Nous nous sommes beaucoup intéressés à tout ce qui est généré par le manque, par l’organisation de la pénurie. Une partie du génie humain est probablement directement lié à l’industrie du succédané, de l’ersatz, comme on disait sous l’Occupation quand les légumes remplaçaient la viande et le carton le cuir des semelles. Tout se passe comme si en ce début de XXIe siècle, l’humanité n’avait toujours pas réalisé que d’une façon générale les procédés inventés en temps de pénurie n’avaient plus de raison d’être, en tout cas en Occident. L’astrologie, on va le voir, n’échappe pas à ce travers et peut-on dire surfe sur cette mentalité pénurique.
Comment se manifeste donc une telle mentalité du manque, de l’absence, assez proche probablement de la mentalité magique ? On peut parler d’une alternative pénurique, d’un plan B qui dans bien des cas aura fini par devenir le plan A.
N’est-ce pas le cas quand les gens aujourd’hui achètent encore aussi peu de viandes, de fruits et où l’on leur préfère, dès l’enfance et apparemment avec la bénédiction des parents, les hamburgers et les chaussons aux pommes ? Il est probable que nos ancêtres regarderaient étrangement de telles pratiques alimentaires marquées au départ par la pauvreté, dans des milieux bourgeois. Si au niveau de la langue, c’est la Cour qui aura prévalu, au niveau gastronomique, c’est le bas peuple qui nous aura légué ses pratiques de substitution et les aura imposées culturellement au point que le végétarisme soit devenu une véritable profession de foi et la viande un repoussoir..
La pénurie, c’est l’art de faire un « plat » à partir de pas grand-chose. On prend des produits qui n’ont pas de goût et donc de vil prix et on les sauve en y ajoutant des ingrédients qui, en eux-mêmes, sont à peu près immangeables mais qui ajoutés à cette matière première de peu de valeur et qui se conserve bien composent un ensemble acceptable. On a parfois l’impression que les marins nous ont transmis leur façon de vivre quand il s’agissait de rester des mois en mer, problématique qui n’a d’ailleurs plus de raison d’être, sauf pour de futurs voyages intersidéraux.
Notre civilisation continue bel et bien à fonctionner à deux vitesses : à côté du boucher et ses chambres froides, le boulanger avec ses gâteaux, ses tartes, ses « pies » (comme disent les anglais), ses petits pains aux lardons ou aux olives. On a même inventé des arômes donnant l’illusion du fruit, comme pour les sorbets, les glaces également vendus dans les boulangeries-pâtisseries. Encore pourrait-on dire que le boulanger travaille surtout l’hiver et le boucher l’Eté mais il n’en est (plus) rien.
Il est vrai que préparer un steak ou servir un fruit tel quel, sans aucune addition, risque fort d’être considéré comme le niveau zéro de la cuisine alors qu’un plat plus sophistiqué, plus composite, sera apprécié par les connaisseurs. La pénurie aura ainsi gagné ses lettres de noblesse au nom d’une certaine alchimie qui change le plomb en or. On part d’un produit médiocre, voire douteux et on en fait une petite merveille en passant par le four, l’athanor des alchimistes. Il n’en reste pas moins que l’on est là au cœur de la malbouffe bourrative qui a pour nom couscous, pizza, choucroute, pâtes, frites, cassoulet etc. que notre organisme apprécie assez peu. On pense à ces travailleurs polonais arrivés en France au siècle dernier et ne voulant pas renoncer à leurs (mauvaises) habitudes alimentaires qui leur remplissaient le ventre, avec leurs potées.
Mais nous dira-t-on : quel rapport avec l’astrologie ? Nous y venons. L’astrologue en effet est un spécialiste du manque d’information. Avec très peu d’information, il vous bâtit un discours des plus complets. Le numérologue n’est pas de reste : un prénom, une date de naissance et c’est parti, rien ne va plus. C’est la partie pour le tout, c’est le lardon dans le pain qui fait croire que l’on mange un kilo de viande, parce que cela en a le goût..Le rapport qualité prix est remarquable. On a l’illusion de quelque chose sans que cela coûte. Donc, notre astrologue fait de la psychologie, sans avoir eu besoin de passer du temps à fouiller dans la vie de son patient et quant au résultat, nous dit-on, cela revient grosso modo au même. C’est la psychologie du pauvre ou de l’avare, du petit malin qui sait y faire et qui connait les bons trucs.
De quoi part en effet l’astrologue ?
Du ciel, c’est-à-dire de l’air, du vent, d’un matériau qui ne coûte rien, qui est à tout le monde. En fait, il part de quelque chose qui ne nous appartient même pas c ar nos droits sur les cieux font débat. L’astrologue m’apprend ainsi que je suis propriétaire d’un petit coin du ciel, celui désigné par ma date de naissance, mon état civil. Me voilà riche ! Et je vais toucher des dividendes. Et donc à partir de ce presque rien, je vais avoir droit à un portrait psychologique, servi par un ordinateur ou par un homme de l’art qui me reçoit en son cabinet. Je n’ai pas besoin de parler de moi, de savoir « m’introspecter », l’astrologue fait les questions et les réponses. Il me donne au bout du compte un document qui me décrit mieux que je n’aurais su le faire. Et qui a le mérite d’exister. La bonne affaire !
On voit donc que l’astrologie s’inscrit dans cette culture de pénurie que nous avons décrite. De peu de chose, on peut faire aussi bien que ceux qui ont du temps, de l’argent, peuvent s’acheter de la bonne viande et de bons fruits pas encore pourris. Évidemment, il y a les empêcheurs de tourner en rond qui nous déclarent que ces faux semblants se paient à plus ou moins long terme, que l’on n’a rien pour rien. Mais sur le moment, en tout cas, ça marche, ça calme la faim et l’esprit et l’on en a pour son argent.
Comment se fait-il que l’astrologie, comme le couscous ou la polenta aient survécu en plein Occident ? Certes, il y a des inégalités sociales. Mais cela n’explique pas tout. Nous sommes en fait envahi par le handicap. Car qu’est-ce que le progrès technique sinon un moyen d’aider ceux dont les forces leur font défaut, qui marchent, qui voient, qui entendent moins bien ? Et leur mode de vie ne s’est-il pas imposé à tout le monde ? C’est ce que l’on appelle un nivellement par le bas, ce sont les valeurs de la marginalité qui ont triomphé. Pourquoi, dans ce cas, l’astrologie n’aurait-elle pas elle aussi droit à sa part de gâteau, elle qui est la championne de l’économie d’information ? D’ailleurs, un argument en sa faveur n’est-il pas la rapidité, le gain de temps ? Certes, elle prospère aux côtés de la psychanalyse comme le boulanger à ceux du boucher. Société à deux vitesses, où l’une est la copie de l’autre, et donc marquée par une certaine aliénation, un certain mimétisme qui permet de connaitre, quand même, certaines sensations. On est dans le simulacre.
Mais quel drame, quel crève-cœur s’il fallait balayer tous ces trésors d’ingéniosité, de savoir-faire ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? N’est-il pas plus excitant de voir comment quelqu’un se sort d’une situation critique, à la Mac Gyver ? Quel mérite a-t-on à servir de la bonne viande que l’on s’est contenté d’aller acheter chez le boucher et que l’on consomme tel quel ? La pénurie, c’est le défi, le challenge. C’est le « ça marche aussi », c’est la continuation du système D de l’après guerre, avec les moyens du bord et le rationnement.
L’idée même de divination est liée au fait d’avoir à deviner et on doit deviner quand on ne sait pas, quand on ne connait pas. La divination est le palliatif de l’ignorance et en cela elle appartient à l’Histoire des techniques. Le jour où les médecins ont renoncé à deviner, où ils ont pris la peine d’explorer directement le corps humain, ils ont laissé l’astrologie. La technique prospère sur notre paresse tant physique que mentale. Elle est tentatrice d’une autre voie qui n’est pas d’aller à la source mais d’intervenir au final. C’est pourquoi l’on a tant parlé de traçabilité pour la nourriture face à la malbouffe. L’astrologie semble plus à même de parler de ses résultats que de ses origines : l’astrologue se contente de dire à ses clients « goûtez ! » sans vous poser trop de questions sur la provenance. A contrario, ceux dont les valeurs sont liées à la qualité d’origine des produits ne sont guère demandeurs de telles performances d’illusionniste [1]. Ils se méfient même de ceux qui grâce au fait qu’ils savent lire ou parler, se font passer pour ce qu’ils ne sont pas, empruntant à autrui leurs beaux discours. Or, force est de constater que l’astrologie sert aussi à cela, elle donne quelque chose à dire à ceux qui ont appris à la lire, leur conférant ainsi une aura empruntée. Dès les premières années, les enfants comprennent que par le langage ils pourront se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. On peut faire dire à un gamin de sept ans les propos d’un grand philosophe. Pourquoi ferait-il, dès lors, l’effort de réfléchir puisque cela lui est donné à partir de l’apprentissage de l’alphabet ? Cela n’en vaut pas la peine ! On raisonne de plus en plus dans une logique de « valeur ajoutée ». Peu importe ce qu’est la chose à l’origine, ce qui compte, c’est ce qu’on peut en faire.
Le XXIe siècle, par delà la question de l’écologie, devra se confronter à de tels enjeux. Il devra partir en chasse contre toutes les contrefaçons, léguées par des siècles de pénurie mais où une certaine caste maintenait le cap d’une certaine authenticité. Or, de nos jours, l’invasion technologique tend à rendre caduque toute recherche de provenance. Mais alors en quoi consiste le travail de l’astrologue ? A dire aux gens ce qu’ils sont réellement ou à leur fabriquer un moi de substitution ? Même les élections ne sont-elles pas aussi une imposture, elles qui inventent des périodicités fictives auxquelles les gens se plient alors qu’au départ, il s’agit d’une simple convention numérique inventée par les Américains : on votera tous les quatre ans, tous les deux ans…..C’est là en revanche que l’astrologie aura un vrai rôle à jouer si tant est qu’elle soit porteuse, comme nous le pensons, de la clef du temps sociopolitique dont nos calendriers électoraux ne sont qu’une piètre réminiscence.
[1] Voir notre débat avec Thierry Bécourt et Christian Moysan, sur futurvideo.