelant le massacre, permet d’accéder jusqu’aux ruines du château, où s’élève le mémorial perpétuant le souvenir des Vaudois. La légende veut que seul le cuisinier du château ait survécu, en se cachant dans un réduit aménagé dans les caves… Il aurait continué à habiter le castel en ruines durant plusieurs années. Malgré sa faible altitude, le site du château de Mérindol offre une vue étendue sur la campagne environnante ; par beau temps, la vue porte même jusqu’à la mer.
LE TEMPS DU CHÂTIMENT
François Ier, horrifié par les tueries qu’il avait pourtant ordonnées, mourut d’une septicémie le 31 mars 1547, avant d’avoir pu faire châtier les coupables. Le massacre des Vaudois a terni le bilan de son règne. Son fils Henri lui succéda, sous le nom d’Henri II, et gracia les Vaudois en 1551. Les responsables passèrent en jugement devant le parlement de Paris. Jean Meynier s’en sortit avec les honneurs… Comme il fallait un « lampiste », pour l’exemple on pendit le procureur général Guérin. Mais le destin veillait : Meynier mourut en 1556, empoisonné par un médecin protestant. On dit que son trépas fut « délicieusement douloureux. ». Quant à Jean de Roma, disparu de la scène depuis 1532, on sait qu’il mourut lui aussi dans d’atroces souffrances, le corps couvert d’ulcères, et dévoré par les remords.
Le blason de Jean Meynier orne toujours le château d’Oppède, à la clé de voûte de la tour : « d’azur, à deux chevrons d’argent ; le premier failli à dextre, le deuxième à senestre. » Ce qui signifie que chacun des chevrons est interrompu, comme brisé net, laissant apparaître la couleur du champ.
Curieusement, une branche collatérale de la famille Meynier s’établit dans le Pilat au XVIIIe siècle, devenant les seigneurs du château de Chanson, près de Chavanay, à la limite entre Forez et Lyonnais. C’est ce qu’explique l’abbé Batia, dans ses « Recherches historiques sur le Forez Viennois. » Au siècle suivant, Sophie Meynier prit sous sa protection le village de Verlieu, dont elle obtin l’érection en paroisse en 1842. Verlieu, qui sur le plan administratif dépend de Chavanay, présente la particularité d’avoir sa propre église et son propre cimetière. C’est précisément dans ce cimetière qui fut inhumé en 1843 le dernier Meynier du Pilat ; son blason, presque identique à celui d’Oppde (cette branche se différenciait par le fait que les deux chevrons étaient faillis à senestre), ornait son tombeau, qui a disparu aujourd’hui.
Patrick BERLIER – Les Chroniques de Mars No 12 – septembre 2013.
PHOTOS Patrick BERLIER ©
MARS EYE 2013
En 2013, Marseille est Capitale Européenne de la Culture, les éditions ARQA qui fêtent cette année leurs dix ans d’activités se devaient dans la continuité du travail déjà accompli de proposer à leurs lecteurs plusieurs ouvrages de qualité, avec des auteurs reconnus et surtout avec la présentation de nombreuses recherches et documents d’archives inédits. Avec les livres de Georges COURTS, Gino SANDRI et la Trilogie de Gil ALONSO-MIER sur les guérisseurs spirituels de la fin du XIXe siècle, Vignes, Schlatter, et Philippe de Lyon, voilà chose faite.
En souhaitant donc à tous nos lecteurs de très bonnes lectures !