En 1979, voilà donc plus de trente ans, nous avons publié les Actes d’un colloque tenu en 1977, sous le titre « Aquarius ou la Nouvelle Ere du Verseau » (Ed. Albatros /Autre Monde) auquel presque tout le gratin astrologique avait contribué. Un tel ensemble est révélateur de la vie astrologique de l’époque et du rôle moteur qu’y jouait le MAU. (fondé en 1975, par un « jeune » de 27 ans.). Il ne semble pas que de nos jours, on puisse imaginer un tel cas de figure chez des jeunes du même âge, du moins dans le milieu astrologique. Nous n’étions pas le seul à l’époque et il faudrait citer Patrice Louaisel, né en 1945, qui fut à l’origine d’une autre structure, le GERASH. Mais ce n’est pas le lieu d’aborder ces questions. Il reste que le Colloque de septembre 1977, qui se tint dans la grande salle du FIAP (Jean Monnet), rue Cabanis fut un événement remarquable. Nous avons les bandes de ce congrès et tôt ou tard nous les mettrons sur nos sites 1].

L’on sait que la question des ères précessionnelles a été largement adoptée en dépit du fait qu’elle renvoie aux constellations alors que la plupart des astrologues occidentaux se veulent «tropicalistes ». Etant donné que la question de la précession des équinoxes est revenue récemment sur le tapis, il nous a semblé opportun de reprendre le dossier [2] qui avait été abordé lors du congrès « L’ astrologie et le monde » de 2004, 27 ans plus tard, par Christian Lazarides et Evelyne Lacour [3],thème qui fut cher à Jean-Charles Pichon.

Que vaut le dossier des ères précessionnelles au regard de l’Histoire des Religions ? Etrangement, les tropicalistes nous disent que l’on connaît le phénomène depuis le deuxième siècle avant notre ère, avec Hipparque mais cela ne les empêche pas d’indiquer que le point vernal, en changeant de constellation, aura provoqué ou en tout cas coïncidé avec une évolution majeure du symbolisme religieux, notamment avec le passage des statues de bœuf/taureau à des statures de mouton/bélier, puis toujours à des intervalles de plus de 2000 ans, on aborde les poissons, en phase avec les débuts du christianisme. Et ainsi en arrive-t-on à l’Ere du Verseau. Si la précession n’est connue que depuis la veille de l’ère chrétienne, comment aurait-elle pu être prise en compte par des civilisations plus anciennes de plusieurs millénaires ? Rappelons que toute la théorie a pris forme à la fin du XVIIIe siècle, en France, sous la Révolution, non pas chez les astrologues mais chez des historiens des cultes, comme Dupuis, bien avant le temps de Paul Le Cour [4], dans les années trente- quarante du siècle dernier

Nous avons, pour notre part, beaucoup de doutes sur la valeur d’une telle théorie [5] mais on ne saurait ne pas aborder une telle question à commencer par le fait qu’elle semble confirmer le symbolisme zodiacal, bien que les constellations se meuvent à l’inverse de l’ordre « normal », d’où le terme assez barbare de « précession », par opposition à « succession ». si bien que le point vernal aborde la fin d’une constellation en quittant le « début » de la constellation précédente, à rebours de la marche des planètes et des luminaires.

Il ne semble pas, au demeurant, que le symbolisme zodiacal tel que nous le connaissons ait déjà été connu il y a 4000 ans, quand on « passa » du taureau vers le bélier, du moins aux dires de certains. Deux positions sont en présence : celle de ceux qui considèrent que certaines sociétés changèrent délibérément de « totem » au vu d’un changement dans la position du point vernal (axe équinoxial) et celle de ceux qui pensent que ce processus se produit et se poursuit de façon subconsciente/inconsciente, tout comme nous subissons notre thème natal sans nous intéresser aux configurations célestes. Pour l’avènement de l’Ere du Verseau, à entendre la plupart des partisans de la dite théorie, le processus s’imposerait au monde et ne serait donc pas le fait d’un changement volontaire et en connaissance de cause. Ce serait donc la seconde position qui aurait fini par l’emporter. Dès lors, même si nos aïeux ignoraient la précession des équinoxes, celle-ci aurait pu néanmoins jouer à leur insu à l’instar de Neptune ou de Pluton.

La théorie des ères est fondée, historiquement, sur le glissement des motifs animaux au cours des âges. Il y eut certainement un « eurêka » quand quelqu’un découvrit que de tels changements, en Egypte, notamment, coïncidaient avec un certain phénomène astronomique. Passage d’Apis, dieu à tête de Bœuf à Amon, dieu à tête de bélier. On notera que l’on nous parle ici d’un moment très précis, qui n’est ni le début du culte d’Apis ni la fin de celui d’Amon mais bien qu’il s’agit d’une transformation du symbolisme dominant.

Serait-ce donc la preuve du caractère universel, « archétypal » de la symbolique zodiacale qui prendrait ainsi sa revanche sur la symbolique des dieux ? Il faut en effet, au regard de l’Histoire de l’Astrologie, situer le cycle précessionnel dans le cadre d’une dialectique entre deux symboliques. Tout au long du XXe siècle, l’on peut suivre les tentatives des deux « camps » pour prendre le dessus ou pour évacuer, disqualifier l’autre camp.

I Le camp de planétaristes

Au profit de ce camp, plaçons la « théorie des Ages » telle que notamment développée par Jean-Pierre Nicola, selon laquelle l’être humain, au cours de son développement psychique passerait par une série de stades en rapport avec l’ordre des planètes du système solaire, de la plus rapide à la plus lente.

Nicola, par ailleurs, développe le système RET permettant de définir et de classer les planètes d’après leur distance, leur vitesse de révolution.

En Astrologie Mondiale, l’indice cyclique ou de « concentration planétaire » se dégage du découpage zodiacal tout comme l’étude des intercycles comme Saturne-Neptune.

Michel Gauquelin ne retient aucun rapport avec le zodiaque dans ses statistiques lesquelles font ressortir l’importance des positions planétaires notamment à l’horizon et au méridien du lieu de naissance, pour une heure donnée.


II Le camp des zodiacalistes

A partir des années Trente du XXe siècle, on trouve dans les horoscopes de la presse, des classements par signe.

Toute une littérature sur les 12 signes se répand, notamment à partir des années cinquante – mais est attestée déjà précédemment (voir les collections de la Bibliotheca Astrologica) quand paraissent les petits volumes des éditions du Seuil [6]- le public se familiarise avec la notion d’ascendant, ce qui donne des combinatoires de deux signes (avec le signe solaire).

Avec l’Astrologie Karmique, à partir des années 80, l’on apprend à s’intéresser à l’axe des nœuds lequel s’articule sur des polarités entre signes zodiacaux opposés.

L’Astrologie Mondiale actuelle, en ce début de XXIe siècle, s’intéresse fortement au signe où se trouvent successivement les planètes lentes (ex. Pluton entrant en capricorne).

Notons que Jean-Pierre Nicola a également apporté sa contribution à une relégitimisation du découpage tropique en 12 signes, parallèlement à son travail sur les planètes.(zodiaque réfléxologique)

A la lumière de ce bref récapitulatif, l’on situe mieux l’enjeu représenté par l’intégration dans le corpus astrologique de la théorie des ères précessionnelles, laquelle se passe parfaitement des planètes, remplacée, en quelque sorte, par le curseur qu’est le « point vernal », lié au cycle saisonnier qui est réputé sous-tendre le zodiaque L’attente actuelle ou la célébration de la nouvelle Ere du Verseau- cela dépend des calculs- ne peut que sensibiliser le public à la symbolique zodiacale, dans le domaine de l’Astrologie Mondiale…

Pourtant, une telle symbolique, a priori, semble assez peu attractive en comparaison du panthéon des divinités planétaires, encore qu’il faille tenir compte de toute une exégèse en prise sur la succession des signes, ainsi que du classement des signes selon les planètes en domicile (avec Uranus trônant en Verseau, par exemple), les Quatre Eléments, de leur position dans le cadre d’une saison (cardinaux, fixes, mutables), de la mise en rapport du signe et de la maison etc. Mais comme on l’a dit, avec la précession, les signes se suivent en sens inverse…. Il n’en reste pas moins que le zodiaque est parvenu à occuper une position centrale au sein du dispositif astrologique puisque tant les planètes que les maisons lui sont associés, outre le cycle saisonnier et le cycle soli-lunaire des 12 mois. Mais tout cela constitue un ensemble assez bancal et constitué syncrétiquement au cours des siècles, comme nous avons eu amplement l’occasion de le montrer dans de précédents textes du présent « Journal de bord d’un astrologue ». On pense d’ailleurs à ces « roues » astrologiques qui plaçaient sur des cercles concentriques ces différents réseaux de correspondance et qui sont souvent reproduites, de nos jours, sur les pages de titre d’ouvrages consacrés à l’astrologie ou/et à la divination.

Au vrai, l’idée d’une humanité se donnant des « totems » en rapport avec le mouvement du ciel nous semble en soi très concevable. Que ce processus se soit progressivement « inconscientisé » ne nous géne pas non plus. Mais c’est dans les détails que cela coince. D’abord parce que nous sommes là sur le très très long terme de plusieurs siècles (2160 ans) alors que nous prônons un très court terme de quelques années, pour que cela fasse sens au niveau socio-anthropologique, à celui de l’organisation de la Cité. On peut en effet accepter qu’une certaine cyclicité relativement brève ait servi comme marqueur social et ait fini par être intégré subconsciemment, mais ce n’est pas du tout le cas avec des cycles qui débordent très largement le cadre d’une vie humaine, au sein d’un cycle global de 25920 ans. Il ne suffit pas en effet que l’on traverse une phase mais qu’une phase revienne au bout d’un certain temps. Ce n’est pas là une astrologie à l’échelle humaine. Or, pour nous, l’astrologie est historiquement une tentative pour humaniser l’astronomie.

Mais comment dès lors expliquer ce passage du taureau au bélier chez les dieux égyptiens et l’usage, en tant que signe de reconnaissance, des poissons chez les premiers Chrétiens ( l’acrostiche ICHTUS, le poisson, désignant Jésus Christ, fils de Dieu, sauveur ».) ? Rappelons qu’à l’époque de Dupuis, celle de l’Expédition d’Egypte, on rapporta le « Zodiaque de Dendérah » que l’on commença par dater très anciennement, sur la base de la précession des équinoxes pour en arriver à la conclusion qu’il était relativement récent (-50), on trouve, en effet, sur le Temple, les noms d’empereurs romains. Dupuis consacra d’ailleurs toute une étude à ce monument, conservé au Musée du Louvre.

En fait, nous pensons que dans un premier temps, c’est le fait que l’ordre zodiacal normal n’ait pas été respecté par les Egyptiens qui a pu interpeller certains historiens soucieux d’appliquer une grille céleste sur les données socioreligieuses, dans l’idée de fonder l’Histoire sur des bases « scientifiques », bien avant la Nouvelle Histoire et l’Ecole des Annales dans les années Trente du XXe siècle. Le « eurêka » auquel nous faisions allusion plus haut a probablement été de découvrir que l’ordre des symboles zodiacaux s’inversait dans le cadre de la précession des équinoxes, ce qui permettait, in extremis, de rendre compte de l’inversion de l’ordre zodiacal normal, celui qui était censé s’articuler sur le cycle des saisons. Il faut dire que les astrologues actuels auraient bien du mal à relier la symbolique zodiacale telle qu’elle se présente avec celle de l’iconographie des 12 mois de l’année telle qu’on la connaît à travers les Livres d’Heures et les Almanachs. A propos d’inversion de sens, rappelons que la numérotation des maisons astrologiques habituellement en vigueur, va, quant à elle, en sens inverse du mouvement des astres : une planète passe ainsi de la maison XI à la maison X et de la maison X à la maison IX et ainsi de suite. Autre bizarrerie, le fait que l’on associe souvent Uranus à Mercure et Neptune à Vénus alors même que dans le nouveau dispositif des domiciles, en place depuis le XIXe siècle et se substituant à celui que l’on trouve dans la Tétrabible de Ptolémée, Uranus occupe un signe de Saturne (le verseau) et Neptune un signe de Jupiter (les poissons) : quel est donc le « bon » sens ?

Quant à la symbolique du Verseau, elle a fait l’objet d’interprétations assez étonnantes. Outre le fait que ce signe est classé parmi les signes d’air, en dépit de son côté « liquide » (on verse de l’eau, Aquarius), certains commentateurs ont vu dans la représentation de l’onde, un rapport avec les « ondes » radio, d’où une association avec l’électricité, l’électronique, le progrès technologique, ce qui permettait de mettre le signe en rapport avec notre époque qu’il est censé, précessionnellement, désigner (Aquarius Age). Or, Paul Le Cour, l’auteur d’un ouvrage majeur sur l’Ere du Verseau, dans les années Trente[7], a raison de rappeler qu’Aquarius est Ganyméde, l’échanson qui sert à la table des dieux de l’Olympe (voir la scéne des Très Riches Heures du Duc de Berry). La table est incontestablement le symbole du mois de février et en fait du début de l’année, on la retrouve dans la première arcane majeur du Tarot, le Bateleur. Mais elle est aussi la table de la Céne, dernier repas que Jésus-Christ prit avec les douze apôtres le soir du Jeudi saint, avant la Pâque juive, de la célébration juive de la Sortie d’Egypte (Pessah). Comment se fait-il d’ailleurs que cette symbolique hivernale de la Table en vienne à correspondre au début du printemps ? Il est probable que lorsque l’on voulut faire débuter l’année au printemps, l’on récupéra l’imagerie de la table, laquelle désignait le début de l’année. On notera que Janus (qui a donné janvier), veut dire la porte et que la table est une porte mise à la verticale. (autrefois, on la plaçait sur des tréteaux et elle ne restait pas posée en permanence, pas plus d’ailleurs que les lits, qui sont également faits de planches posées sur des supports).

Autrement dit, le zodiaque n’est pas un ensemble de signes ayant leur propre identité, mais renverrait à des scènes bien plus riches et signifiantes dont il ne serait que l’expression emblématique. Raison de plus pour ne pas leur conférer sous la forme qui nous est parvenue une quelconque valeur matricielle. Etrangement, l’avènement du verseau, dont la symbolique est en fait celle de Noël (date de la naissance de Jésus)– car elle se confond avec celle du mois de janvier – des réveillons en famille, pendant de la Cène pascale, correspondrait à une involution, ramenant au point de départ de l’année, on serait ainsi passé du printemps vers l’hiver ! En ce sens, le symbolique revisitée du Verseau s’inscrit sans difficulté dans l’Evangile et fait au moins autant sens que celle des poissons.

[
Jacques Halbronn

[1] Le problème, c’est que nous n’avons pas l’appareil pour lire ces bandes.

[2] que nous avions déjà traité notamment sur le site du CURA

[3] Voir les enregistrements sur teleprovidence com

[4] Voir le débat sur Baglis TV avec Jacques Grimault (Atlantis)

[5] On lira notre introduction à « Aquarius » à titre de comparaison avec nos positions actuelles.

[6] André Barbault qui est chargé de cette collection participe donc aux deux courants, zodiacaliste au niveau individuel et planétariste au niveau mondial.

[7] Voir notre ouvrage, La vie Astrologique, années trente-cinquante, Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1995