ENTRETIEN avec Patrice REPUSSEAU # 1 – Auteur de :

« Æ – George W. Russell ou la loi de la gravitation spirituelle »

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Les Chroniques de Mars // Patrice Repusseau bonjour ! … tu es est un poète qui a traduit de nombreux écrivains de langue anglaise, parmi lesquels Conrad Aiken, Charles Chadwick, Truman Capote, e. e. cummings, William Goyen, Lafcadio Hearn, George Orwell, etc. Suite à une expérience bouleversante survenue à quarante ans tu t’es tourné vers les Sages et tu as traduit des auteurs comme Paul Brunton, Ramana Maharshi, H. W. L. Poonja, William Samuel, Lilian Staveley, Purohit Swami et bien sûr George W. Russell, plus connu sous le nom de  » AE « , personnalité inclassable, hors norme, qui nous intéresse aujourd’hui, puisque tu es l’auteur de la première biographie en langue française consacré à ce très grand Initié irlandais ! Parmi tes travaux personnels tu as aussi fait paraître la traduction du « Vasistha Yoga », le « Yoga Suprême », référence incontestée en matière d’Advaita Vedanta (non-dualité), ainsi que les « Chants de l’Éveil » de Rama Tirtha chez Inner Quest, en 2016. Tu as aussi récemment publié « Les Cinq saisons » (Non Lieu, 2016) et « Le Cantique » d’Alain Thomas, essai sur l’univers du peintre nantais (Zunzuncito Éditions, 2018). Tu as aussi traduit « Le Chemin Court : instructions pour l’Éveil immédiat » de Paul Brunton (Les Deux Océans, 2017) et « Le Pouvoir de la Présence », trois volumes de témoignages sur Ramana Maharshi, le grand sage d’Arunachala, (livre à paraître aux éditions Inner Quest). Considérant ton parcours personnel, ton travail de recherche éminent depuis plusieurs décennies, et ton cheminement personnel sur toutes ces voies d’Éveil, inutile de te dire que c’est pour moi un grand honneur, en tant que directeur des éditions Arqa, de te compter parmi les nouveaux auteurs amis des éditions Arqa…, et je tiens ici à te remercier publiquement pour la réalisation de cette très belle biographie consacrée à cet auteur vraiment magnifique possédant une trajectoire incroyable ! D’autant plus magnifique d’ailleurs que c’est un initié… quasiment « invisible », à la fois supérieur quant à sa trajectoire essentielle dans son incarnation en Terres d’Irlande, mais aussi vraiment très discret…, ayant laissé peu de traces dans la mémoire de nos contemporains – et nous pouvons le regretter ! En tout cas cette injustice est maintenant réparée, et de belle manière grâce à toi et à ce très beau livre… Mais revenons à « Æ », c’est-à-dire à George W. Russel lui-même. Pourquoi a-t-il choisi un tel « nomen » pour se faire connaître ?

Patrice Repusseau // Inspiré par cette part spirituelle de sa nature qui tenait du principe suprême, George W. Russell signa un jour « Æon » un article sur le mysticisme gnostique pour The Irish Theosophist, revue des théosophes irlandais. George Russell avait une écriture difficile à déchiffrer. Ne parvenant à lire que les deux premières lettres de ce mot, le « A » et le « E » accolés, l’imprimeur s’en tint à « Æ » et George Russell n’y changea rien, employant désormais le plus souvent ces initiales qu’il finit par préférer à son propre nom car il était convaincu que ce nom lui avait été attribué par le monde invisible et que, en l’occurrence, l’imprimeur n’avait été que l’instrument de puissances supérieures.

Les Chroniques de Mars // A propos du nomen d’Æ, tu as eu la possibilité de travailler et de correspondre depuis longtemps avec John Donohoe, grâce à qui tu as pu publier dans ton livre édité chez Arqa plusieurs documents inédits dont notamment cette remarquable lettre où Æ explique l’origine de son nom. Il y a aussi cette photographie inédite de Æ, aux USA, peux-tu nous commenter un peu ces deux documents inédits et tout à fait importants, et nous dire aussi qui est John Donohoe… ?

Patrice Repusseau // John Donohoe est libraire et thérapeute. Il habite Athlone, en plein cœur de l’Irlande. Lorsqu’il découvrit l’œuvre de Æ, John Donohoe fut saisi, vraiment fasciné par cet Irlandais hors du commun. Il entreprit alors de collectionner toutes sortes de documents concernant cet être d’exception : photographies, articles, lettres, livres, affiches de ses expositions, etc… Il vient même de se ruiner, m’a-t-il dit, en achetant deux de ses tableaux car les toiles que Æ vendait à un prix dérisoire de son vivant, estimant ne pas avoir le droit de gagner d’argent avec un passe-temps, sont maintenant cotées et coûtent cher.

Au fil des ans John m’a fourni une aide précieuse et il a toujours tout fait pour faciliter mes recherches. En 2006, il me fit visiter le Dublin de Æ. Il a même présenté à plusieurs éditeurs irlandais la traduction en anglais de L’île des bardes, le beau livre de Simone Téry dédié à Æ. Je ne sais comment il a pu dénicher cette lettre manuscrite où Æ explique l’origine de son nom de plume !

Lorsqu’il fit ses tournées aux États-Unis dans les années trente, Æ était une figure très connue, ce qui explique qu’on le voie parfois photographié auprès de célébrités comme, par exemple, le milliardaire Otta Kahn, philanthrope, collectionneur et protecteur des arts. Son ami Henry Wallace, futur vice-président de Franklin D. Roosevelt, lui fit faire des conférences sur la coopération agricole dans tout le pays. Il en profitait d’ailleurs pour parler aussi de littérature et même, à l’occasion de spiritualité ! Ses interventions étaient parfois enregistrées. L’une d’elle fut même filmée et envoyée en Irlande.

Les Chroniques de Mars // Comment expliques-tu l’anonymat dans lequel est aujourd’hui tombé Æ ? C’est à la fois une grande injustice et aussi un bien curieux passage à la postérité… Je veux ajouter aussi que cet oubli dans la mémoire des hommes ne s’est pas produit seulement en France, mais aussi en Irlande, et dans les pays de langue anglaise également – c’est incroyable… Peux-tu nous décrire en quelques mots sa trajectoire biographique pour mieux faire comprendre à nos lecteurs qui était vraiment cet homme hors du commun… ?

Patrice Repusseau // À propos d’anonymat, je me permets de te rappeler que Vivaldi était presque inconnu au début du XXe siècle avant les travaux de Marc Pincherle. Quant à Æ, il était l’humilité même. Tout jeune déjà, quand il était comptable dans un magasin de nouveautés de Dublin, son maigre salaire ne l’empêchait nullement de consacrer une importante partie de ses revenus à des œuvres de bienfaisance et à des malheureux dans le besoin sans que personne n’en sache rien. Il n’a jamais recherché la célébrité et ce sont ses grandes vertus qui le portèrent naturellement au pinacle. Même George Moore, si critique à l’égard des uns et des autres, ne parvenait pas à lui trouver le moindre défaut. Il ne fit jamais rien pour se mettre en avant et, à la fin de sa vie, refusa un poste de sénateur dans la jeune république d’Irlande. Il est certain aussi que ses écrits sont d’une trop grande élévation pour plaire à beaucoup de gens dans un monde de plus en plus matérialiste… À ce propos, il ne chercha jamais à imposer ses vues à personnes et parlait fort rarement des pouvoirs yogiques qu’il avait acquis, sachant pertinemment qu’il valait mieux n’en rien dire.

Autre chose, rares sont les travaux de recherche universitaire sur les écrivains mystiques comme Æ ou même Ralph Waldo Emerson qu’il admirait et qui est pourtant très connu.

Pour ce qui est de sa carrière, après avoir travaillé dans un bureau et publié ses premiers poèmes, Æ devint un des principaux responsables de l’Irish Agricultural Organisation Society pour la promotion de la coopération chez les paysans, souvent très pauvres et techniquement en retard. Impressionné par ses talents multiples (peintre, poète, patriote, orateur et comptable très compétent) Sir Horace Plunkett, fondateur de cette société, pensa qu’il ferait un excellent organisateur et l’engagea. Plutôt que d’enseigner la Théosophie à des disciples, Æ choisit d’aider ses frères paysans souvent misérables à trouver la prospérité, la dignité et même la beauté. Il se mit à sillonner l’Irlande afin de réorganiser l’existence des paysans. Il écrivait également dans le journal de l’I.A.O.S., The Irish Homestead, dont il finit par devenir rédacteur en chef. Cet hebdomadaire traitait aussi de politique, de littérature et d’économie, sujet sur lequel Æ devint vite très compétent. Le journal, devenu indépendant, lui permit de publier tous les grands noms de la littérature irlandaise, y compris James Joyce.  Il y publia plusieurs nouvelles de Gens de Dublin. En 1923, après la guerre civile qui fit près de quatre mille victimes, Æ devint rédacteur en chef d’un nouveau journal, The Irish Statesman dans lequel il écrivait sur tous les sujets. C’était déjà une figure nationale. Son influence était alors considérable et il savait que ses éditoriaux seraient étudiés par les intellectuels et les hommes politiques.

Les Chroniques de Mars // Æ a été, de son temps, l’ami intime de William Butler Yeats, le très grand poète irlandais, Grand Maître de la Golden Dawn, prix Nobel de Littérature en 1923. Peux-tu nous parler un peu de leurs relations ? Elles ont été parfois un peu tendues, mais toujours généreuses et teintées d’admiration, d’ailleurs l’épouse de Yeats aura des mots touchants à la mort d’Æ, peux-tu nous les rappeler ?

Patrice Repusseau // Æ avait connu Yeats aux Beaux-Arts de Dublin en 1884 et les deux hommes, tous deux poètes et fascinés par la spiritualité, avaient aussitôt sympathisé. Cependant la foi de Russell dans l’invisible était plus forte que celle de son nouvel ami ; il n’avait pas besoin d’avoir recours à des séances de spiritisme pour se convaincre de la réalité d’un autre monde, car il savait d’expérience qu’il existe des êtres qui nous surpassent en puissance et en sagesse autant que nous-mêmes dépassons l’amibe. De plus, Yeats ne voyait dans James Morgan Pryse, l’instructeur spirituel de Æ, qu’un « hypnotiseur américain », ce qui ne manqua pas de creuser un fossé entre eux. En fait Yeats souhaitait acquérir des pouvoirs et pratiquait la magie tandis que Æ savait le danger qu’elle représentait et n’avait pour objectif que d’effacer son égo afin de permettre au Soi éternel de briller dans toute sa splendeur. Yeats était un « aristocrate » qui habitait une belle demeure, contrairement à Æ, beaucoup plus humble et modeste. Sans s’être disputés, les deux amis ne se parlèrent plus pendant de nombreuses années, mais ils se retrouvèrent à la fin de leur vie. Æ avait commencé par dédicacer le manuscrit de The Avatars « à W.B Yeats, mon plus vieil ami et ennemi », mais il se ravisa au dernier moment pour ne conserver que le mot « ami » ! À l’enterrement de Russell, l’épouse de Yeats déclara à son mari : « Nous ne rencontrerons jamais d’être aussi proche de la sainteté. Tu es meilleur poète, mais tu n’es pas un saint… ».

Les Chroniques de Mars // Tu es toi-même poète et je pense pour ma part que seul un poète comme toi pouvait vraiment saisir toute la subtilité éthérée de la poésie d’Æ… Pourrais-tu nous parler de son écriture et de sa poésie que l’on retrouve dans ton livre… – j’ajoute que toutes les traductions de ce livre sont de toi, bien évidemment…

Patrice Repusseau // Contrairement à W. B. Yeats qui travaillait beaucoup ses poèmes, Æ ne s’en occupait guère. L’important pour lui était qu’ils lui soient donnés. De même que pour la peinture, Æ ne se souciait pas de technique. Il me revient un texte très simple finissant par ces vers sublimes : « … le cœur ivre d’une beauté / que nos yeux ne verraient jamais. » Dans l’ensemble ses poèmes impressionnent moins que Le Flambeau de la vision, De Source : les fontaines de l’inspiration, ou même The Living Torch [Le vivant flambeau], choix d’articles rassemblés par Monk Gibbon deux ans après sa mort. Le mérite de ses poèmes, toujours très inspirés, tient souvent moins à la force des images qu’à la vérité du sujet abordé. Condamnée par la médecine, la femme du peintre George Frederic Watts, recouvra la santé en se murmurant des poèmes de Æ. Deux vice-rois de l’Inde, le comte de Lytton et Lord Curzon trouvèrent aussi consolation dans ses poèmes au moment de mourir. Un jour, aux États-Unis, deux journalistes venus l’interviewer fondirent en larmes quand, à leur demande, il récita plusieurs de ses poèmes.

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Patrice Repusseau © Pour les CHRONIQUES de MARS // Janvier 2020, Arqa éditions.


ENTRETIEN avec Patrice REPUSSEAU // « Æ » ou la Loi de la Gravitation spirituelle # 1

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Patrice REPUSSEAU – La jeunesse de George W. Russell dit « Æ » # 1

Patrice REPUSSEAU – L’Homme transparent et la Gravitation spirituelle selon « Æ » # 2

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