Les Chroniques de Mars // Daniel, ton livre possède plusieurs chapitres très différents dans les thématiques abordées, – (nous laisserons le soin à nos lecteurs de se reporter au sommaire pour voir de quoi il en retourne…) – Cependant un chapitre particulier sort vraiment du lot, tant tes recherches personnelles sur le sujet sont éminentes. Le terme « dans le secret des Loges » fait bien sûr référence à la notion de secret, ou tout au moins à la discrétion élémentaire dispensée dans les Loges, mais la « Franc-maçonnerie oubliée » est un sujet peu banal qui fait au premier chef référence à un personnage bien méconnu, je veux parler de George Payne, peux-tu nous dire qui était ce personnage d’exception… et en quoi il est le pivot de ta démonstration ?

Daniel NAPPO // George Payne (1685-1757) franc-maçon écossais, Stuartiste, deuxième Grand Maître de la prestigieuse toute nouvelle Grande Loge d’Angleterre (Grand Loge de Londres et de Westminster), fut Grand Secrétaire de l’Echiquier (ministre du Trésor) appointé par le Roi en 1746, donc à l’égal des Pairs du royaume, n’étant pourtant non noble d’extraction, seulement fils de famille bourgeoise, lettré, archéologue, « esquire » écuyer. Très souvent méconnu dans les milieux maçonniques actuels, le nom de Payne demeure simplement associé à ceux d’Anderson-Désaguliers-Wharton, concepteurs et commanditaires des Constitutions (dites d’Anderson) de 1723.

Outre une destinée de Grand serviteur du Royaume Orangiste, rien ne fait du Vénérable-frère écossais Payne, un acteur essentiel de la «création » de la franc-maçonnerie spéculative voyant le jour en 1717. Un auteur contemporain, le célèbre franc-maçon, Robert Ambelain (1907-1997) voit les choses clairement. Dans son ouvrage « La Franc-Maçonnerie oubliée » paru aux éditions Laffont en 1985, l’auteur l’atteste, rattachant à George Payne (Ambelain écrit Georges avec un « s ») non plus à Anderson, mais à une Constitution plus ancienne ou une Compilations de textes, concernant la Confrérie des francs-maçons et ayant valeur d’Ordonnances Générales, dites aussi « Gothiques » parce qu’issues des Old Charges du Moyen-âge. Si Anderson reprit une partie de cette Old Constitution, imprimée et datée de 1722, il ne manqua pas de la faire disparaître en 1723 au profit des siennes et d’en dévoyer l’origine écossaise, bien trop catholique et notamment pour que Désaguliers et Wharton, puissent inféoder l’écossisme nationaliste, au pouvoir Orangiste-anglican. Le titre du chapitre XIII de l’ouvrage d’Ambelain est on ne peut plus clair quant au subterfuge :

« La rupture avec la Tradition. Irrégularité de la Grand Loge de Londres se répercutant sur la Grande Loge d’Angleterre, puis sur la Grande Loge Unie d’Angleterre ».

Pour autant, il restait à faire de Payne le chaînon manquant entre Anderson et la franc-maçonnerie établie bien avant lui. Voir en quoi l’histoire de la Tradition maçonnique fut modifiée dans le détail après 1717 et pourquoi ? Car si Ambelain signale un changement dans cet héritage acquis, il n’en démontre, ni n’en démonte les rouages à aucun moment, il en démasque seulement les enjeux politiques de l’époque et ses conséquences jusqu’à aujourd’hui.

Guénonien assumé, je me suis aussi posé la question de savoir ce que pensait ou avait pu évoquer cet autre illustre maçon sur le sujet. René Guénon aborda la question de 1717 en précisant qu’on se devait de faire remonter l’origine de la franc-maçonnerie à l’initiation Templière (via les Rose-Croix) avec Kilwinning pour origine temporelle (1140), spirituelle et géographique (l’Ecosse médiévale). Le ton était donné, la (re)constitution du phylum évolutif valait la peine d’une profonde révision en suivant et complétant les recherches de Robert Ambelain sur la franc-maçonnerie oubliée, disons plutôt : une franc-maçonnerie sciemment et patiemment dissimulée, réinterprétée, telle une partition (andersonienne) parfaitement orchestrée depuis Londres. Chemin faisant, d’autres jalons d’un écossisme antérieur à 1717-1723, prirent place. Ainsi les Loges (militaires) de Saint-Germain en Laye attestées en France depuis 1688-89, la Mère-Loge Saint Jean d’Ecosse à l’Orient de Marseille ayant conservé, bien que signifié en 1812, un rite écossais de Tradition rejetant le modernisme andersonien, le vieil Ashmole un antiquaire écossais initié en 1641 proche ami de Payne, les discours du Chevalier Ramsay, et surtout l’existence de la Mère-Loge Kilwinning (MK0) près de Glasgow, dont nous avons retracé l’historique singulier davidien et médiéval. Nous aurons le privilège d’y revenir. Mais, non content de proposer une autre filiation que « l’officielle », toujours retenue à ce jour, nous nous sommes attaqués au monument des Constitutions d’Anderson. Il existe encore des Obédiences faisant prêter serment, non sur l’un des 3 livres sacrés des religions, mais sur le texte des Constitutions de 1723 tel un principe de la tradition des loges spéculatives anglaises. Nous avons parfois fait remarquer de façon maladroite et excessive, qu’il convenait autant de prêter serment sur « Mein Kampf », tant les signataires d’un tel document se voulant gravé dans le marbre londonien, nous paraissaient suspects et factieux ! Regrettant l’amalgame, nous souhaitions seulement frapper fort, attirer l’attention sur ce qui fut à n’en pas douter le coup du siècle. Car Anderson, Désaguliers et surtout Wharton, noble Duc, ambitieux franc-maçon frais émoulu, autoproclamé Grand Maître de la Grande Loge d’Angleterre dans des circonstances épiques à la suite de Montagu, n’avaient d’autre but que de proposer à leur Roi, moyennant finances et privilèges, de mettre la main sur la puissante et vénérée maçonnerie écossaise, institution jugée fautive et dévoyée, puisque bien trop catholique et très favorable à l’ennemi français, à leurs yeux. Rappelons que Wharton, dont le nom figure au bas des Constitutions d’Anderson, joueur invétéré, libertin, alcoolique notoire, réfugié en France puis en Espagne, fit en son temps l’objet d’une cérémonie maçonnique exécratoire (gants et tabliers symboliquement brûlés en Loge) au su de ses trahisons et comportements jugés répréhensibles. Nous en avons établi le déroulement des faits, documents à l’appui. Par ailleurs l’étude dans le détail de la Constitution Payne, rarissime document intégral, dont une partie est présente dans les Constitutions d’Anderson permet la comparaison des deux, livrant bien d’autres surprises de taille. Chez Anderson, le serment maçonnique de l’apprenti initié n’est en rien celui utilisé par Payne, la référence à Hiram remplace amplement celle à Noé, tout rappel de l’enseignement scolastique y a disparu, remplacé par des chants en guise d’ovation à la noblesse londonienne.

Le plan habituel des Constitutions de 1723, lui-même déroge aux principes ancestraux des Old Charges jadis toujours construit en 2 parties (1/historique ; 2/ Règles et devoirs) et que Payne respecte. D’une certaine manière on peut dire qu’avec Anderson, c’est la Maçonnerie des Tavernes qui au XVIIIe siècle s’impose à l’Europe et au-delà, détrônant l’écossisme des temples vieux d’une tradition initiatique de plusieurs siècles, déjà relativement développée par la marine écossaise et irlandaise. Malgré quelques résistances et tentatives de reprises en main, George Payne fut contraint d’abdiquer en demeurant le simple spectateur des événements conduisant à l’enchaînement de la Licorne écossaise, car les agissements d’Anderson-Désaguliers-Wharton étaient directement cautionnés par l’autorité royale, sans doute George Payne en fut-il largement gratifié.

@ suivre…

Entretien avec Daniel NAPPO # 2 // Les Chroniques de Mars » © – juillet 2021.


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