Le Prix Gustav Meyrink 2021

Prix de la Meilleure nouvelle

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Le Prix Gustav Meyrink, décerné pour la seconde fois, commence à prendre tout doucement son envol… Le Jury, toujours constitué sous la Présidence d’honneur de Paul-Georges Sansonetti, s’est renouvelé cette année avec la présence d’Aurélie Gasrel et du lauréat de l’année dernière, Philippe Ledoux. Comme par le passé, je tiens tout d’abord à remercier ces nouveaux arrivés pour leur travail émérite ainsi que mes amis proches et autres membres du Jury : Rémi Boyer, Patrick Berlier, Alain Le Kern, et Michel Lamy qui m’ont assisté de main de maître dans cette entreprise encore nouvelle pour nous tous.

Sur les 119 nouvelles reçues, de 6 pays différents : France, Italie, Canada, Suisse, Belgique, et Cameroun (avec la nouvelle remarquée de Jerry Arsene Mvondo Mvondo), 51 ont été sélectionnées dans un premier temps, puis une avant-dernière liste de 20 auteurs a été constituée (ces 20 nouvelles sont aujourd’hui en ligne ici), pour extraire finalement 3 dernières nouvelles quasiment « indépartageables » (!), et enfin un gagnant, Philippe Aubert de Molay, que nous découvrons aujourd’hui, ici même, dans une très belle interview pleine d’émotion…

Parmi les membres du Jury // Rémi Boyer a défendu la nouvelle de Philippe Aubert de Molay ; Michel Lamy a défendu les nouvelles de Thomas Ghibaudo, Philippe Aubert de Molay et Kaishin Lin, ; Aurélie Gasrel a défendu les nouvelles de Philippe Aubert de Molay, Jocelyne Villette-Pelé et de Kaishin Lin ; Alain Le Kern a défendu ex-æquo les nouvelles de Thomas Ghibaudo et Philippe Aubert de Molay ; Philippe Ledoux, notre lauréat du Prix Gustav Meyrink 2020, a défendu la nouvelle de Kaishin Lin « La cueilleuse de cailloux » ; Patrick Berlier a défendu ex-æquo les deux nouvelles suivantes, celle de Thierry Fauquembergue « Secret antique » et celle de Constantin Louvain « Une intelligence à jamais supérieure ». Comme l’année dernière, Thierry Fauquembergue et Kaishin Lin se retrouvent encore une fois très bien placés. Pour ma part, j’ai défendu à égalité les nouvelles de Philippe Aubert de Molay et de Thomas Ghibaudo. (Je tiens à préciser pour cette année – comme pour l’année dernière d’ailleurs – que les membres du Jury du Prix Gustav Meyrink ont lu les nouvelles présentées lors de ce concours en strict anonymat, je veux dire par là que les nouvelles sont lues par les membres du Jury en l’absence totale de connaissance de leur auteur, et ce afin de ne pas être influencé d’une manière ou d’une autre).

En tout cas, un très grand MERCI à tous nos participants, le Prix Gustav Meyrink 2021 est donc attribué ce jour – et je vous donne rendez-vous l’année prochaine, en 2022, pour une nouvelle aventure… !

Thierry E. Garnier – Les Chroniques de Mars – novembre, décembre 2021.


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Voici les résultats de notre concours qui a été très serré jusqu’au bout //

1e – PRIX GUSTAV MEYRINK // Philippe Aubert de Molay pour sa nouvelle « L’art des condoléances » (Lire un extrait) – La nouvelle est en vente sur le site des éditions ARQA, ici, et vous retrouverez une interview du lauréat ci-dessous.

Les accessits, (très proches des premiers prix), sont décernés à : Christelle Boulier pour « Le souffle de Tanit » ; Marion Grosselin pour « Entre la vie et la mort » ; Thierry Fauquembergue pour « Secret antique » ; et Pablo Vergara pour « Nutricula ».

 


 

Chroniques de Mars // Cher Philippe Aubert de Molay, vous venez d’obtenir le Prix « Gustav Meyrink » 2021, vous attendiez-vous à cela et quelle était la motivation de votre participation à ce prix ?

Philippe Aubert de MOLAY // Il est toujours surprenant pour moi de terminer un texte. Même s’il existe pour chaque histoire à raconter un travail littéraire précis (la petite cuisine propre à chaque auteur), les personnages mènent bien souvent la danse, s’autonomisent, conduisant celui qui écrit vers des territoires imaginaires imprévus. Ecrire c’est sans doute laisser faire. Voir venir. Un peu comme lors d’un voyage : on sait où on est mais pas ce qui va advenir. Avoir la chance que l’un de ses textes soit primé produit la même surprise que celle induite par le fait de boucler une nouvelle : le sentiment de ne pas y être pour grand-chose.

Côté motivation concernant la participation au prix, après une première lecture du Golem à l’adolescence sans en mesurer la puissance de feu poétique, seconde lecture en 2019 (à l’occasion d’un projet de scénario de roman graphique évoquant une communauté secrète et discrète de golems dans une mégalopole polluée d’aujourd’hui, projet sans suite). À l’époque, retour en tout cas à la case Gustave Meyrink. Et éblouissement devant cette écriture si visuelle, boxant le réel par la richesse de sa langue offensive et l’audace de ses images. Ensuite Gustave Meyrink = Arqa. Arqa = Prix Gustave Meyrink. Sans compter que le thème « transhumanisme & immortalité » est passionnant. Ce questionnement actuel, sorte de pare-feu consuméro-technocentrique à l’hypothèse de l’effondrement généralisé, témoigne du pathétique fantasme prométhéen produit par un Occident désorienté par la perte de toute métaphysique spirituelle ou laïque d’envergure. On est mal barré pour retrouver un vrai désir de vivre et accepter le naturel du mourir. Autrement dit, si méditer des semaines en surfant non-stop pour choisir un iPhone à prix d’or ou pour acheter une automobile de deux tonnes à crédit (pour transporter soixante-dix kilos de viande selon l’expression poétique de Jean-Marc Jancovici) ne suffit pas comme quête éternelle du bonheur,  que faire de cette immémoriale préoccupation des « causes premières et des fins dernières » comme on disait autrefois ? Quel sens acceptable trouver à l’existence ? Si la littérature ne donne pas la réponse (comment le pourrait-elle ?), au moins pose-t-elle parfois la question (avant probablement qu’on ne se la pose plus du tout). Merci à l’équipe d’Arqa d’avoir permis aux auteurs, dans l’ombre tutélaire de Gustave Meyrink, de s’aventurer sur un tel terrain de jeu.

Chroniques de Mars // Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs… – qui êtes vous Philippe Aubert de MOLAY… ?

Philippe Aubert de MOLAY // Un scénariste professionnel de bande dessinée et de jeu vidéo (souvent sous le pseudonyme de Greg Newman). Avec joie, un parmi d’autres de cette piétaille de la plume (ou plus exactement du traitement de texte) travaillant à fournir des histoires à une société avide d’univers fictionnels où d’autres modèles de vie existent. Où des rebelles de papier ou de cinéma font bien souvent ce qu’il n’est plus possible de faire dans le quotidien : bâtir un autre destin, individuel et/ou collectif. S’unir pour sauver les dernières grandes forêts ou lutter contre un empire galactique dictatorial possédant une étoile noire par exemple. Pour donner une idée de ce travail de scénariste, collaboration à des univers tels que Renaissance, Popeye, Zorro, Noeland, Blake & Mortimer, Franky, L’Âge de Glace, Teutonik, Shrek, Des Hommes et des Dieux, Pinocchio, Jenny Everywhere, Night Watch, La Guerre des Boutons. Et dernièrement la série BD Les Gardiens de la pierre (ceci pour Dargaud-Némopolis, Jungle, Bayard, Neness-Danger, Casterman, Futuropolis-Gallimard)…

Écriture aussi de nouvelles. Quelques recueils comme Boxer dans le vide, Personne n’est mort ou Leçon de ténèbres (Prix Hemingway 2015), dernièrement Petit traité de sorcellerie et d’écologie radicale de combat, ceci chez Souffle court, Hispaniola Littératures, Au Diable Vauvert. Tant en BD que pour les nouvelles, ces histoires relèvent régulièrementdu genre des légendes urbaines : il y a souvent un fantôme, une fée, un super-héros ou même le « vrai » Père Noël qui traînent dans ces récits situés de nos jours. Ordinairement avec les mêmes obsessions (… à la longue de quoi plaindre ceux qui ont la patience de lire ces textes un brin sombre) : l’hypothèse du divin, l’écologie radicale, l’impasse amoureuse. Surplombant le tout, difficile de décider si en général l’écriture relève de la psychiatrie ou du chamanisme ? Pour nourrir cette interrogation, autour de l’âge de trente ans et en cours du soir à l’université, études de sciences de l’éducation et de théologie (avec une insistance pour les religions premières). En compagnie du photographe Yves Regaldi, grand connaisseur de l’Afrique (lequel nous fait l’amitié de proposer les photographies illustrant cette interview), quelques séjours sur le golfe de Guinée, berceau du vaudou, pour mixer savoir académique et expériences de terrains. Borgès a dit malicieusement : « la théologie est une branche de la littérature fantastique »…

Les Chroniques de Mars // Avez-vous pris connaissance et lu d’autres nouvelles que la vôtre pour cette session 2021 ? Et qu’en avez-vous pensé ? Est-ce que certaines ont retenu votre attention ? Si vous étiez membre du Jury quelle est la nouvelle que vous auriez défendue pour le prix Meyrink 2021… ?

Philippe Aubert de MOLAY // Exercice redoutable et effroyablement subjectif que celui d’affirmer ici des préférences. Car même s’il demeure des constantes, on ne lira probablement pas un texte avec la même attention ni avec le même enthousiasme d’un jour à l’autre. En tout cas l’ensemble des nouvelles sélectionnées explore et révèle de magnifiques territoires d’imaginaire (et non cette dernière remarque ne figure pas ici par… diplomatie). Mettons (subjectivement donc) que la solidité des récits de Christine Caldairou, Thomas Ghibaudo et Marion Grosselin envoie du lourd. Que l’originalité costaude des thèmes développés par Constantin Louvain, Sylvain Reybaut, Pierre Pirottonet surtout Anthony Kontz et Jerry Arsène Mvondo Mvondo est enthousiasmante. Que les nouvelles de Christelle Boulier et Kaishin Lin sont d’une beauté à couper le souffle. Que Thierry Fauquembergue a tout d’un grand de la littérature de l’imaginaire avec son texte surpuissant et plein d’humanité.

Et mettons pour finir qu’on va carrément se la jouer « dioscures », ceci  pour annoncer quelle est la nouvelle choisie si membre du jury. Donc en élisant, au-delà de toute convenance les… Castor et Pollux de service qui suivent : Manon McDougall-Vigier pour sa nouvelle d’une splendide poésie légère et subtile, cette dernière étant au service d’une histoire surprenante. Et Jean-Louis Trudel pour sa dramaturgie nickel et son écriture romanesque, discrètement épique. Un maître. Vous étiez prévenu : exercice redoutable et effroyablement passionné que celui d’affirmer ici des préférences. Mais ouf c’est fait.

Les Chroniques de Mars // Sur le plan de la lecture, justement, pouvez-vous nous parler un peu de vos lectures Philippe… ?

Philippe Aubert de MOLAY // Littérature U.S à haute dose, par exemple : Kerouac et Carver pour maîtres. Emily Dickinson : amour inconditionnel. Stephen King : respect total. Japon aussi, tout Mishima ; son Pavillon d’or est lu, relu et relulu. Ballard également, qui a si bien pensé le monde « pré-post-apocalyptique » d’aujourd’hui. Lisez un peu son roman Sécheresse (1965) pour voir… D’autre part la plus haute estime pour Horacio Quiroga (1878-1937), super boss du genre de la nouvelle et sorte de frère d’armes à travers le temps et l’espace de Barbey d’Aurevilly.

Ses légendaires (et hélas méconnus) recueils Contes d’amour, de folie et de mort ainsi qu’Anaconda sont de pures merveilles de lucidité cruelle et simultanément de compassion devant la condition humaine, ses misères et ses clartés. Lecture appuyée aussi de la magnétique Catherine de Sienne, trou noir de la spéculation surnaturelle, de Teilhard de Chardin et du « grand d’Espagne » comme il était surnommé, Georges Bernanos. Enfin, pour se remettre les idées à la bonne place, rien ne vaut également que de visiter ces phares dans la nuit que sont Bakounine, Makhno, Schopenhauer, Thoreau, Anders, Erri de Luca, Descola, Leopold. Par exemple chez ce dernier, Aldo Leopold, son Penser comme une montagne est un grand texte de réflexion, sur le lien rompu homme-nature, ultra raccord avec aujourd’hui.

Les Chroniques de Mars // Merci beaucoup Philippe, pour ce témoignage. Alors, justement, connaissiez-vous Meyrink, ses livres… ? Faisant suite au cadre imparti en liminaire, votre nouvelle se passe dans un univers fictif où Mégara est la cité romanesque utilisée pour toile de fond…, il y a là bien sûr là, également, une référence à Flaubert et à Salammbô ! … Dites nous-en plus…

Philippe Aubert de MOLAY // Il faut bien avouer que Flaubert, Salammbô et Carthage sont assez peu présents dans L’Art des condoléances. Le développement du récit s’est plus concentré sur la pure problématique « transhumanisme et immortalité » que sur le lieu où allait se dérouler l’histoire. En fait, les jardins d’Hamilcar, ce pourrait être l’autre nom de la lecture. Ils symbolisent dans L’Art des condoléances les lieux imaginaires où, enfermés dans ce monde et rêvant d’évasion, on espère trouver refuge. Concernant Gustave Meyrink, comme dit plus haut, lecture du Golem.

Et, ces jours-ci, afin de faire ses dévotions au maître, commande chez la libraire locale d’autres titres: La nuit de Walpurgis et L’Ange à la fenêtre d’Occident. Conteur non borné par un quelconque conformisme, travaillant une belle langue inventive, cet auteur hardi impressionne par sa capacité à fondre le fantastique dans notre réel. Ce qui fait un peu penser à Poe. Et de même qu’avec ce dernier, on se demande lequel des deux est le plus intéressant de l’homme Gustave Meyrink ou de son œuvre ?

Les Chroniques de Mars // Sans rien déflorer de votre nouvelle pouvez-vous nous parler de votre style en général et de la construction littéraire de votre nouvelle… ?

Philippe Aubert de MOLAY // Côté style, le choix est fait de tenter de privilégier une écriture d’atmosphère, si possible résolument créatrice d’images, photographique pour ainsi dire (sans doute l’influence de la bande dessinée). Ecriture empruntant par ailleurs à l’oralité son langage naturel ; si l’on veut et pour résumer : moins écrit que dit).

À signaler aussi le recours technique à des textes utilitaires (par exemple et selon les besoins : notice de médicament, mode d’emploi d’appareil ménager, rédactionnel d’emballage alimentaire, fragment publicitaire, recette de cuisine, etc). Ou énoncé administratif comme c’est le cas dans L’Art des condoléances. Ce qui participe au modelage de la nouvelle.

C’est souvent agaçant pour nombre de lecteurs mais on pourrait dire que, au-delà de la narration pure, il s’agit de favoriser un certain design de l’écriture. La plasticité d’une nouvelle (via sa syntaxe, son champs lexical) peut être considérée comme aussi importante que l’histoire que l’on raconte. C’est un tout : l’histoire + sa façon de la raconter. Le style donc. Rappelons qu’en peinture ou en dessin, le sujet compte sans doute moins (car vu et revu) que la manière de le peindre. Bien sûr l’idéal c’est un travail à la Gauguin : un sujet original et une façon tout aussi singulière de le rendre. C’est une doctrine littéraire que l’on n’est pas obligé de partager : porter son attention tant au récit pur qu’à son apparence, tant au contenu qu’au contenant autrement dit. C’est là peut-être une définition parmi d’autres de la fiction : « création de l’imagination qui prend une forme esthétique choisie ». Mais pour L’Art des condoléances, espérons que le plaisir de lire en entrouvrant la porte d’un possible petit monde, l’emportera sur toute autre considération. Lire n’est-ce pas avant tout « écouter » une histoire ? On le sait bien, le reste n’est que littérature…

Les Chroniques de Mars // Merci à vous Philippe Aubert de Molay pour cette interview, j’ajoute à nouveau toutes les félicitations de tous les membres du Jury pour votre nouvelle. Il a été décidé que l’année prochaine, fort de la qualité d’écriture de votre nouvelle primée, vous rejoindriez si cela vous tente les autres membres du Jury du Prix Gustav Meyrink 2022…

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Vifs remerciements au photographe Yves REGALDI qui a réalisé (en la chapelle Saint-Raphaël-Archange-des-Guérisons, Franche-Comté) le reportage photographique consacré à Philippe Aubert de Molay pour cet entretien avec Thierry E. Garnier.

Les Chroniques de Mars © – Novembre-Décembre 2021 – Entretien avec Philippe Aubert de MOLAY, Lauréat du Prix Gustav Meyrink 2021.

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