À l’ origine, celui qui dessine ou peint s’attribue les pouvoirs
de ce qu’il représente et ainsi se différencie de ses congénères.
Michel Fornasero
A fortiori, quand le code scriptural se complique, le scribe, et plus tard le calligraphe, voient leur pouvoir se glorifier. Ainsi Amenhotep fils d’Hapou, calligraphe du pharaon Amenhotep III, devint vizir et architecte du tombeau royal et fut considéré comme un dieu à l’époque ptolémaïque. De même, les premiers soignants ayant eu l’idée de faire pousser des plantes puis de les élever dans un pot appartenaient à la catégorie des guérisseurs possédant parfois un rôle chamanique ou magique. En brossant rapidement l’historique de ces deux disciplines, on constate qu’il existe un lien permanent et étroit avec le développement des pouvoirs politiques, religieux ou gouvernementaux.
Les ouvrages religieux même s’ils n’étaient pas lus par une grande partie du peuple, analphabète, étaient au moins estimés pour leurs illustrations. Cette admiration allait jusqu’à la vénération pour ces ouvrages, rares, et donc de haute valeur. Imaginez ce que pouvait représenter la possession d’un manuscrit pour un clerc de l’église dans un village éloigné d’une ville.
De la sorte, une collection ou pour les plus modeste la présence d’un bonsaï dans un jardin ou dans un intérieur était une marque d’élévation sociale et donc de pouvoir.
Cette supériorité dont le signe était la possession d’une œuvre artistique, bonsaï ou ouvrage calligraphié, indiquait un pouvoir. Elle traduisait l’accès à la connaissance, au beau et la communication avec le sacré.
Les premiers détenteurs de cette force furent les religieux car leur rôle social était de posséder et de divulguer un savoir ésotérique. Pour signifier ce statut et montrer leur toute puissance, ils ont besoin d’attributs, la « belle lettre » est reconnue par tous, mais seul celui qui la lit possède le pouvoir… De même celui qui sait maintenir en vie la nature sous forme d’un arbre dans un pot possède un pouvoir magique et surnaturel aux yeux des mortels.
Le pouvoir appartient également à celui qui détient la force physique ou à celui qui par force ou par reconnaissance est monté en haut de l’échelle sociale. Il existe une influence réciproque entre le pouvoir gouvernemental et le pouvoir religieux, parfois ils se confondent, dans les théocraties par exemple. Il existe donc une lutte permanente entre le pouvoir physique et le pouvoir spirituel qui utilisent tous deux le savoir intellectuel. La prévalence de l’un sur l’autre retentit sur les courants artistiques. Actuellement, l’influence matérielle tend à l’emporter sous forme de puissance économique et le siècle « mystique » espéré par André Malraux ne semble pas encore être né.
L’évolution de l’art est en corrélation avec le contexte historico-politique.
L’art est une arme de propagande.
Le message gravé sur le monument romain diffuse l’image de grandeur de l’empire.
Le mécène l’utilise pour médiatiser sa bienfaisance.
Le possesseur d’un jardin diffuse l’image de son contenu, force ou raffinement.
Le pouvoir cherche à être obéi et soutenu, aussi, est-il bon d’émettre une image imposante par son érudition et son impression de puissance, mais aussi séductrice par son esthétique et la suggestion qu’elle instille ?
L’art peut constituer un ensemble de repères pour un peuple, tel un étendard dans lequel il se reconnaît – un code de ralliement.
Les pouvoirs fixent les symboles et les critères esthétiques dans les arts officiels, dont celui naissant de la calligraphie.
Les changements dans les graphismes des alphabets accompagnent l’évolution esthétique générale. Les rondeurs romanes se retrouvent dans l’écriture onciale tandis que la rigidité des cathédrales gothiques se retrouvent dans les écritures homonymes
L’utilisation d’une « belle écriture » accroît la puissance du pouvoir démontrant ainsi sa connaissance et sa maitrise du beau et par-delà le contact avec des puissances supérieures.
De même, en Orient l’influence qu’elle soit confucianiste ou taoïste transforme la vision de l’univers. Au-delà, le bonsaï, représentation de la nature suit la fluctuation des courants de pensée en vigueur.
Simple plante dans un pot il devient objet de vénération par le pouvoir symbolique acquis au cours des siècles. L’espèce en elle-même est symbole, vitalité pour le pin, vertu pour le cerisier… Mais la forme du tronc, la répartition des branches l’aspect de l’écorce, suggèrent également des qualités de vie symboliques.
Rôle social de l’art
L’art est un vecteur d’information, mais également une remise en cause des acquis intellectuels à travers la vision de l’artiste. Il expose sa vision du monde, volontairement ou non il influe, fait réagir et donc transforme son public.
Le bonsaï comme la calligraphie fait partie des arts pratiqués autrefois par des élites sociales et maintenant à la portée de tous. La part symbolique, et au delà, la signification spirituelle, a perdu de sa force et tend à ne plus être enseignée. L’accès au sacré qui devait autrefois passer par un intermédiaire ecclésiastique ou savant est devenu accessible à un plus grand nombre et le développement personnel s’en trouve facilité. La conséquence en est l’augmentation de l’individualisme. La cohésion sociale qui était constituée par le lien religieux et la reconnaissance de ses attributs est devenue pratiquement inexistante. Le rôle de média dévolu à l’art autrefois, a été repoussé vers d’autres fonctions par le développement de la presse puis de la radio, ensuite de la télévision et actuellement d’Internet. Le rôle de l’art actuel est donc reporté dans ce qu’il a de plus symbolique. Il expose une vision de la société et du monde d’un point de vue engagé idéologiquement.
À certaines époques l’artiste était retenu dans son expression ; les codes en vigueur l’empêchant de s’exprimer pleinement. Les valeurs sociales (vices, vertus, tabous, idéaux…) devaient être véhiculées par l’art. Actuellement, l’artiste peut exposer une volonté de rupture esthétique, dans le but de dénoncer un travers social. Il est confronté au respect d’un ensemble de signes pour engager une communication avec le public, il réinvente un langage, toutefois il doit garder l’aspect symbolique et sacré de son travail pour prétendre rester un artiste.
La calligraphie et le bonsaï possèdent bien cette relation avec le sacré.
La calligraphie, parce qu’elle fige la parole possède la puissance magique de la matérialisation du dit.
Le bonsaï, parcequ’il représente un flux d’énergie de la terre au ciel, relie la matière à l’esprit.
Le développement fulgurant des technologies depuis le milieu du XIXe siècle, en améliorant les conditions de vie, a facilité les échanges commerciaux et l’accès du public à des techniques autrefois sophistiquées. C’est pourquoi il est important de connaître les origines de ces disciplines pour mieux comprendre leur fonctionnement actuel. La paléographie permet de situer un style d’écriture dans le temps et par là même sa valeur historique.
L’histoire du bonsaï révèle les critères esthétiques et philosophiques chinois puis japonais, modifiés actuellement par l’influence occidentale.
Michel FORNASERO – Les Chroniques de MARS, numéro 7, novembre 2011.
(extrait du livre publié aux éditions ARQA).
BONSAÏ et CALLIGRAPHIE – Orient-Occident # 2
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Michel Fornasero – Bonsaï et Calligraphie – Orient-Occident.
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