Dans le débat actuel sur tropicalisme et sidéralisme, nul ne conteste que le calendrier soli-lunaire ait servi de référence, comme « source » mais il convient également de comprendre qu’une construction est bien rarement réductible aux matériaux auxquelles elle recourt. Entendons que dans le cas de l’astrologie les 12 mois du dit calendrier ont probablement servi de point de départ et que cela a laissé des traces.
Ces traces, nous les trouvons tant dans le symbolisme zodiacal que dans celui du Tarot, pas de façon systématique certes mais suffisamment pour que le doute ne soit guère permis.
Nous avons déjà par le passé regretté que l’iconographie des almanachs ne soit pas familière aux astrologues et notamment aux tropicalistes qui ne cessent de se référer aux saisons dont en effet tient compte le zodiaque soli-lunaire. Si le tropicalisme avait si fortement marqué l’astrologie, on aurait un zodiaque certainement plus proche de l’iconographie des almanachs que ce n’est le cas. En revanche, dans l’hypothèse sidéraliste, il n’y avait guère de raison de s’en tenir à un symbolisme saisonnier rigoureux.
Dans le cas du symbolisme zodiacal, la dimension saisonnière est à la fois trop présente pour que l’on puisse la nier mais pas assez pour que l’on puisse affirmer que le zodiaque relève d’une référence constante au dit calendrier. Le cas du signe des Gémeaux témoigne au contraire d’un tel éloignement par rapport à la source. Originellement, en effet, on avait affaire à un couple d’amoureux en l’honneur du mois des amours, le « joli Mai » mais cela a évolué vers des « jumeaux », ce qui indique une évidente distanciation par rapport au dit calendrier, on coupe ainsi les liens avec le référentiel saisonnier, en précisant que les almanachs nous parlent de la façon dont la vie des sociétés est rythmée et non du seul processus de la nature, d’où un objet comme la coupe qui correspond au verseau. On trouve donc dans le symbolisme zodiacal deux signes directement issus des almanachs : le verseau et les gémeaux. On pourrait certainement en trouver d’autres mais on aurait bien de la peine à y inclure le signe du lion absent des almanachs qui traitent des animaux domestiques et non des sauvages. On note aussi que le porc qui figure dans l’iconographie des almanachs est absent du zodiaque occidental (il figure dans le zodiaque chinois, lequel comporte nombre d’animaux familiers, à l’exception du dragon), comme le lapin dont c’est actuellement l’année.
Dans le cas du tarot, la référence aux almanachs nous semble en fait plus marquée : on a le bateleur qui correspond comme le verseau au mois de janvier, mois où l’on festoie devant la cheminée, on a l’amoureux qui comme les gémeaux correspond au mois de mai. Mais on peut aussi associer le chariot à la charrue et la mort à la moisson (du fait de la faux). Quant au pendu, l’on pense au porc ,comme cela apparaît dans les Grandes Heures d’Anne de Bretagne (manuscrit latin de la BNF 9474, folio 15), pour le mois de décembre. 1] mais aussi dans le bréviaire d’Ercole I d’Este, (Bib Modéne, Estense, Latin 424). La coutume voulait que l’on suspendît le porc la tête en bas afin de le dévider de ses intestins. Il pouvait être comme pendu sur une échelle ou à un crochet et son sang coulait ainsi dans un baquet. Il semble que les historiens du Tarot n’aient pas effectué un tel rapprochement[2]. Or, la configuration du Pendu du tarot évoque très fortement la structure d’une échelle. Mais là encore, si les recoupements existent indéniablement, l’on perçoit aussi à quel point le symbolisme du Tarot s’est ouvert à d’autres influences, à l’instar de ce qui s’est passé pour le zodiaque.
En conclusion, nous soulignerons que le sort du zodiaque et du tarot témoignent assez nettement de ce que le tropicalisme saisonnier n’était plus qu’un reliquat, qu’un vestige au sein de ces deux séries d’images. Etonamment, ces astrologues qui se disent tropicalistes ne font guère d’effort pour démontrer le « tropicalisme » du Zodiaque au point, on l’a dit de se désintéresser d’une iconographie à caractère ‘tropicaliste » comme celles des almanachs. Certes, leur interprétation de la psychologie des signes est-elle marquée par le cycle saisonnier mais elle est décalée par rapport au symbolisme zodiacal et tarotique. Nous avons signalé dans un précédent texte que les divisions des signes selon les 4 Eléments ne respectait aucunement le référentiel zodiacal à commencer par le fait qu’il n’y a plus alors que trois signes pour quatre saisons et cela vaut aussi pour les doubles domiciles des planétes dont le moins que l’on puisse dire est qu’il ne s’articule point sur une logique saisonnière (les deux domiciles de Mars, par exemple, sont dans deux signes appartenant à des saisons opposées).
Le tropicalisme est probablement à l’origine de l’astrologie et il est normal que l’on en trouve des traces mais il ne concerne qu’une proto-astrologie qui donnera naissance à une astrologie sidéraliste, dès lors que l’on aura appris à distinguer planètes et étoiles, découvrant, il y a plus de 2000 ans, ce faisant l’existence de planètes « lentes » comme Jupiter et Saturne. Là encore le couple des luminaires sera remplacé par le couple Saturne- étoiles fixes , selon une division en 4 calquée sur celle des semaines.
Nous dirons donc que l’on ne saurait réduire les choses à leur source première pas plus qu’une cathédrale aux pierres dont elle est construite. Cette tendance à ramener les choses à leur état initial est souvent de grossières erreurs d’appréciation, tout comme le fait de réduire le français au latin. Le probléme, c’est que l’on trouve toujours des indices favorisant de telles filiations et qu’il est tentant de les monter en épingle alors qu’un travail de transformation considérable a été entrepris pour parvenir au résultat final.
Il nous semble donc que tout indique que l’astrologie, proprement dite, a renié ses origines tropicalistes, a vidé les structures de départ de leur sens, comme on vidait les porcs de leur sang et donc qu’elle aura par la suite accueilli d’autres influences avec la plus grande désinvolture. Certains astrologues ainsi préfèrent ne pas trop explorer les sources du zodiaque pour ne pas risquer de parvenir à un tel constat. Ils se contentent de constater de quand datent les premiers zodiaques sans se demander d’où sont issus ces premiers zodiaques et finalement ils préfèrent présenter le symbolisme du zodiaque comme une structure sui generis et d’un seul tenant, n’hésitant même pas à parler d’archétypes sans prendre la peine d’en rechercher les sources, le terme archétype signifiant ce qui est au commencement. Et le tour est joué !. .
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Jacques Halbronn
[1] La vie dans les campagnes au Moyen Age, à travers les calendriers, par Perrine Mane, Paris, ED. de la Martinière, 2004, pp. 190 et 198.
[2] Voir nos recherches sur l’ Histoire de l’astrologie et du tarot, Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1993