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De tous temps, les antiques courants initiatiques ont toujours célébré le Feu-Principe assimilé au Verbe et à la Lumière personnifiée. Entre Histoire et Tradition, Patrick Berlier, traversant le Jourdain et reprenant son bâton de pèlerin, nous invite à le suivre sur les traces des deux Saints Jean dans cet ouvrage flamboyant où les deux figures bibliques : l’Évangéliste, « l’apôtre que Jésus aimait », et le Baptiste dit « le Précurseur », sont tous deux identifiés en tant que symboles de la Connaissance et de l’Amour, aux Portes solsticiales, Jean Baptiste, au solstice d’été, et Jean l’Évangéliste au solstice d’hiver…


I – LES DEUX SAINTS JEAN

ARQA // Il existe une apparente gémellité entre les deux saints Jean, l’un est dit « le précurseur » et l’autre « celui que Jésus aimait », y a t-il une réalité historique derrière ces deux figures bibliques voire légendaires ? Qui étaient-ils réellement… ?

Patrick BERLIER // Leur gémellité n’est qu’apparente, en effet, et due seulement au fait qu’ils portaient le même nom – très répandu d’ailleurs – et qu’ils avaient tous deux des liens très étroits avec Jésus-Christ. Mais ils n’étaient nullement frères. Quant à leur authenticité, les Évangiles canoniques donnant peu de renseignements sur les origines des deux saints Jean, il faut faire appel à des textes apocryphes et à des ouvrages d’hagiographie pour trouver plus d’informations. Le problème, c’est que beaucoup d’auteurs, au fil des siècles, ont rajouté des épisodes parfois imaginaires.

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Néanmoins, sur un plan strictement historique on peut considérer que saint Jean Baptiste, dont l’existence est attestée par les premiers chroniqueurs, était bien le fils de Zacharie, grand-prêtre du Temple de Jérusalem, et de son épouse Élisabeth. Il est né six mois avant Jésus. Si l’on en croit l’Évangile selon saint Luc – et là il ne s’agit plus d’histoire mais de foi – sa naissance a été annoncée à Zacharie par l’archange Gabriel, le même qui six mois plus tard annonça la naissance de Jésus à Marie. Quoi qu’il en fût, il est probable que Jean fut orphelin assez jeune, et qu’il fut élevé et instruit dans une communauté d’Esséniens, en bordure du désert de Judée, dans lequel il vécut ensuite en ermite…

En l’an 28 il vint prêcher et baptiser au bord du Jourdain, où il eut quelques disciples. Jean est considéré comme le Précurseur du Christ, car il fut le premier à prôner des principes, comme l’abandon des richesses matérielles, le Royaume de Dieu et la vie éternelle, qui seront ensuite ceux de Jésus. Jean Baptiste aurait pu connaître une haute destinée, mais il n’était pas l’Élu. Lorsque Jésus vint vers lui il vit en lui le Fils de Dieu et lui donna le baptême, événement qui n’est pas autre chose que l’impulsion, l’étincelle, par laquelle commença le ministère de Jésus. Jean n’avait plus qu’à s’effacer devant lui. Peu de temps après, il fut arrêté par Hérode Antipas et mis à mort.

Saint Jean l’Évangéliste était le fils de Zébédée et de Marie Salomé, et le frère de Jacques le Majeur. Il fut très certainement un disciple de Jean Baptiste avant de devenir l’un des premiers disciples du Christ, et « celui que Jésus aimait », selon la formule qu’il emploie dans son Évangile pour se désigner sans se nommer. Jean accompagna Jésus jusqu’au bout puisqu’il fut le seul apôtre présent au pied de la croix. Ensuite il se retira avec Marie à Éphèse, ville grecque d’Asie Mineure, où il fonda une petite communauté. Son rôle dans l’écriture des livres qui lui sont attribués reste très discuté. Pour l’Église, c’est bien lui l’auteur du quatrième Évangile, de trois épîtres et de l’Apocalypse. Pour les historiens, Jean en est plutôt l’inspirateur ; tous ces livres auraient été écrits par des scribes grecs à partir de ses enseignements. La fin de vie de saint Jean l’Évangéliste, telle que la racontent les hagiographes, paraît bien romanesque. Ces épisodes-là relèvent donc plus de la légende.

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ARQA // Selon certaines sources, ils étaient même « cousins », tu as même pu dresser sous forme graphique un arbre généalogique de leur filiation, peux-tu nous parler de cette filiation, si l’on s’attache bien sûr à ce que rapporte la Bible ?

Patrick BERLIER // Là encore ce sont plutôt les Évangiles apocryphes et les ouvrages d’hagiographie qui permettent de reconstituer la généalogie, à condition de croiser les textes avec rigueur et de tout vérifier, des auteurs peu attentifs s’étant laissés induire en erreur par la ressemblance des noms. On sait que Marie, la mère de Jésus, et Élisabeth, la mère de Jean Baptiste, étaient cousines, leurs mères respectives étant sœurs. J’expose dans mon livre toutes les connexions de ce rameau familial, dont faisaient partie également les parents de saint Jean l’Évangéliste et les parents de Jacques le Mineur. En conclusion je peux dire que les deux saints Jean, les deux saints Jacques, et Jésus, étaient cousins. Ils ont tous passé leur enfance dans le même environnement familial, ce que plusieurs artistes ont représenté. L’arbre généalogique que j’ai dressé permet de visualiser d’un seul coup d’œil l’appartenance de tous ces personnages à la même famille, tous étant les descendants du même couple.

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ARQA // Dans ton travail de recherches tu as utilisé plusieurs bibles de référence mais notamment la Bible d’Émile Osty ? Pour quelle raison celle-ci ?

Patrick BERLIER // J’avais évidemment le choix entre différentes traductions de la Bible. Je voulais privilégier une version obtenue d’après les textes originaux en hébreu, araméen et grec, plutôt que d’après la Vulgate, la Bible en latin, qui est déjà elle-même une traduction. Parmi les versions répondant à ce critère, j’ai choisi la traduction du chanoine Émile Osty. Je me souviens encore de sa parution en 1973, puisqu’à l’époque je venais de commencer ma vie professionnelle et je travaillais en librairie. Elle était très attendue cette Bible Osty, l’auteur ayant mis plus de vingt-cinq ans pour réaliser sa traduction. Quand je l’ai consultée, je l’ai appréciée pour son texte clair, ses commentaires savants, ses parallèles et ses renvois. Mon exemplaire est donc une édition princeps, cela fait maintenant 44 ans qu’il est dans ma bibliothèque. Par la suite, d’autres traductions ont été publiées. J’aurais pu utiliser la TOB (Traduction Œcuménique de la Bible), qui a l’avantage d’avoir réuni des traducteurs issus de confessions différentes et donc n’est pas orientée vers une seule religion. Il y a aussi la traduction d’André Chouraqui, qui tente de coller au plus près le texte original. Finalement, tout en consultant ces autres versions, je suis resté fidèle à ma Bible Osty, d’autant qu’elle reste considérée comme la plus élégante, à la fois réaliste et poétique, fidèle aux textes originaux, respectant leurs genres littéraires et l’esprit de leurs auteurs.


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ARQA // Peux-tu introduire aussi ton livre et nous parler de la dimension symbolique de chacun des deux saints Jean, sans bien sûr trop déflorer ton ouvrage… ?

Patrick BERLIER // Alors, en quelques mots… La plus grande gloire de Jean Baptiste fut celle de l’effacement. Il n’était pas l’Élu, je l’ai dit, mais celui qui a été mis sur le chemin de l’Élu, Jésus. C’est lui qui l’a précédé, l’a annoncé, l’a reconnu et l’a révélé au monde. Jean Baptiste fut le dernier des prophètes et leur héritier. Il avait étudié leurs textes durant sa jeunesse. Bien qu’il n’ait pas pu reconnaître, physiquement, Jésus son cousin, car ils avaient vécu séparément après l’enfance, ses dons de prophétie lui permirent de le reconnaître intuitivement, et de voir en lui l’Agneau que Dieu envoyait aux hommes pour être sacrifié. Jean Baptiste n’était pas la Lumière, mais il témoignait au sujet de la Lumière, il la reflétait ; pas la lumière solaire mais la lumière primordiale, qui existait avant tout, le Feu-Principe. Dernier des prophètes, il était habité par l’esprit du premier des prophètes, Élie. Jean a apporté à Jésus le concept même du baptême par l’eau, dont Jésus fit un des fondements de sa religion.

Quant à Jean l’Évangéliste, il est celui qui suit Jésus, qui raconte son histoire et rapporte ses enseignements. Après la crucifixion, il recueillit Marie que Jésus lui demandait de considérer comme sa mère, pas seulement pour prendre soin d’elle mais pour entendre son enseignement et pour que Marie pût veiller à son accroissement intellectuel. Jean symbolise la jeunesse éternelle et même la virginité, étant toujours représenté imberbe. Jean était le disciple que Jésus aimait, par un privilège d’amour qui lui a permis, plus que les autres apôtres, de mieux comprendre son enseignement.

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ARQA // On peut associer aussi symboliquement les deux saints Jean à des animaux – peux-tu nous parler un peu de cet aspect symbolique très pertinent ?

Patrick BERLIER // Chacun des deux saints Jean est traditionnellement symbolisé par un animal, l’agneau pour le Baptiste et l’aigle pour l’Évangéliste. Ces attributs permettent de les reconnaître et de les différencier dans les représentations artistiques. Notons l’apparent antagonisme entre ces deux symboles, l’agneau et l’aigle. Dans la nature l’agneau est une proie et l’aigle un prédateur. Mais dans la symbolique des deux saints Jean, l’aigle est le disciple de l’agneau, et s’il l’emporte au plus haut des cieux, ce n’est pas pour le dévorer mais pour le transfigurer. Jean Baptiste reconnut en Jésus l’Agneau de Dieu. Cet animal est donc devenu l’emblème privilégié de Jean Baptiste. D’autres animaux lui sont associés, le chameau et la sauterelle, qui paraissent très différents mais dont les symbolismes se rejoignent.

Jean l’Évangéliste est symbolisé par l’aigle, car son Évangile est considéré comme le plus intellectuel, celui qui, comme l’aigle, s’élève le plus haut. Par sa comparaison avec l’aigle, qui dit-on est capable de regarder le soleil en face, Jean l’Évangéliste, le disciple que Jésus aimait, est le seul à pouvoir regarder Dieu en face, c’est un interlocuteur privilégié.

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ARQA //Dans ton livre, qui possède comme toujours avec tes ouvrages une très abondante iconographie, tu as mis en évidence un tableau qui vient d’être vendu où l’on voit les deux saints Jean ensemble, peux tu nous en parler ?

Patrick BERLIER // Beaucoup de peintres ont représenté les deux saints Jean ensemble. Lorsque j’ai commencé à me documenter à ce sujet, par hasard je suis tombé sur ce tableau-là, pour qui j’ai eu un vrai coup de cœur. C’était sur un site de vente en ligne, et cette peinture sur bois du XVIe siècle figurait au catalogue. Ce qui m’a séduit, c’est d’abord la facture extrêmement naïve du tableau. C’est clair que le peintre n’était pas un grand maître, il a représenté les deux saints Jean avec toute sa bonne volonté, mais sa naïveté est certainement le reflet d’une foi sincère. Et puis si les emblèmes de Jean Baptiste – agneau et croix bannière – étaient bien visibles, pour trouver l’aigle de Jean l’Évangéliste il m’a fallu « un certain temps », car il est bien caché.

(…)

SUITE DE L’INTERVIEW de PATRICK BERLIER


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Patrick Berlier pour Les Chroniques de Mars, 24 juin 2017.


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