Considérations critiques sur la Cryptozoologie
La cryptozoologie a été définie par le zoologue Bernard Heuvelmans (1916-2001) – dont ceux qui furent adolescents dans les années 60 connurent les qualités pédagogiques de son émission de télé « Sherlock au Zoo » – comme « l’étude scientifique des animaux cachés, c’est-à-dire des formes animales encore inconnues, au sujet desquelles on possède seulement des preuves testimoniales et circonstancielles, ou des preuves matérielles jugées insuffisantes par certains. »
Si la discipline n’a jamais été reconnue par l’université, elle n’en n’a pas moins drainé de nombreuses recherches de qualité scientifique. Mais, parmi les amateurs, et tout en reconnaissant la bonne foi du plus grand nombre, on trouve, outre quelques faussaires, bien des naïfs et des farfelus. Comme dans d’autres domaines qui ne sont pas forcément tous des « sciences en devenir ».
Et c’est en cela que le « coup de gueule » de Lorenzo Rossi est notable : sa critique dépasse bien la seule cryptozoologie ; l’exemple est transposable à l’ensemble des parasciences et à la façon dont les sujets y sont souvent traités.
LE BIGFOOT DU VERMONT : UN BEL EXEMPLE DE PAREIDOLIE
ET DE MAUVAISE CRYPTOZOOLOGIE
J’ai longtemps pensé que le plus important (et, malheureusement, insurmontable) écueil à ce que la cryptozoologie soit acceptée comme un sujet de science officiel était la grande incompétence de la majorité des cryptozoologistes (ou, plus exactement, de ceux qui se sont autoproclamés tels).
Appartiennent habituellement à cette catégorie des gens qui, bien que possédant parfois quelque connaissance scientifique, pointent du doigt les universitaires et se plaignent de leur point de vue – parce qu’il est insensible aux secrets que recèle encore la nature.
Les résultats d’une telle attitude sont bien connus des rares personnes qui ont décidé de se consacrer à la cryptozoologie de façon plutôt sérieuse et scientifique.
Toutefois, cette discipline continue à être considérée comme une banale chasse aux monstres ; et la plupart des livres, sites et blogs sur le sujet sont plein d’absurdités et d’informations rapportées en dépit du moindre bon sens.
Le dernier exemple est dû à Craigh Woolheater et concerne un bout d’article [générateur, toutefois, de très très nombreux commentaires] intitulé « Un appareil photo à déclenchement automatique du Vermont a-t-il saisi l’image d’un bigfoot ? »
Le bigfoot est [l’équivalent ricain du yéti.]
Tout aussi incroyable que cela puisse paraître, son contenu n’apporte aucune information sur la ridicule image déclarée être la photo d’un bigfoot, mais seulement le fait qu’un talk-shaw radio venait juste d’en révéler l’existence.
Pour l’instant, je ne saurais dire ce que la photo montre effectivement, mais peux seulement décrire ce que les nigauds on cru ou voulu voir… Un bigfoot qui s’est baissé pour attraper son petit !
Au-delà de cette image controversée et de l’agrandissement d’un détail incompréhensible et flou, M. Woolheater ne rajoute rien d’autre qu’un laconique « Vous pouvez lire les détails relatifs à l’examen de cette photo, accompagnés d’une analyse du Dr Bruce MacCabee, sur le site SquatchDetective. »
Est-il bien utile de signaler que ce lien nous amène sur quelques pages délirantes dans lesquelles un type rampe de façon ridicule devant l’objectif de l’appareil automatique pour montrer que le sujet qui a été photographié, le prétendu bigfoot, est un peu plus gros qu’un être humain…
PAREIDOLIE : VOIR CE QUE VOUS VOULEZ VOIR
Le terme paréidolie désigne la tendance innée à reconnaître des formes connues dans des images irrégulières, floues, ou indéfinissables. Un exemple classique : regarder des nuages et y voir des oiseaux, des dragons ou des châteaux…
En ce qui concerne ce prétendu bigfoot, la paréidolie – associée à l’absence totale de connaissances zoologiques – a joué un rôle important.
Selon ces « chercheurs », la photo montrerait en effet la tête, le dos et le bras d’un bigfoot accroupi (peut-être pour attraper son petit).
Et il n’y a certainement pas besoin d’avoir une grande connaissance zoologique pour remarquer que le sujet photographié est une chouette, plongeant probablement sur une proie.
Les ailes, la queue, la tête et le dos de l’animal sont nettement visibles, et tout autant l’évidence que le sujet n’est pas posé au sol ; plus près de l’appareil photo, il donne ainsi l’illusion d’être plus gros qu’il ne l’est.
Tant que le niveau de ceux qui popularisent la cryptozoologie restera à ce stade, comment peut-on espérer que cette discipline puisse avoir l’attention qu’elle mérite du monde académique ?
Lorenzo ROSSI – Editeur du site Criptozoo et auteur de « Gli ultimi Neandertal »
Un article de Lorenzo Rossi adapté de l’anglais par Michel Moutet pour les Chroniques de Mars #4, mai 2011.