« La cérémonie »
« C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar. En l’absence du maître il avait pu poursuivre grâce à une faille dans la matrice ses recherches anthropogéniques en continuant de mener à bien ses expérimentations sur les Dioscures. ». Les récits de l’ancien temps n’étaient que les prémices de notre époque, et nous n’avons pas su écouter leurs avertissements. Chaque seconde n’appartient déjà plus qu’au passé. Les écrits sont finalement la seule trace de notre passage sur Terre. Le monde s’est perverti, la soif de compréhension et de pouvoir n’a cessé de conduire l’Humanité à sa perte. Ceci créa finalement une chose suffisamment immonde pour que, tous, se tournent vers des pratiques barbares afin de modifier leur propre potentiel. La vie n’a jamais cessé deposséder sa beauté, par sa fin. Toute chose ne s’apprécie que par son aspect éphémère, et les Hommes d’aujourd’hui l’ont oublié.
L’augmentation de notre potentiel est devenue un principe de survie en société. Le monde extérieur n’est désormais peuplé que d’étranges bêtes à formes démoniaques, toutes augmentées par le biais de moyens technologiques avancés. L’immortalité est devenue le Graal que chacun cherche à atteindre, mais qu’aucun n’a encore pu expérimenter. Notre professeur de philosophie nous enseignait d’anciens récits d’expériences menées tout au long de l’évolution humaine, par des chercheurs que tous appellent « fanatiques ». Des chercheurs emplis de cupidité, voulant défier les Dieux et les limites du corps Humain, puis du temps. Les croyances aux différentes religions n’ont jamais été aussi faibles. La poursuite de l’immortalité n’est devenue que soumission aux désirs des démons. Seul un petit groupe caché dont je fais partie, loin de l’enfer qu’est devenu la Terre, n’a gardé la foi.
- Monsieur Alex Murphy, cessezdonc de rêvasser ! Regarderpar-delà la fenêtre ne fera de vous personne ! Vous êtes déjà très spécial, monsieur Murphy, n’en usez pas trop.
Je ne suis qu’un orphelin que l’on a emmené dans ce qu’ils appellent tous le « dernier jardin ». Je ne souhaite être ou devenir personne. Le monde extérieur est ravagé par les plus puissants, et nous étudions d’anciens récits pour comprendre où a eu lieu la fracture. Si le monde est vraiment si laid, cessons de nous enfermer dans des facultés à lire d’anciens écrits dépassés.
- Enfin les cours de finis! Alex, ta cérémonie est à quelle heure ? On a le temps d’aller boire quelque chose ?
- Vers dix-sept heures, je crois. Et oui, chocolat chaud ? L’arrivée de l’enfant de dieu perturbe tout le monde ici, c’est fou.
- Ne sois pas si nonchalant, et un chocolat chaud ! Et oui carrément, ils te prennent en grippe à cause de tes yeux. Mais j’espère que ce sera bientôt fini…et que tu pourras passer de l’autre côté.
Emma Arthur, ma meilleure amie. Le début de mon existence fut marqué par un père voulant m’optimiser pour faire de moi un Méta. Ce qui m’a valu d’être modifié, avant que celui-ci ne soit assassiné et que je sois placé ici. Considéré comme un monstre par tous ces enfants dénués de toutes pensées, autre que celle enseignée et celle de leur dieu. Excepté cette fille-là qui avec le temps, était devenue la seule personne pour laquelle je comptais.
Ma cérémonie n’était plus dans très longtemps, le fait d’être modifié ne me rassurait pas. Ce test ne fonctionne que sur les êtres Humains purs. Une fois la cérémonie passée, nous sommes transférésdans un autre jardin, « l’autre côté ». Peu connaissent la réelle fonction de celui-ci. Des rumeurs laissent entendre à un jardin composé d’adultes et de lourds secrets. L’envie de quitter ce lieu me hante depuis maintenant bien longtemps. Je veux voir le monde et la beauté de son environnement que l’on nous décrit comme immonde.
Le chocolat chaud était bon. Cette habitude va peut-être bientôt s’arrêter. L’immortalité, le péché ultime, mais pourquoi ? J’aimerais voir le monde et sa vicissitude part de-là les livres que je peux lire. La fin de l’Humanité ne tardera plus désormais. La course à l’immortalité provoquera la fin de l’Homme en toute sa splendeur.
J’attendais dans la grande salle, faite d’un plafond couvert de fresques bibliques, soutenu à quelques dizaines de mètres par d’épaisses colonnes massives. Étaient réunis peu de gens pour ma cérémonie, beaucoup poussés d’y assister par jalousie et curiosité. Excepté encore une fois cette fille, aux magnifiques yeux et cheveux de jais. La cérémonie se déroulera en présence de l’enfant de dieu, et de ses prêcheurs. L’épreuve la composant est une succession de décisions à prendre ;à l’issue de celles-ci, nous sommes considérés ou non, aptes. J’ai été choisi pour passer l’épreuve, cela fait maintenant deux ans et quelques mois que personne n’avait passéla cérémonie. Le temps passé ici, m’a permis d’apprendre à penser comme ils le souhaitent. L’issue de cet enfer n’est plus bien loin.
- Alex Murphy ! Veuillez faire vos adieux, votre cérémonie est sur le point de commencer. Suivez-nous et ne vous perdez pas en chemin.
La main d’Emma serra la mienne, c’était la dernière étape, et cet adieu était pour moi la première difficulté. Je n’avais jamais remarqué que ses cheveux étaient si fins, lisses, à l’aspect doux, reflétant l’obscurité de la nuit en plein jour. Je lâchai sa main, puis la vîtfaussement sourire, masquant ses angoisses et sa peine. Je te retrouverai.
Je m’avançai vers les prêcheurs qui m’emmenèrent dans une partie du jardin que je ne n’avais encore jamais visité. Nous montions un grand, lisse et large escalier fait de pierre taillée. Je vis par de-là les vitraux cette magnifique plaine, tapissée d’une herbe haute et verte, le vent faisant voltiger les pétales des multitudes de fleurs de celle-ci, accompagnées d’une luminosité chaleureuse de fin de journée. La forêt, puis au loin les montagnes, agissait comme une paroi protégeant le jardin. Les arbres sacrés de la forêt présents depuis des siècles, faits d’un tronc brun et vieilli, ayant traversé tempêtes et intempéries durant tant d’années, s’élevant sur des dizaines de mètres et donnant l’impression de toucher le ciel, restaient là, à dominer. On peut parfois, apercevoir l’un des derniers grands cerfs de l’ancien temps. J’eu autrefois la chance de l’apercevoir l’espace d’un instant, un des rares moments où j’eu le bonheur de profiter de mes yeux.
Une fois au sommet de cet escalier, une porte sculptée laissa place à une salle sombre et lugubre. Un des prêcheurs vint me prévenir de l’arrivée imminente de l’enfant de dieu. Il semblerait que cesoit un être étrange, bien différent de l’image que l’on peut s’en faire. L’imagination m’a alors joué des tours, me laissant imaginer toutes choses. Emma apparut dans mes pensées. Je n’ai rien à perdre. J’attends ce moment depuis bien trop longtemps, j’y suis préparé.
Une porte s’ouvra, trois hommes avancèrent suivis d’une silhouette grande et mince, masquée d’un voile fin et sombre. Les trois hommes étaient vêtus d’une tenue longue et blême, ornée de dentelles et parures. Un voile couvrait aussi leur visage. La cérémonie venait-elle de commencer ? L’homme derrière eux s’avança vers moi. Il était plus grand que moi, il s’approcha et s’arrêta à quelques centimètres de mon visage, m’examinant. Son voile fin et usé ne laissait entrevoir qu’un détail terrifiant. Je ne pouvais détourner le regard, ce détail m’obsédait. Je n’avais pas peur. Je me grandis et fit un pas vers lui, le faisant reculer de surprise. Il restait silencieux, continuant de me fixer étrangement. Je fis un nouveau pas vers lui.
- Sachez que vous n’êtes pas dispensé de vous présenter !
Il bascula sa tête sur le côté, toujours aucune parole. Un prêcheur me saisit l’épaule, stoppant mon pas. L’interlope leva la main, l’autre me lâcha directement, puis fit quelques pas en arrière, prêt à toute nouvelle éventualité. L’enfant de dieu me fit signe d’avancer dans une autre pièce, éclairée d’une faible lumière bleu sombre. En celle-ci se trouvaient de nombreux appareils électroniques, mais aussi deux cuves et un grand fauteuil d’un vieux cuir foncé. Ce qui semblait être un médecin m’installa sur le fauteuil, lia mes bras et jambes à l’aide de sangles. Sans que je ne m’en rende compte, il venait de m’injecter un liquide translucide. Mon esprit commença alors à divaguer, puis tout s’embruma autour de moi.
- M’entends-tu ? Petit arrogant.
La peur s’empara de moi. Je commençai à transpirer, une boule vint se former dans mon ventre, mes yeux se fermèrent par réflexe, mes poings se serrèrent. Je sentis la mort se rapprocher. Ma respiration s’accéléra. Cette voix n’était pas réelle. Elle était grave, froide et semblait usée par le temps.Des frissons me parcoururent.
- N’aie crainte, je vais pouvoir me présenter, maintenant que tu m’entends enfin. Tu dois avoir deviné qui je suis. Je suis celui que l’on appelle ‘’ l’Enfant de Dieu ‘’. Une appellation bien étrange, tu le découvriras assez vite. Je t’ai personnellement choisi, tu vas pouvoir goûter à ce que je possède depuis maintenant bien longtemps. Je reviendrai quand tu comprendras, petit être.
La peur me tétanisait, cette voix sortait des enfers, et venait de m’expliquer les règles. Mais le néant était toujours aussi épais et glacial. Je ne sentais plus les extrémités de mon corps, ma chaleur corporelle baissait. J’étais dans le vide, lévitant dans ce froid. Je réussis à ouvrir les yeux, et je ne vis que de profondes ténèbres autour de moi. En ce noir profond, ce néant, je crû y apercevoir les cheveux d’Emma. Je tentai de bouger, mais impossible. Un courant d’air amena les murmures de cette même voix sanglante « tu n’as qu’à penser ». Tu n’as qu’à penser ? Penser. Penser à quoi ? Le test. Il a déjà commencé, concentre-toi. Contrôle tes pensées, tu sais ce qu’on attend de toi. L’unique chose qui me vint, fut la plaine. Les grands arbres millénaires, l’herbe verte et la beauté de ce lieu.
Ils sont devant moi, les bâtiments du jardin sont loin derrière, je suis seul. Comprends ce que l’on attend de toi. Je fermai les yeux. Les rayons du soleil réchauffaient ma peau, je fus empli d’un sentiment paisible. J’entendis un souffle puissant, des pas lourds, puis un silence. Ça ne pouvait être que ça. Mes yeux s’ouvrèrent, le vieux cerf se dressait devant moi. Une bête grande et fière, des bois grands et larges, un corps puissant orné de quelques cicatrices. Dans cette plaine verte merveilleuse, donnant vue sur les immenses arbres, un parfum de printemps m’enivrait. Puis-je tout imaginer ?
D’un coup le vent souffla, le néant revint m’entourer, le froid et le silence pesant m’oppressaient de nouveau. Une silhouette se dessina alors doucement dans l’obscurité. Il était devant moi, j’étais incapable de bouger, ou même de le voir. Je le sentais.
- Tu sembles avoir compris, petit arrogant. Tu vas contempler ce qu’est réellement l’enfant de Dieu dont nous t’avons gravé l’existence. Tu vas découvrir le sacrifice nécessaire à ce que tu cherches. Tu vas goûter à l’éternité, ne te perds pas en chemin.
Ce que je cherche ? La silhouette laissa place à un être, une chose. Un homme à l’allure malingre, grand, pâle et maigre. Le même voile brouillait son visage. Cette fois mes yeux en perçurent les traits plus distinctement, il ne possédait ni lèvres, ni bouche. Ses yeux, eux, semblaient décharnés et cousus. Son physique n’était que terreur, il s’approcha alors lentement vers moi, puis posa son doigt sur mon front. En me réveillant, impossible d’ouvrir les yeux. J’entendis des chuchotements lointains.
Je parvins après un temps à les rouvrir. Impossible, comment avais-je fait ?Toujours ces chuchotements. Combien de temps a-t-il pu s’écouler depuis le début du test ? Suis-je toujours dans le test ? Ne panique pas, tu es testé. J’ai été choisi par l’enfant de dieu personnellement.Ai-je déjà goûté à ce qu’il possède ? Sa voix ainsi que son corps fatigué, n’ont rien de jeune, encore moins d’Humain, il semble avoir subi de nombreuses transformations. Il semblait pourtant muet à notre première rencontre. Suis-je devenu éternel ? Est-ce, l’autre côté ? Encore ces chuchotements.
- Taisez-vous !
Mes membres tremblaient. Reprends-toi, tu es testé. L’immortalité n’existe pas. La situation perd son sens, l’immortalité, un concept dont nous sommes mis en garde ici depuis notre naissance, pour ensuite nous l’accorder ? C’est un simple test, bon sang ! Ouvre les yeux !
- Alex ? Que fais-tu là ?
Que fais-je dans la grande salle ? Emma ? Ma cérémonie n’a pas débuté ? Est-elle finie ? Ces cheveux noirs, pourquoi sont-ils plus clairs que d’ordinaire ?
- Alex Murphy ! Veuillez faire vos adieux, votre cérémonie est sur le point de commencer. Suivez-nous etne vous perdez pas en chemin.
J’étais perdu dans mes pensées ? Ce sont les mêmes adieux, les mêmes marches, la même vue ; pourtant, des détails manquent. Encore des chuchotements ! Je n’ai pas pu imaginer ça ! Qu’est-ce que ça signifie ?! Je me retrouvai encore dans la même pièce sombre, l’enfant de dieu s’avança de la même façon, mais j’entendis cette fois comme un murmure…
- Je vois que tu apprends vite…fais un effort…tu n’es plus très loin. Ne te perds pas, tu es seul avec ta conscience.
Ces mots m’horrifièrent, et tout disparu de nouveau, le néant revint alors m’entourer. Ma conscience ? Que veut-il dire ? Réfléchis. Je fermai alors les yeux, et essayait de me concentrer sur ce que je voulais percevoir.
Chaque pensée apparut alors petit à petit, de plus en plus nettement. Emma apparutsoudainement, mais bien plus âgée. Est-ce simplement mon imagination, ou une partie de la réalité ?Depuis quand suis-je dans le néant ? Il n’y a pas eu de cérémonie depuis plusieurs années, est-ce pour ça ? Le temps passerait peut-être différemment. Suis-je immortel ?À cette pensée, un sourire nerveux apparu alors sur mon visage. Je vais pouvoir voir le monde évoluer. Un rire vint alors s’ajouter. Voir comment toute l’Humanité va finir par périr de sa propre stupidité. Mes yeux pourront enfin tout voir, je vais devenir omniscient ! J’assisterai à la destruction et la fin de l’Humanité. Quel assouvissement !
Le temps semble condensé en ce lieu, des années se sont écoulées. Le néant est devenu de plus en plus paisible et calme. Je m’y sens bien, chez moi. Je peux désormais tout voir, tout apprendre et comprendre. Je me délecte de la future fin du monde. Plus les années passent, plus le monde autour de moi périclite, c’est magnifique. L’Homme dépérit par sa propre faute, il ne s’arrêtera donc jamais ? Le néant est devenu un endroit dans lequelil fait parfois trop chaud, je m’évade alors dans d’autres lieux bien plus froids. Mais ce n’est qu’en celui-ci que je perçois le mieux la réalité, je trouve en l’obscurité un réconfort.
Mes yeux m’incommodent de plus en plus, ma vue faiblit et me démange, je pu comprendre qu’ils ne m’étaient d’aucune utilité. Je n’ai pas parlé depuis longtemps, l’impression de ressembler davantage à l’interlope se faisait grande. Les murmures lointains étaient ma seule compagnie. Ma vue préférée était celle de cette ville, sanglante, froide et lugubre, avec d’étranges personnages malsains et pathétiques par leurs actions et propos. Comment ai-je pu un jour faire partie de tout ceci?Le spectacle de leur fin ne sera qu’un festin à mes yeux. Cette ignominie ne tiendra plus bien longtemps.
Dans un moment de calme, à observer encore une fois ces petits êtres arrogants, le néant m’enveloppa, sans mon accord. Celui-ci était bien plus épais et froid que le mien. Je sentis quelque chose de tranchant déchiqueter ma peau. Des plaies apparurent le long de mon corps. Ma respiration fut coupée, une sensation de noyade m’emplit alors. Que m’arrivait-il ? Un mal de crâne vint s’ajouter à cette torture sans fin. Celui-ci devint si violent que j’eu l’impression que ma propre cervelle frappait les parois de mon crâne. Le manque d’air était un martyr, mes yeux implosèrent. D’un seul coup, plus rien, toute la douleur s’en alla enfin, et je me sentis m’endormir. Mes yeux se fermèrent, et tout devint enfin calme. Les murmures cessèrent pour de bon.
« Fin de l’essai 432…La conscience n’a pas suivi le schéma voulu. Rapport d’expérience 3947 : test humain 432 : dégénérescence et folie. Copie cérébrale complétée. Copie neuronale complétée. Enregistrement du test terminé. État du sujet : La conscience a implosé.
Commentaire : la conscience du sujet a ressenti un sentiment de domination et de plein pouvoir ; après l’accélération temporelle, cet effet s’est empiré. La voix de l’enfant de dieu servant de guide au sujet n’a pas permis de le maintenir dans le schéma souhaité. »
- Je t’avais choisi, tu semblais différent des autres par ta façon de penser. Tu t’es perdu malgré mes nombreuses objurgations. Une fois ton potentiel découvert, tu n’as ressenti que pleine puissance, ne te rendant même plus compte de ta propre condition…Quel dommage…J’avais tant d’espoir.
Vous ! Faites le nécessaire pour la préparation du prochain sujet, mon âme attend depuis bien trop longtemps…
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