Dans la vie, nous proposons des marchés plus ou moins équitables aux personnes avec lesquelles nous sommes en relation. Un contrat peut être équitable sur un certain point et moins sur un autre sans que nous en soyons nécessairement conscients. Dans le cas de l’astrologie, la consultation prise en tant que prestation ne fait pas problème, si l’on ne s’interroge pas trop sur les moyens et que l’on privilégie les résultats. Du moment que la consultation a pu « aider », le praticien a le sentiment qu’il aura rempli sa part du contrat. Mais que devient l’astrologie dans l’affaire ? That is the question !
En fait, le mal dont souffre l’astrologie depuis bien longtemps tient à son caractère protéiforme. On croit qu’elle est là et elle est déjà ailleurs, on croit la saisir mais elle a changé de forme. D’où un certain malaise qui n’est pas forcément explicite chez ceux qui cherchent à l’appréhender, à la situer. Au bout du compte, sous sa forme la plus courante, l’astrologie sera perçue comme insaisissable et donc infalsifiable.
Le terme protéiforme signifie qui change de forme, en référence à Protée, divinité marine, au service de Neptune, dotée du don de prophétie et du pouvoir de se métamorphoser, dont parle Homère. Les astrologues sont-ils généralement conscients à quel point leur savoir mis en pratique se révéle protéiforme ? Nous ne le pensons pas et c’est bien là que le bât blesse.
Quand on voit un astrologue opérer, on ne sait jamais par quel bout il va commencer, quels sont les angles qu’il va choisir parmi tous les possibles à la façon d’un commentateur des centuries nostradamiques qui piochera dans tel quatrain et non dans tel autre. L’astrologue s’accorde en vérité une (trop) grande liberté de mouvement. Mais du moment que l’on reste dans l’astrologie, c’est l’essentiel, dira-t-on. Certes, mais quid d’une astrologie protéiforme, à géométrie variable et au fond imprévisible ?
C’est là le non-dit de la pratique astrologique, à savoir que l’astrologue se réserve la possibilité de donner à l’astrologie la forme qui lui convient. Le client n’est pas en mesure de s’apercevoir de la mise en œuvre de tels procédés car il ne connait pas les ressources de l’astrologie. L’astrologue aura beau lui montrer à tout moment qu’il s’en tient aux règles de son art, qu’il s’appuie sur telle donnée pour (pré)dire ce qu’il avance, le client ne connaitra jamais que la partie émergée de l’iceberg astrologique.
Nous voyons, pour notre part, l’expression d’une certaine désinvolture dans la façon dont nombre d’astrologues agissent, dès lors que leurs clients ne sont guère avertis de leur modus operandi, qui les fait « sauter » d’un facteur à un autre, d’où ce caractère protéiforme qu’ils impriment à leur discipline laquelle revêt ainsi les visages les plus variés. C’est d’ailleurs à ce prix que leur astrologie parvient à « marcher », à la façon de ces transformistes ou de ces imitateurs qui en un clin d’œil changent d’aspect.
En fait, on a l’impression que l’astrologie courante n’a pas de colonne vertébrale, qu’elle est une sorte de kaléidoscope en mouvement incessant. Reconnaissons d’ailleurs que cela exige de la part de l’astrologue une certaine agilité/gymnastique mentale qui fait toute la difficulté de son apprentissage. Mais quel étrange apprentissage que celui consistant à apprendre à tordre l’astrologie dans tous les sens ! Pour notre part, nous préférons de loin une formation courte pour une astrologie bien définie dans son modèle et qui puisse de surcroit être clairement exposée aux clients au lieu de faire l’objet de « traductions » qui brouillent les pistes et masquent le caractère alambiqué du dispositif utilisé sous une langue accessible.
Il est vrai que la vie des gens ne se présente pas forcément non plus comme un long fleuve tranquille, qu’elle comporte des à-coups dont il faudrait, diront d’aucuns, rendre compte et cela vaut aussi pour nos propres contradictions au niveau de notre psychisme, comme l’a signalé André Barbault, dans « De la psychanalyse à l’astrologie ». Mais justement, où s’arrête l’astrologie, jusqu’à quel point se doit-elle de refléter la totalité de notre vécu existentiel ? Mais aujourd’hui rares sont ceux qui sont en mesure de délimiter le champ propre de l’astrologie, précisément du fait du manque d’axe central dont elle souffre.
Certains, non sans une certaine naïveté, argueront du fait que l’astrologie est ce qu’elle est devenue. Ils ne parviennent pas à distinguer entre l’essence de l’astrologie et le visage boursouflé qui est le siens, ce qui n’est pas sans nous faire songer au personnage d’Oscar Wilde, Dorian Gray. Ils diront que cette complexité de l’astrologie que nous dénonçons n’en est pas moins un fait dicté à la fois par la mythologie, le symbolisme (zodiacal) et l’astronomie, (le système solaire), ce qui correspondrait en quelque sorte à son cahier de charges. Autrement dit, l’astrologue serait comme contraint à chercher à décrire toute la complexité des choses puisque son « outil » lui en donnerait les moyens. On tourne en rond !
Non pas que nous en ayons après la complexité. Il est des situations fort complexes et qui demandent beaucoup de vigilance et de dépense d’énergie nerveuse. Un système peut être simple dans sa formulation et fort ardu à gérer dans son application. C’est le cas du jeu d’échecs qui demande de la concentration et une faculté à anticiper les coups à venir. Or, il semble que ceux qui traitent de l’astrologie confondent le plan de la théorie et celui de la pratique. L’erreur de raisonnement d’André Barbault, tentant de légitimer la complexité même de l’appareil astrologique, c’est de trouver normal que la grille astrologique, en tant que telle, soit dans sa forme même assez difficile à appréhender. Que la mise en pratique de la dite grille, quelle qu’elle soit, puisse exiger beaucoup de travail est une chose mais précisément le travail en question consiste à parvenir à la simplicité, c’est le propre de la philosophie que de simplifier le réel, pour le réduire à un nombre aussi limité que possible de catégories. C’est là un processus saturnien qui consiste à ne pas se laisser perturber par les digressions, les particularités, c’est un combat constant avec les forces du désordre. Maintenant, pour l’astrologue uranien, au sens où nous l’entendons dans nos textes du JBA, le désordre peut apparaitre comme une réalité en soi et l’ordre comme une menace. C’est quelque part l’attitude d’un Dane Rudhyar. Affirmer l’importance de l’individu reléve précisément d’une représentation uranienne du monde, qui confine à une certaine forme d’anarchie voire de subversion. On est d’ailleurs en droit de se demander si le soubassement du milieu astrologique actuel n’est pas de réunir des personnes ayant effectivement un tropisme uranien. Le rôle des colloques semble, a contrario, se situer dans une logique saturnienne, de rassemblement en un même lieu et un même temps de gens très divers et dispersés. On notera qu’André Barbault n’a guère favorisé la tenue de congrès astrologiques du temps où il exerçait un certain pouvoir[1] et c’est même avènement de l’ère des colloques au cours des années soixante-dix du siècle dernier, qui a provoqué sa marginalisation. Cela dit, on ne saurait reprocher à Barbault de ne pas avoir cherché, par ailleurs, à simplifier l’astrologie avec son indice de concentration cyclique si ce n’est que l’effort méritoire de rapprochement entre planètes, sans tenir compte de leurs identités spécifiques a cohabité avec un rapprochement des événements sur des bases contestables : en effet les notions de tension et de détente ne nous semblent guère opérationnelles, toute période pouvant générer l’une ou/et l’autre. Si en amont, le travail de conceptualisation n’a pas été mené correctement, cela conduit à des déboires en aval.
Un esprit saturnien ne se laisse pas tenter par les sirènes de la complexité conceptuelle – ce qui est une contradiction dans les termes. La complexité tient au processus de conceptualisation mais non à la conceptualité en tant que telle. La solution d’un problème est simple dès lors qu’on l’a trouvée mais cela peut demander beaucoup de temps et de réflexion. A partir du moment où l’on ne vise pas à la simplicité, cela dispense ipso facto d’avoir à accéder à celle-ci. Et c’est là apparemment le problème des astrologues : ayant un modèle complexe, ils font l’impasse sur le travail de décantation. Et ils trouvent dans l’astronomie elle-même un alibi et une justification. Ce qui relève d’un malentendu. Si l’astronomie ne peut en effet que constater que le ciel est en lui-même complexe, que le système solaire comporte un certain nombre d’astres, il n’en reste pas moins que le projet de l’astronomie, et Kepler s’est illustré dans ce sens avec ses « lois » et l’on pourrait également citer la Loi de Titius- Bode, du moins jusqu’à Uranus- est de faire entrer cette diversité au sein d’une unité, d’un « système » précisément. Le déclin de l’astrologie au XVIIe siècle – c’est une piste de recherche- pourrait être du à la nécessité d’un resserrement conceptuel dont l’astrologie, de par sa structure matricielle, comme dirait Patrice Guinard, s’est trouvée incapable de mener à bien, chaque planète consistant en une entité irréductible. Kepler a probablement été le fossoyeur de l’astrologie en dépit de son intérêt pour elle. Avec ses lois, il a creusé le fossé entre les deux disciplines, l’astrologie ne parvenant pas à faire de même de son côté. Kepler avait pourtant tenté de « sauver », de réformer l’astrologie en la délestant notamment de son symbolisme zodiacal et de ses maisons et en se concentrant sur les seuls aspects entre planètes mais il n’a pas compris que les planètes elles-mêmes faisaient problème de par leur diversité conceptuelle irréductible, les aspects créant des binômes entre deux planètes ou plus. Ce faisant, il maintenait une certaine redondance car les informations liées aux différents aspects auraient pu lui permettre de ne conserver qu’une seule planète. En maintenant de concert planètes et aspects, ils entretenait au sein de la pensée astrologique un fâcheux double emploi. Comme tant de réformateurs de l’astrologie après lui, Kepler n’aura pas mené assez loin son travail herculéen de nettoyage des Ecuries d’Augias, en recourant au fleuve Alphée, perpétuant ainsi encore trop de cloisonnements empêchant l’astrologie de monter dans le train de la modernité.
D’ailleurs, ce qui choque le plus pour l’observateur actuel de l’astrologie, c’est la tendance à considérer chaque entité, planète ou signe, comme irréductible alors même qu’une certaine tradition astrologique aujourd’hui peu respectée, visa à une autre époque à établir des classifications, des catégories, à ne plus parler du capricorne mais des signes cardinaux ou des signes de terre. Or, les astrologues actuels ont inversé la démarche et veulent définir le capricorne comme un signe cardinal de terre pour en souligner la spécificité. Les considérations actuelles sur Pluton en capricorne sont symptomatiques : au lieu de relier Pluton à une ou plusieurs catégories de planètes et le capricorne à une ou plusieurs catégories de signes, l’on s’excite sur les effets de Pluton, astre dont on souligne la particularité sur le capricorne, signe que l’on définit dans sa spécificité. Et ce faisant l’on en arrive à des jugements aberrants qui confèrent à la configuration en question une rareté totalement surdimensionnée. A partir de là étonnons-nous que les astrologues échouent dans leurs prévisions. La raison voudrait que l’on associât Pluton à une série de planètes de la même famille comme dans le RET de J.P. Nicola (groupe transcendance du RET) et que l’on rapproche cette configuration de celles liées à Neptune et à Uranus, voire à Mars ou à Saturne et que de la même façon on rapproche le capricorne de la balance ou du cancer autres signes cardinaux ou du taureau et de la vierge, autres signes de terre. Mais évidemment, cela ferait des prévisions moins sensationnelles. Or l’idée sous-jacente des astrologues actuels était de démontrer que l’astrologie avait pris toute la mesure de la gravité de la crise. Et c’est pourquoi ils ont pris tant de risques, jouant leur va-tout sur le cheval de la dite crise, comme au casino…
On ne cessera pas de le répéter, l’astrologie a un devoir de concision, de restriction, de rapprochement, de recentrage et elle ne prend actuellement de l’astronomie que son côté foisonnant. Or, toute science se confronte à la complexité en tant que défi à relever, non pas pour se complaire dans la dite complexité mais pour la désamorcer.
La seule façon d’échapper à un tel cercle vicieux, consiste à dire que l’astrologie est au service des hommes et non du ciel, qu’elle est conçue pour améliorer le fonctionnement des sociétés et que celles-ci ont besoin de directives fiables et simples, à l’instar d’une constitution pour un Etat. Autrement dit, il est hautement improbable que l’astrologie des origines n’ait pas effectué des choix très nets, ne prenant du ciel que ce qui lui était utile. Que le ciel soit la source de l’astrologie est une chose, que tout ce qui est dans le ciel concerne l’astrologie en est une toute autre. Ce type d’erreur de raisonnement est classique chez les historiens des textes, des langues : sous prétexte que l’on sait d’où vient une chose, on l’assimile à tout le contexte dont elle est issue. Ce n’est pas parce que l’anglais a massivement emprunté au français qu’il est réductible à la langue française et surtout au français actuel ! Il y a là un obstacle épistémologique qui empoissonne depuis longtemps la pensée astrologique, laquelle non seulement ignore quelle est la voie qu’elle doit suivre mais en outre a une vision fantasmatique de ses fondements.
[1] En dehors des années 1953-1954, sous l’influence austro-allemande., un à Paris et un autre à Strasbourg.