Extrait du Livre de Patrice REPUSSEAU # 2

« Æ – George W. Russell ou la loi de la gravitation spirituelle »

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Chaque conversation tournait autour d’un sujet précis. Elle porta un jour sur ce qu’il avait baptisé « la gravitation spirituelle » et qu’à son intention il formula ainsi : si l’on était véritablement quelque chose, ce « propre être profond » attirerait à soi des âmes parentes par sa propre intensité. Il affirmait que cette loi spirituelle avait toujours fonctionné pour lui ; il ne recherchait jamais rien, mais les choses et les personnes venaient à lui d’elles-mêmes, de façon merveilleuse et inattendue. 

« Un soir il parla des intuitions qu’il avait eues de ses propres incarnations ; ce sont elles qui lui avaient donné les plus grandes certitudes quant à l’immortalité de l’âme. Lui étaient revenus des souvenirs brefs mais précis d’existences vécues en Irlande au temps des druides, et en Espagne aussi – il s’était vu à cheval pénétrant à l’intérieur d’une ville fortifiée pour y combattre. Il avait également retrouvé une période en Égypte et ses plus lointains souvenirs – il n’avait pas pu remonter plus avant – étaient des traces de très anciennes existences en Inde. On me propose toutes sortes d’explications extraordinaires pour ces visions ; des théories qui s’effondrent dès qu’on les examine un tant soit peu. Après tout, la métaphysique n’est que du bon sens organisé. Dès lors que les hommes isolent les questions, séparent les sciences, on ne trouve plus les liens, les corrélations ; il faut dépasser certains aspects : le point de vue métaphysique est le seul qui permette de recouvrer la totalité. Il est stupéfiant de voir ce que les hommes trouvent tout naturel sans vraiment réfléchir sérieusement un instant, et la façon dont ils croient avoir expliqué un phénomène une fois qu’ils lui ont attribué un nom. »

Quand elle lui raconta un rêve au cours duquel elle avait vu toutes les planètes flotter dans l’espace, chacune tournant sur elle-même en vibrant au son d’une note différente, et qu’elle avait senti que si la « note » était modifiée le taux vibratoire changerait lui aussi et nous verrions alors un aspect différent du monde, Æ lui dit qu’il croyait que le son était aussi universel que la lumière, mais que pour l’heure, nous n’étions pas encore suffisamment évolués pour le sentir. Le climat de confiance, de respect et d’affection réciproque était si propice que Æ lui parla de son maître, James Morgan Pryse, et de sujets qu’il abordait rarement.

« Un autre jour Æ me parla de l’adepte qui avait en grande partie changé sa vie et en présence duquel il lui avait été possible, pour la première fois, de voir le corps de l’homme transparent avec les « centres » mentionnés dans l’enseignement occulte de l’Inde, et la crête de feu, ainsi que les ailes du caducée de part et d’autre de la tête. Cet homme lui avait appris l’existence du serpent de feu de la philosophie hindoue, comme le faiseur de prodiges qui – raconte Proclus – montra à Aristote le même spectacle, afin de lui permettre de voir l’âme quitter le corps et y pénétrer à nouveau.

Æ avait constaté qu’il valait mieux ne pas souvent parler de ces choses car « ou bien les gens vous prenaient pour un fou, ou alors ça leur faisait peur », et qu’il était toujours préférable de garder pour soi ses derniers progrès en matière spirituelle. Une fois atteint le stade suivant, on pouvait évoquer l’étape précédente sans risque, mais, si l’on parlait d’un phénomène dès son apparition, une partie de l’énergie générée par cette expérience nouvelle se trouvait gaspillée. C’était une merveille de l’écouter quand son esprit et sa pensée si déliée s’appliquaient à pareils sujets, pour moi les plus passionnants du monde. Il me révéla que les vérités que cet adepte lui avait apprises dans sa jeunesse avaient nourri toute son existence et le soutenaient dans les périodes de faiblesse et ce qu’il appelait « l’avachissement de l’esprit et du corps ». La rue où il logeait était bruyante et laide, des bouts de papier volaient dans le vent glacial, sur le trottoir des bicyclettes étaient appuyées contre les murs et un ou deux magasins minables se trouvaient à proximité. Quand on frappait à la porte, Æ venait ouvrir et vous faisait entrer dans la pièce terne et plutôt sombre à la tapisserie passée et aux horribles meubles où, sur la table, une tasse de thé et une boîte de biscuits côtoyaient les livres ; mais quand il se mettait à parler, quelles scènes différentes se présentaient à l’esprit ! Toutes les choses extérieures et hideuses fabriquées par l’homme disparaissaient presque, remplacées par les régions lumineuses, l’or rutilant, la clarté multicolore, les êtres aux crêtes flamboyantes et les chevaliers chevauchant de fougueux destriers ailés. »

Elle souffrait de le voir pâlir et maigrir au fil des semaines. Il avait les mains de plus en plus froides, mais à chacune de ses visites elle le trouvait plus merveilleux et elle avait, à chaque fois, le sentiment de voyager dans une autre dimension, un admirable monde d’esprit, de lumière et d’éternité.

Un jour qu’il se sentait un peu oppressé par la grisaille et l’état de sa santé déclinante, nous abordâmes le sujet des « cieux » – l’idée qu’on peut créer son propre ciel, parce qu’il est impossible de trouver deux personnes qui se font la même conception de la joie. Il cita (comme il le faisait souvent !) : « Il n’y a pas de chars, ni de routes pour les chars…, l’âme fabrique ses propres joies. » Il m’apprit qu’il choisirait des îles et des collines, et des arbres et des tapis de fougères qui descendraient doucement jusqu’au bord de l’eau, au sein d’une campagne sauvage. Quant à moi, je lui dis que je choisirais également la mer, mais une mer tropicale, et que j’aimerais des versants ensoleillés couverts d’une herbe parsemée de ces petites fleurs éclatantes dont il est question dans certains textes grecs, ainsi qu’une jungle tropicale odoriférante regorgeant de fleurs écarlates et de plantes grimpantes aux calices blancs en forme d’étoiles. Il éclata de rire : « Oh, votre Devachan ne sera que fleurs ! » Et il poursuivit, déclarant que dans un avenir lointain l’intérieur deviendra extérieur comme l’ont enseigné Swedenborg et d’autres mystiques et occultistes, « lorsque le dedans sera semblable au dehors, et le dehors au dedans ». « Notre génie fera de nos désirs un pays féerique », comme lui-même l’écrit dans un de ses ouvrages. Il parlait souvent de la mort, m’avouant que si on lui apprenait qu’il avait une maladie incurable il serait très intéressé à la perspective de se lancer dans une nouvelle grande aventure et serait ravi de s’y préparer. Il ne redoutait nullement la mort. Tout ce qu’il craignait, c’était, pour reprendre son expression, de se voir « expulsé du corps » au lieu de le quitter de son plein gré. Je lui demandai ce qu’il éprouvait quand il rencontrait et reconnaissait ceux qui étaient partis, et il me répondit par cette phrase tirée du Livre des morts égyptien : « Les cœurs perdus depuis longtemps brillent dans l’huile de la lampe du Roi. »

(…)

Extrait du livre de Patrice Repusseau © Pour les CHRONIQUES de MARS // Janvier 2020, Arqa éditions.


ENTRETIEN avec Patrice REPUSSEAU // « Æ » ou la Loi de la Gravitation spirituelle # 1

ENTRETIEN avec Patrice REPUSSEAU // « Æ » ou la Loi de la Gravitation spirituelle # 2

Patrice REPUSSEAU – La jeunesse de George W. Russell dit « Æ » # 1

Patrice REPUSSEAU – L’Homme transparent et la Gravitation spirituelle selon « Æ » # 2

Patrice REPUSSEAU – La mort d’Æ (1867-1935) # 3


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