ROGER CORRÉARD (1931-2020) – In Memoriam
Sur les traces des Nibelungen
« Je dois cependant faire une mise au point en préalable, la seule et unique archive existante sur Théopolis n’est autre que la Pierre écrite. » Roger Corréard
Suite au départ de notre ami Roger Corréard vers l’Orient Éternel et vers les Plaines diaphanes et enchantées du val de Chardavon, les « Chroniques de Mars » publient ce mois-ci un Numéro Spécial consacré à THÉOPOLIS, la fameuse « Cité de Dieu » telle que la décrivait saint Augustin dans ses écrits et telle qu’eut envie de la réaliser concrètement sur cette Terre le Préfet des Gaules Dardanus. Nos abonnés trouveront également un Dossier entièrement consacré à notre ami Roger Corréard qui accorda, lui, sa vie entière à localiser précisément la mythique Cité de Provence. Par delà l’espace et le temps, tous ses amis lui adressent ici aujourd’hui un dernier adieu prompt à lui faire chevaucher avec amour les nuages.
K2Mars – Dossier préparé par Thierry E. Garnier, Patrick Berlier, Guy Tarade & Alain Le Kern. – Mai 2020.
THÉOPOLIS – La Cité de Dieu
CHARDAVON
Pénétrons donc dans ce mystérieux domaine – l’inscription préfère le terme d’ager – solidement défendu par son écrin montagneux. Ager implique quelque exploitation agricole (à très grande échelle). Quant à locus, il est employé une seule fois, n’en déplaise à l’abbé Chatillon. Théopolis fait rêver d’une ville (polis) bâtie de mains d’hommes à la gloire de (ou des) dieux, d’un espace policé, avec des rues tracées au cordeau et se croisant à angle droit. Or, le lieu propose la rudesse des montagnes coupée de torrents vertigineux, et des barrières naturelles peu hospitalières. Le curieux s’interroge.
Sur le plan de la toponymie, l’ager se place sous le signe de l’Eau et de la Terre, avec la porte d’Entraix au nord et celle d’Entrepierres au sud. La double porte de la Pierre Écrite et d’Entrepierres est contrôlée par la colline de Beaudouze. Sur un plan subtil, la barrière se révèle difficile à franchir. Nul ne peut dire si la propriété débute juste après le défilé d’Entrepierres, ou plus haut, à mi-côte où se situe Mezien, dont le nom rappelle ce parcours particulièrement ardu, ou encore à la Pierre Écrite elle-même.
Celui qui arrive à pied sur le plateau se sent tellement fourbu qu’il demeure dans l’impossibilité de poursuivre sa route. Pourtant les vertes prairies de Chardavon paraissent accueillantes.
Qu’en était-il au temps de Dardanus ? Comment circonscrire les limites de la propriété et situer la « ville », ou plus modestement la villa ?
L’archéologie livre peu de vestiges sur ce site, des tumulus protohistoriques peut-être, des tuiles romaines, en trois points différents… Maigre butin. L’un se situe auprès de Salignac – toponyme placé sous le signe du saule (ou du sel ?), et d’un domaine que l’on pourrait attribuer à l’Antiquité tardive. Nul ne peut confondre ces minces artefacts avec une « ville », ni avec le grandiose tombeau de l’illustre Dardanus. La piste mériterait pourtant que l’on y fouille, au sens premier du terme.
Un monastère (ou un ermitage ?), dépendant de l’abbaye Saint-Victor de Marseille, et rassemblant des chanoines, y fut fondé, à une date largement postérieure à l’arrivée et à l’installation de Dardanus dans les Alpes. Il n’y a presque aucune trace écrite sur cet établissement, mentionné au XIe siècle, et qui eut une annexe à Vilhosc. L’église était placée sous le patronage de Notre-Dame et de saint Jean-Baptiste.
Jean Cassien, l’initiateur de l’abbaye Saint-Victor de Marseille, est, pour sa part, un contemporain de Dardanus. Peut-être se sont-ils rencontrés ? Le moine se réfugie d’ailleurs dans cette ville au temps où Dardanus est préfet en Arles. Il a pour ami Pélage, et comme lui, il fuit la vindicte de l’autorité pontificale. Nous sommes en droit de situer la construction de Saint-Victor de Marseille comme celle de Théopolis dans une stricte synchronicité.
Dardanus a-t-il bâti une coûteuse villa sur le territoire de Chardavon ? Sans doute était-il très riche. Mais cette période de l’empire romain correspond à une phase de crise économique et de récession. Il est rare que des fondations tapageuses voient le jour dans de tels moments, à l’exception de quelques baptistères ou églises funéraires, par la volonté d’affirmation d’une religion nouvelle. Sachons qu’à cette date, la ville de Marseille commence, par rapport à l’Antiquité classique, à se réduire à de petits îlots de peuplement. Comme capitale, Arles doit conserver un faste relatif. Dans les campagnes, les maisons domaniales tombent en ruines et l’on se contente d’un habitat plus ou moins précaire de quelques pièces. À Chardavon, nul n’a retrouvé les vestiges d’une villa d’époque augustéenne, ni de l’Antiquité tardive. Au monastère médiéval, maintenant disparu sans avoir laissé de traces, succède un modeste hameau, dont l’importance fluctue au fil du temps. Aujourd’hui, il se limite à une seule ferme, à un tombeau que l’on ne saurait attribuer à Dardanus, et à quelques ruines.
Rien n’atteste donc la présence du richissime Dardanus. Nul ne sait où le patricien romain a été inhumé. À Rome peut-être ? Au-delà de la porte, il est question de remparts. Chardavon se prête très mal à une défense militaire. Le défilé lui-même assure la protection du site. Il semblerait que l’ex-préfet se soit vanté quant à ses réalisations effectives.
Ce dernier vient d’ailleurs d’abandonner le luxe ostentatoire pour effectuer une retraite. Son souci principal est d’assurer un chemin carrossable pour accéder à son domaine. Impériale, une large voie le traverse de part en part. Mais le mystère demeure entier. Où se situe ce refuge qu’il souhaite dissimuler à tous ? Quel trésor précieux a-t-il en sa possession et digne d’une cachette aussi dissimulée ?
Enfin, le nom de Chardavon suscite la curiosité et invite à la recherche. Son étymologie nous engage dans la voie des supputations. Certains chercheurs font référence à Cardea, la déesse des gonds, à Rome. Le terme de Caer (KR) signifie, avant tout, « pierre », et parfois porte, sous la forme KRD, s’il ne s’agit pas du « chardon », qui nous embarquerait dans une chausse-trappe. À partir du Ve siècle, Caer prend le sens de citadelle. Dès lors, nous pouvons nous orienter vers « la citadelle qui domine la rivière ». Avon peut être considéré comme un mot préceltique désignant un cours d’eau, la Sasse ou la Durance (?). Cette explication aurait le mérite de donner une logique à un tableau qui illustre Théopolis.
Le nom mystérieux implique quelque palier entre le monde des hommes et celui du (ou des) Dieu. Au sein du domaine de Dardanus, la montagne sacrée que suggère cet intitulé demeure le mont Jouere, qui défend le nord-est. Or, le dénominatif a déjà apparemment le sens de « mont ».
Interrogeons-nous aussi sur un surprenant axe est-ouest, jalonné de « pierres ». Il court depuis le Défens de Pierre-Mont, la Pierre du Diable, Pierre Écrite, Pierre Longue. La voie terrestre suit en général cet itinéraire. Chardavon en constitue le gond. Quant à la ligne perpendiculaire, elle part d’Entrepierres vers la Pierre Écrite. Là, à ce pivot, il faut savoir se doter des ailes de l’esprit pour prendre son envol vers le Nord de la Polaire.
Certes, Chardavon appartient au domaine de Dardanus. Comme le souligne Roger Corréard, il s’agit d’une cuvette que l’on peut difficilement défendre. Ce « poste avancé » ne semble être ni le centre ni le cœur de Théopolis, si ce n’est sur un plan subtil. Au sud du hameau, la forêt d’Aigues Champs propose sa verdeur et ses eaux claires coulant en cascade dans des marmites naturelles. Déjà probablement au temps de Dardanus, le lieu se nommait le Pas de la Vache et des cultes à mystères s’y célébraient, dit-on. Quelque gardien du seuil se profile encore parmi les herbages de Chardavon. Sa présence subtile interdit tout passage aux intrus, aux curieux, aux trublions.
En tout état de cause, Chardavon n’a pas encore livré tous ses secrets et l’hypothèse de ce lieu comme la base de l’implantation de Théopolis (…)
THÉOPOLIS – NUMÉRO SPÉCIAL – MAI 2020
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