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Il faut rendre manifeste ce qui est caché, et occulte ce qui est manifeste.

En cela seul consiste l’œuvre des sages.

Bernard Le Trevisan

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La pratique de l’Alchimie opérative reste sans aucun doute, dans notre époque de matérialisme forcené, l’une des choses les plus obscures et les plus énigmatiques qui soit. Pour les scientifiques, elle apparaît comme une antique science désuète empreinte de chimères moyenâgeuse et de vieilles lunes rappelant les âges obscurs…

pcurie.jpg Néanmoins, de Newton à Pierre Curie, bien d’entre eux s’y adonnèrent. Pour les historiens, peu regardant, il s’agit tout au mieux de réminiscences gothiques que le siècle des Lumières balaya négligemment sans remord…, et pourtant jamais aucune époque ne compta autant d’adeptes, philosophes et Rose-Croix.

Si pour les occultistes l’acte suprême de la transmutation des métaux est à positionner au pinacle des sciences maudites, au côté de la Haute Magie et de l’Astrologie, au XIXe siècle, quand Jollivet-Castelot cantonne l’Alchimie à une caricature ancestrale de la chimie, Jung la conçoit lui comme foncièrement restrictive. La sainte science convoque simplement au parloir de l’humanité les archétypes les plus enfouis dans la commune psyché des hommes. Quant à Gaston Bachelard, pour lui, l’Alchimie se résume à une sorte de rêverie poétique sans valeur scientifique. Avec les surréalistes, André Breton en tête, l’Alchimie colporte une imagerie symbolique apte au vagabondage le plus débridé, et c’est par la transcendance littéraire ou artistique que se gagne le pari transmutatoire. A quel prix ? Qu’en pensent les alchimistes eux-mêmes et qu’est-elle donc cette disposition opératoire vis-à-vis de la Nature naturante pour l’œuvrant devant ce théâtre d’ombre ?

Une posture philosophique, une ascèse mystique, une magie incantatoire, une perception gnostique ou encore une pratique spirituelle qui obligent la matière à savamment se plier aux phénoménologies de la raison ? Ou rien de tout cela, mais bien plus communément une disposition de l’être en soi qui attend l’Éveil, comme le pèlerin ému attend avec sérénité la force de la foi qui le pénètre par imbibition, cheminant vers Compostelle, sans hâte ni impatience. Tout advient, sans faille et avec une précision arithmétique, pour qui sait attendre et surtout accueillir.

Dans l’attente : « blanchis ton laiton et brûle tes livres… » nous dit Basile Valentin. Cette phrase si mal comprise, assure pourtant parfaitement la commémoration du « retournement » de l’homme sauvage au sein de la minière, pour peu que l’on sache entr’apercevoir, avec attention, l’esprit derrière la Lettre. Il ne s’agit donc pas d’une quête inutile et bien superfétatoire du dedans vers un ailleurs à élucider, ni même d’une mutation symbolique d’un homme de boue en habit de lumière, un être enchristé tissant un soi-disant « corps de gloire » pour les bienfaits de son âme, mais bien d’une quête de l’accueil de la divinité que l’on reçoit, sans bruit, avec la clairvoyance d’un mineur de fond tapi dans son coron.

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Toute la mystique rhénane d’Eckhart repose sur un tel postulat proposant la divinisation de l’être comme une pénétration du tout vers le soi, et pour tout dire encore, l’affirmation de cet état si malaisé à entrevoir ne peut que se construire dans un équilibre cosmique absolument incroyable où la dualité, tout autant que la non-dualité, se résorbent en une unité principielle forte de toute force. Qui est un et trois, pour que la Rose croît.

Pour Eugène Canseliet, la « technique » alchimique est simple et linéaire, elle exige la sincérité, la résolution et la patience, et appelle l’IMAGINATION – hélas…, nous dit le Maître de Savignies, presque totalement abolie chez le plus grand nombre. La voie de l’antimoine, à bien définir tant ses composantes peuvent apparaître variées, est la voie la plus usitée par les alchimistes chrétiens, et nombre d’entre eux furent moines ou clercs et même pape. Le dépôt est arabo-égyptien, mais la transmission opérée au médiéval, en occident chrétien, notamment à travers les cathédrales gothiques et les « demeures philosophales », si chères à Fulcanelli, conçoit cette doctrine universelle comme une pratique mémorielle qui utilise à travers les textes alchimiques parcimonieusement laissés au vulgum un cortège de symboles, toujours répétés à l’unisson, pour enluminer d’or fin les destinées ontologiques de l’homme au sein de son propre parcours existentiel. La vérité est ailleurs…, elle réside ni plus ni moins en une trace de lumière, en filigrane – entre deux espaces – elle est un accès royal occulté dans l’invisible à un univers atemporel replié en cœur et ce, pour mieux atteindre l’intériorité subconsciente des formes manifestées.

3-4.jpg La Table d’Émeraude fait partie au premier chef de notre patrimoine hermétique, elle est la clé de voûte si mystérieuse et si intangible de l’intégralité du corpus alchimique, inspir et expir d’une pratique opérative qui voit dans la dissolution permanente et la reconstruction naturelle de l’essence des formes élémentaires un passeport valide vers les étoiles.

C’est pour cette raison que nous avons le plaisir dans notre nouvelle livraison des « Chroniques de Mars – numéro 3 », de présenter ce texte fondamental de la Tradition du vivant, assorti d’un document inédit calligraphié par Eugène Canseliet et savamment commenté par Cédric Mannu.


Thierry Emmanuel GARNIER // Les Chroniques de Mars
– avril 2011 – décembre 2015.

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Cédric MANNU – LA TABLE D’ÉMERAUDE

Avec un document inédit d’Eugène Canseliet présenté par Cédric Mannu

8.jpg L’ouvrage publié au printemps 2011 et réédité en ce solstice d’hiver est conforme à l’édition originale présentée aux éditions Arqa il y a quatre années.

Le document inédit présenté par les éditions Arqa fut rédigé de la main d’Eugène Canseliet, il comporte six pages manuscrites, calligraphiées comme à son accoutumée par le Maître de Savignies, il est actuellement détenu en archives privées. Tel que nous le permet la loi française (art L122-5), nous le présentons sous forme photographique agrémenté de courtes citations choisies d’Eugène Canseliet. Ce texte inédit de Canseliet intitulé « La TABLE D’ÉMERAUDE » apparaît comme fondamental à plus d’un titre : pour le texte exceptionnel, d’abord, bien sûr, qui illustre l’un des plus anciens manuscrits alchimiques connus remontant à l’Égypte Ancienne, et pour certaines photographies inédites ensuite, présentées dans le cahier iconographique, tant historiques qu’issues du laboratoire, dans la voie de l’Antimoine si chère à Canseliet.

Pour l’alchimie opérative, il convient d’insister sur le rôle de la Rosée. Celle-ci, après avoir été récoltée à l’abri de toute lumière et mise dans des flacons bien lutés, est utilisée pour obtenir les sels de fusion nécessaires à la préparation métallurgique de l’antimoine. Un rayon de soleil, amené au centre du récipient contenant la rosée, à l’aide d’un miroir, permet la concentration de son sel subtil.

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Ce sel est double, sel de potassium et sel d’ammonium (deux nitrates explosifs, définissant sa force). Il convient ensuite de préparer la stibine avec un feu doux de charbon et d’ajouter dans le processus pour obtenir la montée nécessaire en température dans le creuset et la liquéfaction de l’antimoine, les sels et le morceau de charbon qui « mettra le feu aux poudres ». Dans l’idéal, après réitérations sur le même échantillon, on obtient par la suite un beau cône de coulée dont la base est signée par une étoile à cinq branches – signe d’une cristallisation interne, radiante, parfaite.

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Mais laissons-là la voie de l’antimoine, pour aborder l’alchimie égyptienne antique. Louis Boutard – sur lequel plusieurs ouvrages conséquents seraient à découvrir – a déchiffré entièrement le manuscrit de la Chrysopée de Cléopâtre et la Table Isiaque ou « Bembine », donnant par là des aperçus féconds et entièrement novateurs de l’Alchimie.

Il s’agit ici, rien de moins que la création de la vie, avec des réactions produites par courants sexués de magnétisme et d’électricité, mâles – lourds et puissants – et femelles – vives et rapides –, qui conduisent à des réactions comme : > calcaire plus courants d’aether sexué donnent de l’amidon]. Nous passons de la matière inorganique à la matière organisée vivante – et pas simplement de la matière organique qui peut, elle, être toujours aussi inerte que dans la chimie inorganique sans l’intervention providentielle de l’aether…
Signalons encore qu’en guise de conclusion, l’ouvrage que nous présentons ici donne également quelques éléments des découvertes de Boutard quant au rôle du nitre et de l’ammoniaque.

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Par ailleurs, ajoutons aussi que le rôle de la fermentation, et son premier stade dans la germination des graines étant une douce putréfaction contrôlée (rafraîchissante mais point trop), avant le séchage nécessaire, puis le passage dans la terre adéquate, est mis en évidence dans les travaux d’Antoine Béchamp, contemporain de Pasteur – que ce dernier a spolié de ses découvertes…

La nourriture de l’Égypte Ancienne était le pain bière pour la majorité du peuple. L’Égypte connaissait aussi la fabrication du vin, secret qu’elle a légué aux Grecs. La fermentation était donc au cœur de ses pratiques alimentaires, que les prêtres organisaient pour l’alimentation.

Béchamp a mis en évidence le rôle de petits organismes les microzymas, qui peuvent en s’agrégeant former ce que l’on appelle aujourd’hui, à tort, virus ou microbes. On retrouve ces nanobes, archobes, somatides, etc. y compris dans le monde minéral et notamment dans le calcaire – ils sont interrègne. Ce serait faire œuvre utile, et charitable, que de souligner avec force, la relation qu’il y a entre cette découverte et l’alchimie opérative. Mais comprenons déjà que sans la présence de cet indispensable ouvrier, et son apprivoisement au terrain métallique, à la minière élue (et pourquoi pas le calcaire, aussi idoine que l’antimoine), nulle alchimie – juste des recettes sophistiquées de chimie, fût-elle ancienne, qui égarent un peu plus l’aventurier dans le labyrinthe, ne sont envisageables !

La fabrication du pain à partir du minéral permet donc la solution de la médecine universelle. Les mystères du vin et de la bière font tout autant partie des mystères de l’Antique Cérès…, et ces traditions anciennes étant fort bien connues de tous les alchimistes, en dire plus ici, serait donc vraiment outrepasser les bornes de la divulgation.

Cédric MANNULes Chroniques de MARS, avril 2011 ©.

VOIR AUSSI > Cédric MANNU // La Table d’Émeraude – Le vitriol bleu

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 » La TABLE d’ÉMERAUDE  » – LE LIVRE

* * *

1 – Cristallisation de la base chimique d’un nitre particulier, à rapprocher du « Nitre des Sages », prêt à ce stade pour son enrichissement par le nitre vif contenu dans la rosée. Pour plus de détails sur la composition de ce « Nitre vif »
ou double, si particulier, voir sur le sujet l’article d’Eugène Canseliet dans la Tourbe des Philosophes, numéro 8, 3e trimestre 1979 – « Alchimiques mémoires », page 10 et surtout la photographie de la page 13. (Photographie M M.).

2 – Perspectives alchimiques – Le mariage alchimique des régules de Mars et de Vénus. (Photographie M M.).

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LA TABLE D’ÉMERAUDE

« Il est vrai, sans mensonge, certain, & très véritable :

Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ;

et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas,

pour faire les miracles d’une seule chose.

Et comme toutes les choses ont été,

& sont venues d’un, par la méditation d’un :

ainsi toutes les choses ont été nées de cette chose unique, par adaptation.

Le soleil en est le père, la lune est sa mère, le vent l’a porté dans son ventre ;

la Terre est sa nourrice.

Le père de tout le telesme de tout le monde est ici.

Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre.

Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais doucement,

avec grande industrie.

Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre,

& il reçoit la force des choses supérieures et inférieures.

Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde ;

et pour cela toute obscurité s’enfuira de toi.

C’est la force forte de toute force : car elle vaincra toute chose subtile,

et pénétrera toute chose solide. Ainsi le monde a été créé.

De ceci seront & sortiront d’admirables adaptations,

desquelles le moyen en est ici.

C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste,

ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde.

Ce que j’ai dit de l’opération du Soleil est accompli, et parachevé. »


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bb.jpg  » La Table d’Émeraude «  – Planche X de L’Amphithéâtre de la Sagesse Éternelle de Heinrich Kunrath, selon l’édition de Paul Derain, présentée par les docteurs Papus et Marc Haven, Lyon 1957; et forgeron égyptien travaillant l’or, sous la protection du dieu Sokaris, en Égypte ancienne.

THESAVRVS // Adam – Adepte – Aigles – Alchimie – Alchimiste – Argyropée – Assation – Athanor – Chrysopée – Coupellation – Cyliani – Élixir- Élixir de longue vie – Eugène Canseliet – Philalèthe – Fulcanelli – Gnose – Grand Œuvre – Lavures – Macrocosme – Magnum Opus – Mercure – Microcosme – Nicolas Flamel – Œuvre au noir – Œuvre au blanc – Œuvre au rouge – Or – Panacée – Paracelse – Philosophie Hermétique – Pierre Philosophale – Poudre de projection – Régule – Rémore – Soufre – Sublimations – Table d’Emeraude – Teinture – Terre adamique – Transmutation – Unobtainium – Vitriol – voie de l’Antimoine – voie du Cinabre //