Diogène est né à Sinope, ville située aujourd’hui sur la côte turque de la mer Noire, en 413 avant notre ère. Il serait mort le même jour qu’Alexandre, trois cent vingt trois ans avant J.-C. Diogène dont le nom signifie « né de zeus » était un réfractaire refusant les conforts qui séduisent tant au niveau matériel que sur le plan intellectuel. De sa grande jarre de terre cuite (pithoï), son soi-disant » tonneau « , il s’adressait à ses contemporains et choquait les conformistes et conventionnels d’alors. Venu des Dardanelles, puis exilé par le pouvoir romain, l’orateur Dion Chrysostome, » Dion-à-la-bouche-d’or » raconta longuement les rencontres entre Diogène et Alexandre le Grand. Par la suite, Diogène Laerce l’historien, nous relata la vie de ce philosophe de la liberté.
Au départ, Diogène et son père, le banquier Ikésos, aurait fabriqué de la fausse monnaie et furent condamnés à l’exil. Ou encore ils s’enfuirent. On a pu dire que Diogène s’entendait à « falsifier la monnaie » autrement dit à « renverser les valeurs »…
Plus tard, une fois devenu philosophe, Diogène a compris. La monnaie à falsifier, ce ne sont pas les pièces ! Ce sont les conventions sociales, renverser les valeurs : les valeurs communes, l’ensemble des convenances. Et comme le dira plus tard un Alexandre-Marius Jacob, Diogène aurait pu déclarer : « J’ai préféré être voleur que volé »…
Diogène a bien vécu « l’exil » du banni, celui d’un expulsé du sol puisqu’il se disait « citoyen du monde ». Sa découverte de l’étranger, d’autres sagesses, ne pouvait qu’enrichir le « pauvre » cynique (kuvikos – chien). Ne vaut-il pas mieux tendre vers l’en-dehors d’un monde qui vous répugne ? Même si l’on doit être conspué… La liberté du paria en exil : dépossédé de ses possessions, il n’est plus « possédé » par elles.
Un jour quelqu’un lui lança : « Les gens de Sinope t’ont renvoyé de chez eux ! ». Et Diogène de rétorquer : « Et moi je les condamne à rester chez eux… ». D’ailleurs le Cynique disait : « c’est grâce à mon exil que je suis devenu philosophe ».
Toujours est-il qu’à Athènes, Diogène rencontra Antisthène, bien que celui-ci ne voulût pas de disciples. Ce premier philosophe cynique le menaça même de son bâton, ce à quoi Diogène répliqua : « Tu peux frapper, tu n’as pas de bâton assez solide pour me renvoyer tant que tu parleras. »
Après l’enseignement d’Antisthène, Diogène alla à Corinthe. Il dormit alors au Craneion, banlieue où se situait un gymnase qu’il fréquentera. Mais revenons au premier et seul maître de Diogène. Disciple de Georgias puis de Socrate (444-365 avant notre ère), Antisthène est à l’origine de l’École « cynique ». Pour Antisthène le Sage se suffit à lui-même puisqu’il a en lui ce qu’ont les autres. Il s’agit donc de vivre en bonne société avec soi-même. Il écrivit une dizaine de livres. D’ailleurs Diogène, fils de la nature, comme Antisthène, savait dialoguer avec lui-même plutôt qu’avec les représentants de la société et leur bavardage de fous. Il respectait plus les idées d’Antisthène que l’homme lui-même à propos duquel Dion Chrisostome disait : « Il est comme une trompette, il crie plutôt qu’il ne s’entend » (Discours VIII, 2).
Antisthène malade, sur le point de mourir, Diogène alla le voir et le vieux philosophe l’interpella : « – Ah ! qui donc me délivrera de ma maladie ? »… « – Avec ceci » répliqua Diogène en sortant un poignard de son manteau. Antisthène lui dit alors :
« – Je parlais de ma maladie et non pas de la vie… ».
Par la suite Diogène constata :
« Depuis qu’Antisthène m’a délivré, je ne suis plus asservi ».
« Aux instances engluantes qui se nourrissent des hommes et de leurs libertés, Diogène oppose l’insurrection qui détache de toutes les entraves ». Face à l’opulence des médiocres, la sagesse du peu est singulière car, paradoxalement, il ne lui manque rien… Le besoin du tant-et-plus est à l’opposé du contentement du tant-soit-peu. « Celui qui sait négliger les lois, mépriser les accidents extérieurs et maîtriser ses passions, celui-là est l’être libre, le sage ou, si l’on préfère, il est l’homme et c’est lui que Diogène cherche en plein midi, lanterne allumée. »
À propos de l’individualisme du « se suffire à soi-même », non pas l’individualisme bourgeois mais l’individualisme libertaire, le spécialiste des Cyniques grecs écrit : « Dans la logique du cosmopolitisme, le cynisme ancien préconise l’abstention à l’égard de tout engagement politique, qui, au même titre d’ailleurs que l’engagement familial ou social, se révélerait une entrave à la liberté individuelle ».
Diogène, un transgresseur qui ne respecte pas l’ordre moral, ses conventions et sa hiérarchie. En-dehors du troupeau de Panurge des sociétés, ni suiveur ni suivi, libre comme l’air, Diogène ne s’interroge que sur les lois de la nature. On dirait aujourd’hui, à notre époque d’hypercroissance et de rendement intensif, que ce philosophe était un adepte de la décroissance. En effet, pourquoi utiliser un bol pour boire alors que l’on peut étancher sa soif en recueillant de l’eau dans le creux de ses mains ?
La réalisation s’accomplit par l’être et non par l’avoir. Qui possède n’est-il pas possédé par ses possessions ? La première et dernière de nos libertés est celle de son propre corps et Diogène n’est pas attiré vers le confort et le conformisme. Il méprise les richesses et élimine les pseudo besoins du superflu. « Celui qui reçoit de l’argent pour parler mentira nécessairement » ou encore « mépriser la société organisée et ses préjugés, aimer la nature et ses vérités, voilà toute la philosophie ». Pour cet ermite de la cité seul importe la primauté et la liberté de l’individu.
« S’il fallait une formulation contemporaine au programme cynique, on pourrait la trouver du côté des libertaires qui ne se reconnaissent ni dieu ni maître ». À propos de « l’individualisme radical » de Diogène, signalons qu’à la même époque où l’impassible Diogène de Sinope se retranchait du spectacle social, en Chine se trouvait un taoïste méconnu, Yang Tchou, disant que l’État dirigeait par hasard et ouï-dire mais que tout venant de soi-même, il fallait profiter de l’instant présent. Il est dit qu’il n’aurait pas donné un seul de ses poils pour sauver le monde…
Dans son ouvrage En Chine, Alexandra David-Neel a bien souligné les affinités entre Yang Tchou et Max Stirner (1806-1856) philosophe de l’anarchisme individualiste : « Rien n’est pour moi au-dessus de moi ». Et l’on connaît la réplique de Diogène à Alexandre le Grand qui lui faisait de l’ombre :
« – Ôte-toi de mon soleil ! »
Dans ses Dissertations (XLVI. 5) Maxime de Tyr écrit au sujet de Diogène : « Il parcourut le monde, libre, tel un oiseau doué de raison ; il était sans crainte du tyran, n’était pas contraint par la loi, pas occupé par la vie publique, pas étouffé par l’éducation des enfants, pas emprisonné par le mariage, pas retenu par le travail de la terre, pas troublé par les campagnes militaires, pas détourné de sa route par le commerce. » Il n’y a jamais eu de monuments au « poète inconnu » exclu de la cité de Platon et de nos sociétés contemporaines. Un poète comme Ghérasim Luca l’avait bien dit avant de se jeter dans la Seine…
Vers la fin de sa vie, naviguant vers l’île d’Égine, entre le Péloponnèse et l’Attique, Diogène fut capturé par des pirates puis vendu comme esclave sur le marché, en Crète. Au marchand d’esclaves il conseilla d’être vendu à un homme appelé Xéniade : « Je pressens qu’il a besoin d’un maître ». Xéniade l’acheta et l’emmena à Corinthe.
Le cynique demanda à Xéniade de lui obéir… Le maître lui répondit : « Les fleuves remontent-ils vers leurs sources ? » Diogène rétorqua : « Si tu avais acheté un médecin et que tu sois malade, tu lui obéirais bien… ».
Xéniade lui confia l’éducation de ses enfants. Il éleva donc ces gamins et leur enseigna la chasse, le tir à l’arc, la fronde, le javelot et l’équitation sans pour cela faire de la compétition, simplement pour qu’ils soient en bonne santé. Il les éduqua à l’aide d’écrits de poètes, de philosophes, tandis que les enfants prenaient soin de lui et le louaient auprès de leurs parents.
Plus tard, Diogène fut (…)
Chroniques de MARS // « – Qui êtes vous Daniel Giraud ? »
Daniel GIRAUD // « Je cherche un homme » – Diogène le libertaire
Daniel GIRAUD // « Je cherche un homme » – La Grèce de la Grèce
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Du même auteur aux éditions ARQA
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Chroniques de MARS // « – Qui êtes vous Daniel Giraud ? »
Daniel GIRAUD // « Je cherche un homme » – Diogène le libertaire
Daniel GIRAUD // « Je cherche un homme » – La Grèce de la Grèce
Daniel GIRAUD // « Je cherche un homme » – Un ermite dans la ville
BIBLIOGRAPHIE
Dion Chrysostome – Discours, (lire Léonce Paquet pp. 202/262)
Louis Combes – Un Précurseur anarchiste, La Brochure mensuelle No 43.
Robert Flacelière – La vie quotidienne en Grèce au siècle de Périclès. Hachette, 1959.
Diogène Laerce – Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, tome 2, Garnier et Flammarion, 1965.
Pierre Lavedan – Dictionnaire Illustré de la Mythologie et des Antiquités Grecques et Romaines, Hachette, 1931.
Michel Onfray – Cynismes, Le Livre de Poche, 2005.
Léonce Paquet – Les cyniques grecs, fragments et témoignages, Le Livre de Poche, 1992.
Charles Picard – La vie dans la Grèce antique, PUF, 1967.
Han Ryner – Le père Diogène, Eugène Figuière et Cie.
Han Ryner – L’individualisme dans l’Antiquité, L’idée libre, 1924.
Paul Werner – La vie en Grèce aux temps antiques, Minerva, 1981.
Étienne Helmer – Diogène et les cyniques ou la liberté dans la vie simple, Le passager clandestin, 2014.
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